
Juste après mon arrestation, les dirigeants de l’entreprise ont publié ma photo, portant casque, souriant, levant haut les bras comme pour répondre à une ovation, et au-dessous il y avait écrit : « Nous sommes heureux, parce que nous créons. » La photo était sur tous les sites du pays et d’ailleurs. Ces messieurs de la pub avaient choisi une photo parmi des centaines, ils ne savaient pas qui j’étais, juste un ouvrier parmi des milliers d’autres. Ils avaient été trompés par ma bonne mine, par le sourire que j’avais large à ce moment-là (peut-être qu’à cet instant j’étais heureux parce que je pensais à toi). Ils ne lisent jamais les journaux du pays, les patrons, ils n’en parlent pas la langue. Ils ne savaient donc pas pour moi. Bien sûr, ils ont été obligés de retirer la photo et même de s’excuser auprès du public. On n’affiche pas un criminel. Mes amis voulaient que je porte plainte pour la photo, et pour les excuses : ils n’avaient pas le droit de reproduire ma photo sans mon autorisation et ils n’avaient pas non plus le droit de s’excuser comme si j’avais été condamné, alors que je n’avais pas encore été jugé et que j’étais donc présumé innocent. Des millions à gagner, m’ont-ils expliqué. Non, je n’ai pas l’esprit à ça, je n’ai pas le cœur à mener un combat futile que je perdrai sûrement, et je n’ai pas envie de profiter de la fatuité des autres, même celle des puissants, je vis trop à l’intérieur de moi-même pour revendiquer, pour protester encore. Non ! Et d’ailleurs, que ferais-je de ces millions ? Même libre, je n’ai jamais été boulimique d’argent, sauf quand il s’agissait de te satisfaire.