J'ai toujours eu l'impression que ce qui était caché dans une librairie était plus essentiel, plus important, plus précieux que ce qui, présenté à l'étalage, s'offrait au premier venu. (p.20)

Le Sureau et la neige
Double exil
Poème contre-révolutionnaire
1." le coton des fenêtres bouche les oreilles "**
Marina au nom rebelle
Écrivit ce vers à Vanves
Et d'autres à Clamart
Avant-guerre
Banlieues petites- bourgeoises limitrophes
De Paris / ville sèche
Aux coeurs exténués des exilés
Tsvetaieva/
Quelle épreuve pour les concierges
fouchtra
"A l'abri de ses poèmes
comme d'une branche de sureau **"
Se plaignant dans des vers sombres
Des tonnes d'indifférence
Qui pesaient
Sur elle
Elle avait épousé un Officier Blanc
Elle rentra dans la Russie Rouge
Retrouver le - nous- dispersé
Son mari exécuté
Sa fille dans un camp /
En Russie la réalité autorisée
Était celle vue par
L'oeil de Staline/
Elle se pendait
Le 31 août 1941
Pendant l'évacuation
Dans une chaumière tatare
A Elabuga
Où elle usait ses jours
Son fils à ses côtés
Loin encore plus loin
Qu'en Seine-et-Oise
De la Russie ancienne et chaleureuse
Qui ne survivait
Que dans l'astre noir de son
Cœur (...)
( p.58)
*** Tsvetaieva
De tous les spectacles de Camus que j'ai vus, -Requiem pour une nonne- fut pour moi son spectacle scéniquement le plus abouti. Catherine sellers, dans un rôle à la Casarès, y était inoubliable, de même que l'étrange fausse négresse, "meurtrière et sainte ", interprétée par Tatiana Moukhine. Elle portait sur scène l'imperméable "à la Bogart" de Camus : le théâtre privé était pauvre. Jamais les créations parisiennes de Camus ne reçurent un sou de subvention. (p. 82)
.....Première fée
Au libraire il dira :
Libraire, oh donnez-moi
L'allemand, le chinois;
Douze patois norrois,
Quarante langues ! Quarante sciences !
De la clarté jusqu'à la démence!
Technique , poésie,
Mystique, économie.
Vite me fournissez
Toute ce que l'homme a fait.
Vite ! Suis affamé !
Armand Robin- Le temps qu'il fait ( Gallimard, 1941)
La parole vit, et elle vit par le livre.
page 16
La personne de Camus, son sourire, son élégance, la simplicité de son blouson, ses cigarettes (en dépit de ses poumons malades), la manière dont il s'asseyait sur une marche, au soleil (...) pour discuter avec le facteur - cette aisance naturelle qui le mettait de plain-pied avec n'importe quel interlocuteur - tout cela je ne l'ai jamais aussi bien vu qu'à Cabris. "Il était taillé d'un bois à la fois dur, tendre et parfumé" aurait dit Nietzsche.

Il est donc nécessaire que les jeunes gens puissent lire ce qui est contemporain et acquérir les livres qui resteront leur grands amis à travers la vie.
Pour cela il ne faut pas chercher à créer de vastes entreprises impersonnelles qui sont incapable de donner une influence, donc de faire progresser, et incapable d'en recevoir, donc de progresser elles-mêmes.
Ce qu'il faut créer , ce qu'il faut aider, ce sont des bibliothèques qui ne tendent pas à satisfaire un public nombreux, mais un groupe qu'il soit possible de connaitre individuellement et de servir parfaitement.
L'idéal serait qu'à la tête de chaque librairie il y eut une seule personne, aidée dans la mesure du possible, mais en continuels rapports avec le public.
Il est vraiment indispensable qu'une maison consacrée aux livres soit fondée et dirigée avec conscience par quelqu'un qui joigne à une érudition aussi vaste que possible l'amour de l'esprit nouveau et qui, sans tomber dans les travers d'aucun snobisme, soit prêt à aider les vérités et les formules neuves.
Moi qui ne sais tenir qu’un crayon et qui fuis toute machine à écrire, avec ou sans écran, je suis persuadé depuis toujours que la main possède une intelligence propre, c’est-à-dire qu’à certains moments, de manière quasi autonome, elle sait où elle va, alors que l’intellect ne le sait pas (encore).
Pour moi, modeste auteur, plutôt dans la catégorie des talents à découvrir, je suis convaincu que la librairie ne doit pas seulement être considérée comme un commerce - ce qu'elle est est doit rester - mais comme un service de médiation culturelle accessible à tous les publics sur l'ensemble du territoire et complémentaire de celui des bibliothèques.
Loin de les opposer, je pense qu'il faut les unir et que libraires et bibliothèques doivent mener le même combat : celui de la survie de la création littéraire sans laquelle après les libraires, les bibliothèques seront condamnées à mourir à leur tour.
Ma vie a été régie par une astronomie particulière. J'ai défini ma propre trajectoire guidé par une pléiade d'étoiles. En plein soleil, nul ne les voit: le commun des hommes en déduit qu'elles n'existent pas. Mais dès que la nuit obscurcit le ciel, elles resplendissent. Il suffit de veiller. Il suffit de les écouter, il suffit de laisser leur parole tomber en soi comme au fond d'un puits.
J'ai refermé le porche de l'église et je suis sorti par la porte du bas-côté. Malgré la pénombre, j'ai pu lire la devise révolutionnaire qui y est encore gravée: "Je crois à l'immortalité de l'Esprit."