Longue conversation posée et bien menée entre Baru et Jeanne Puchol. Sont abordées ici les thématiques centrales de l'oeuvre de Baru : les origines immigrées et italiennes de l'artiste, la jeunesse dans les cités ouvrières de l'Est de la France, le passage d'une classe sociale à une autre (« transfuge de classe ») et la culpabilité que cela peut produire, la formation initiale et le choix des orientations ultérieure, l'importance de la figure de l'usine
La question du dessin est aussi à l'ordre du jour de cette rencontre : Baru évoque la représentation l'étranger, le plaisir de dessiner une voiture, il développe une conception du style comme moyen de contourner les difficultés, sur une question du public, il évoque la mise en couleur
Les intervenants, tous deux artistes de bande dessinée, se distinguent par la clarté de leurs propos et leur capacité à exposer avec une grande limpidité leur point de vue sur le monde et sur leur travail.
Cette entretien a été réalisé grâce à un partenariat entre le SoBD, L'Alliance française et le CESC RATP. Il a été enregistré le 1er décembre 2021, dans l'auditorium de L'Alliance française (boulevard Raspail, Paris VIe).
+ Lire la suite
[chantiers navals de Saint-Nazaire, 2002]
- Putain, Nour', des fois tu me gonfles avec ton numéro de bougnoule opprimé. Qu'est-ce que tu crois ? Que vous êtes les premiers à avoir émigré ? Va, va voir mon père ! Il te dira comment son père a été traité en arrivant ici. Il te dira combien de Ritals se sont fait massacrer simplement parce qu'ils étaient Italiens, à Lyon, à Marseille, à Grenoble. Il te dira les familles entières qu'on a entassées dans les trains pour les renvoyer en Italie avant la guerre.
(p. 35-36)
[guerre d'Algérie]
- Lounès, petit frère, à quoi tu penses ?
- Au soldat blond, celui qui a cassé la gueule à celui qui a tué le vieux... Bon Dieu, qu'est-ce que ça serait plus facile s'il n'y avait que des salauds en face...
(p. 31)
Par contre, toi, pour un rital, t'es fringué comme un pequenot, t'as perdus le gène ou quoi ?
[ 2002, fils d'émigrés algériens ]
- C'est de sa faute [à mon père] si on est là, à se faire traiter de bicot à chaque coin de rue, à ramper devant ces salauds de Français ! Putain on leur a foutu une branlée, on les a mis dehors, et lui, la seule chose qu'il se dépêche de faire, c'est de venir ici continuer à faire l'esclave, et nous faire vivre à plat ventre.
(p. 34)
A l’usine, t’iras pas, en clair, ça veut dire : t’es pas comme nous. Je connais la chanson, elle dure depuis un p’tit moment maintenant. Depuis que eux, après le Certif’, sont allés en apprentissage et que moi, j’ai continué l’école… Je suis déjà dans l’autre camp. Putain, ça m’esquinte des raisonnements pareils ! Mais bon, j’ai beau m’en foutre, n’empêche que des fois, je peux pas m’empêcher de me sentir coupable. Mais allez… c’est Nouvel An bon Dieu !… Et dans un verre ou deux, on n’y pensera même plus
- Si, si, c'est lui ! Il est là, à 20 métres, et ce connard, il me reconnaît même pas !
- Et ça t'étonne ?
- Ben ...ouais ! Pourquoi, je devrais pas ?
- Mais parce qu'il faisait nuit et que t'avais une cagoule la seule fois où tu l'as vu connard !
_ Ah !... C'est vrai que monsieur a une dent contre les poulets !
_ OUAIS ET ALORS !?
_ Alors, rien... rien...
_ Et je parie que t'aimerais savoir pourquoi !
_ Exact !
_ Eh ben, j'avais 12 ans et j'avais piqué une BD... La vendeuse a appelé les flics. Au commissariat, ils m'ont forcé à bouffer du cochon pour rigoler... jusqu'à ce que je dégueule... Là, ils m'ont mis une branlée et y'en a un qui m'a un peu poussé dans l'escalier... Traumatisme crânien... fracture du poignet...
_ Quelle idée aussi de naître arabe !
Il profita de la rythmique insipide à laquelle le condamnait la soupe disco pour faire claquer sur sa Fender l'intro de "Satisfaction"…
Et tout a basculé
Purée, Jeannot mais t'es pas malade de rester à poil de c'temps là !?
Pfff ! Et alors j'suis pas une mauviette, moi !
comme tu veux gros...Mais t'es quand même un peu con, moi j'te l'dis ! Bon, allez, on tire à la courte celui qui commence..
C'est ç'ui qu'a la plus p'tite qui tire le premier ! crrrh, crrrrh....
Ben, Claude...Pourquoi que tu rigoles ? (p 30)
Et PAF ! J'en ai repris une autre.
C'était en septembre 1960...
Il pleuvait des baffes dans la gueule en ce temps-là.