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Critiques de Giuliano da Empoli (526)
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Le mage du Kremlin

Giuliano Empoli conseiller politique et superbe écrivain italien dont j'avais énormément apprécié son essai très instructif «  Les ingénieurs du chaos » ( Dommage, très peu de lectrices et lecteurs sur Babelio ! ), nous revient avec un livre intéressant et un sujet actuel, les coulisses du Kremlin à travers un personnage librement inspiré de l'ex- éminence grise de Poutine, Vladislav Yuryevich Surkov. Cet homme appelé « Le mage du Kremlin », le « nouveau Raspoutine », contribuera de façon décisive à l'édification du pouvoir du Tsar durant les quinze années qu'il passera à son service. Mais….depuis mi-avril 2022 la rumeur est qu'il est en arrêt domiciliaire par ordre du Tsar.



Surkov se distingue de la plupart de ses semblables par son origine. L'homme vient d'une famille ancienne et aisée, il est cultivé et l'argent ne l'intéresse pas vraiment. A vingt ans il s'inscrit à l'académie d'art dramatique de Moscou et commence à vivre la vie désordonnée des théâtreux….de là il convertira son expérience théâtrale en carrière de producteur de télévision, dont le grand patron est un milliardaire qui s'appelle Boris Berezovsky. Ce dernier découvrant ses talents de performance artistique, lui propose de passer à la vitesse supérieur en cessant «  de créer des fictions pour commencer à créer la réalité ». Car Eltsine est mourant et Berezovsky qui en faites gouverne à sa place, a choisi un chef du KGB , un certain Vladimir Poutine pour lui succéder. Il demande à Surkov d'en faire la mise en scène et la régie pour la suite. Là je ne suis absolument pas dans l'ironie, tout ce qui va suivre est du théâtre d'avant-garde jusqu'à nos jours , même cette terrible guerre actuelle qui sévit tout un peuple et un pays, et dont malheureusement nous n'en connaissons presque rien de ses coulisses , bien que tout soit déjà cartes sur table. Car les choses comme dit Surkov sont beaucoup plus simples qu'elles ne paraissent, il suffit de voir et de les suivre. En tout cas pour lui ça était une expérience unique , celle de pouvoir suivre, jour après jour, un drame élisabéthain qui se déployait et continue à se déployer sur la scène mondiale…..



A part la terrible réalité qui se cache derrière le Pouvoir politique russe, ( valable actuellement à divers degrés pour tous les pays même pour ceux qui se déclament « démocratiques »), plus précisément celui de Poutine, ce livre livre aussi le chaos et l'absurdité de la situation qui règne en Russie, depuis la chute du communisme, où la réalité dépasse largement la fiction,

« Vous pouviez sortir de la maison un après-midi pour aller acheter des cigarettes, rencontrer par hasard un ami surexcité pour je ne sais quelle raison et vous réveiller deux jours plus tard, dans un chalet à Courchevel, à moitié nu, entouré de beautés endormies, sans avoir la moindre idée de comment vous étiez arrivé là. Ou bien, vous vous rendiez à une fête privée dans un club de strip-tease, vous commenciez à parler avec un inconnu, gonflé de vodka jusqu'aux oreilles, et le lendemain vous vous retrouviez propulsé à la tête d'une campagne de communication de plusieurs millions de roubles. »



Un livre passionnant et instructif qui fait écho à son précédent, dont le coeur du sujet reste l'ascension de Poutine. au pouvoir. Totalement pénétré par le rôle de l'intrigue de la pièce, devenue son histoire, il n'a nul besoin de jouer, celle-ci coule dans ses veines. Avec un tel acteur un metteur en scène n'a presque rien à faire. Il doit se contenter de l'accompagner. Et c'est ce que fera Surkov, tout en gérant un des courants de fond qui régisse la société, le flux de la rage, qui selon les périodes augmentent ou diminuent mais ne disparaît jamais…..



