C’etait passionnant, pensait-elle, de voir comment des gens si intelligents pouvaient devenir aussi rustres et arrogants face à un simple « non merci ».
Peu importe ce que tu fais ou qui tu es. Peu importe que tu aies de l'argent ou sois très pauvre. Peu importe que tu aies fait des études ou que tu n'aies jamais été à l'école. La littérature est comme une fièvre inattendue qui te prend et ne te lâche plus, une maladie très belle et très douloureuse qui s'empare de ton corps et de ton esprit, t'asservit sans que cela te révolte car tu jouis de cette soumission.
L'écrivain véritable est un être moribond et pessimiste, il pense être visionnaire car il sait que naitre, c'est se condamner à vivre. Sa mission dans la vie est maléfique. Il est le plus méprisable de tous les êtres humains parce qu'il lutte de façon placide contre l'aveuglement joyeux des hommes. Il devrait mourir très vite.
Car c'est alors que tu entends ce nom sur ses lèvres, ce triste nom qui te désarme et te paralyse et te restitue l'innocence et la peur, ces quatre lettres qui ouvrent les portes closes de ta sombre mémoire et te font suffoquer de chagrin - pour cette femme enterrée, pour ce jeune homme enterré, pour ce pays enterré à côté de ses morts, pays de cadavres, montagnes de cadavres nus sous terre, cadavres oubliés, cadavres décomposés, cadavres nauséabonds, putrides, dans un état pitoyable, cadavres sans deuil, cadavres sans Dieu, cadavres perdus dans les limbes éternels des fosses communes, les uns sur les autres comme des troupeaux pestilentiels, cadavres vivants, cadavres amnésiques, cadavres errants, qui ne savent pas qu'ils sont morts [...]
Rien n’a de réalité propre, tout est délire, chimère : le vent qui souffle, la pluie qui tombe, l’homme qui pense.
(p. 198)
Comment craindre la mort quand rien n’est plus terrible que de continuer à vivre ?
(p. 56)
Le réel, si tu y aspires
Ne s'appréhende pas, il s'imagine.
Le réel ne se laisse pas saisir, il se suit.
Il y a pour cela le rêve et le mot.
Méfie-toi de son raccourci!
Méfie-toi de sa distance!
Méfie-toi de son danger!
Méfie-toi de sa cabane!
Martin Adan - Ecrit à l'aveuglette