Tous les faits cités dans le livre on peut les retrouver sur internet. Est-ce-que l'auteur a rencontré Surkov Ou a-t-il obtenu ses confidences par un autre moyen ? Je n'en sais rien , mais l'ensemble colle parfaitement à la réalité, ce qu'il confirme lui-même par ailleurs. Un livre intéressant facile à lire et qui aide mieux à comprendre comment on en est arrivé à cette guerre terriblement violente aux portes de l'Europe grâce à une politique de fil de fer . « Comment fais-tu quand tu veux casser un fil de fer ? D'abord, tu le tords dans un sens, puis dans l'autre » . La suite n'est pas difficile à deviner . Un livre publié récemment que je conseille fortement ainsi que son précédent , « Les ingénieurs du chaos ».



« Les gens pensent que le centre du pouvoir est le coeur d'une logique machiavélique, quand en réalité c'est le coeur de l'irrationnel et des passions, une cour d'école, vous dis-je, où la méchanceté gratuite a libre cours et prévaut immanquablement sur la justice et même sur la pure et simple logique…. tout ce qui fait croire à la force l'augmente véritablement. »
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Le mage du Kremlin

°°° Rentrée littéraire 2022 # 41 °°°



Achevé en janvier 2021 un an avant l’invasion de l’Ukraine, Le Mage du Kremlin résonne de façon saisissante avec l’actualité géopolitique actuelle, l’éclaire avec une lucidité implacable, donnant au lecteur la troublante sensation d’être dans la tête de Poutine et d’approcher vers une compréhension, même partielle, de l’homme d’Etat à la tête de la Russie depuis 1999.



Tous les événements sont vrais. Si on s’intéresse à l’histoire et à l’actualité, la trame événementielle est connue : Poutine et son passé tchékiste du KGB soviétique à la direction du FSB ; les attentats terroristes visant Moscou en 1999 et la guerre en Tchétchénie ; la tragédie du sous-marin Koursk en 2000, les Jeux olympiques de Sotchi et l’annexion de la Crimée en 2014. Les noms sont tout autant familiers, des oligarques déchus Boris Berezovsky ou Mikhaïl Khodorkovski, en passant par le trublion Edouard Limonov ou encore Evgeni Prigojine, l’homme d’affaires fondateur du groupe paramilitaire Wagner. Mais Giuliano da Empoli, politologue ancien conseiller de Matteo Renzi lorsque ce dernier dirigeait le gouvernement italien, n’a pas choisi d’écrire un essai. Plutôt un roman vrai. Et il a bien sacrément bien fait tellement il est parvenu à trouver l’équilibre parfait entre roman et réel, toujours à la lisière des deux, puisant dans la force d’une documentation pointue comme dans le puissance évocatrice de la fiction.



Le Mage du Kremlin, ou le Raspoutine de Poutine, c’est Vadim Baranov, librement inspiré de l’ancien conseiller de Poutine, le vrai, Vladislav Sourkov. Vadim Baranov est un formidable personnage, éminemment romanesque, éduqué par un grand-père lui-même follement romanesque ( tsariste miraculeusement épargné la guerre civile et les purges staliniennes ) passionné de chasse et de livres, amoureux de la culture occidentale contemporaine, élevé par un père apparatchik disposant du privilège de la vertushka ( ligne téléphonique sécurisée du KGB ). Attiré par les arts d’avant-garde, metteur en scène de pièce de théâtre, Baranov devient producteur de télé avant d’intégrer l’entourage de Poutine.



Le roman s’ouvre sur la mystérieuse rencontre entre le narrateur et Baranov via une passion commune pour l’écrivain dissident Evgeni Zamiatine, pourfendeur du totalitarisme stalinien et inspirateur d’Orwell. Baranov, retiré de la vie politique, l’invite dans datcha et durant toute une nuit lui livre sa vie, son parcours. Si le démarrage est quelque peu survolé et que le procédé narratif de la longue confession-monologue est parfois un peu compact, sans l’aération que pourrait apporter un autre point de vue, tout est passionnant pour révéler les arcanes de l’ère Poutine et l’envers du décor et comprendre pourquoi la domination brutale de Poutine fonctionne sur le peuple russe.



Pour cela, Giuliano da Empoli apporte de la profondeur temporelle à son récit, mettant en lumière les éléments de continuité entre l’ère tsariste, l’ère soviétique et l’époque actuelle, Poutine se reconnectant par sa violence aux périodes suscités. Les pages consacrées aux années Eltsine qui ont suivi la chute de l’URSS, et précédées Poutine, sont particulièrement piquantes, période charnière particulièrement bien analysée par l’auteur : les Russes avaient une patrie, ils se retrouvent avec un supermarché. La seule expérimentation démocratique de l’histoire russe a été catastrophique, « entracte féodal » où les oligarques vont mettre en place un capitalisme échevelé et indécent.



Sous la plume fluide au classicisme soigné de Giuliano da Empoli, se dessine au fusain des scènes nettes, marquantes, qui montrent la métamorphose de Poutine, « blond pâle aux traits décolorés portant un costume en acrylique beige, arborant une mine d’employé » en "Tsar" absolu rétablissant la verticalité du pouvoir réclamé par le peuple, contrôlant la rage populaire pour la tourner vers le matérialisme occidental, maitrisant les terreurs des Russes face à la férocité du monde, le tout enrobé dans une vaste projet de mise en scène et de narration nationale théâtralisant les enjeux intérieurs et extérieurs tout en désinformant massivement. Jusqu’à une pulsion paranoïaque née d’un exercice du pouvoir devenu solitaire.



« Comme Dieu, le Tsar peut être objet d’enthousiasme, mais sans s’enthousiasmer lui-même, sa nature est nécessairement indifférente. Son visage a déjà acquis la pâleur marmoréenne de l’immortalité. A ce niveau, nous sommes bien au-delà de l’aspiration aux belles funérailles dont je vous parlais. L’idéal du Tsar serait plutôt un cimetière dans lequel il se découpe seul, vertical, unique survivant de tous ses ennemis et même de ses amis, de ses parents et de ses enfants. De tous les êtres vivants.(…) Le seul trône qui lui apportera la paix est la mort. »



Je ne sais pas si la vision que l’auteur propose de Poutine est juste, mais ce qui est sûr, c’est qu’après la lecture de ce dense roman, à l’acuité vive et lucide, aux allures de méditation métaphysique du pouvoir, on se sent plus intelligents. Et certainement pas rassurés par les nouvelles qui viennent de l’Est.

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Le mage du Kremlin

Absolument passionnant! Ce roman hypnotique et effrayant sur l’implacable accession au pouvoir de Vladimir Poutine se termine sur des pages aussi sublimes que glaçantes. Il relate l’édifiante trajectoire de Vadim Baranov, personnage de fiction s’inspirant largement du bien réel Vladislav Sourkov, le « Raspoutine du Kremlin», éminence grise de Poutine, un de ses plus proches conseillers celui qui l’aidera à accéder au pouvoir et à asseoir son autocratie avant de disparaître de la scène politique en 2020. Autour d’un verre de whisky près de l’âtre dans sa Datcha isolée où il vit en retrait Baranov va livrer au narrateur du roman le récit fascinant de ses années Poutine et nous embarque avec lui dans les coulisses glaciales du pouvoir russe. Loin des oligarques ou espions qui entourent d’ordinaire le président, ce Machiavel russe est issu lui de la télé-réalité et du théâtre d’avant-garde et justement c’est bien ce que Poutine attend de ce rusé manipulateur : de « mettre en scène le réel » et créer un théâtre politique. Pour parvenir à ses fins les coups les plus retors sont permis «pour construire un système vraiment fort le monopole du pouvoir ne suffisait plus, il fallait celui de la subversion ». Aux côtés de Baranov, qu’il a connu alors qu’il était directeur du FSB (ex KGB) bien avant d’être premier ministre et de succéder à Boris Eltsine, Poutine va rétablir une « verticalité du pouvoir » souhaitant restaurer la pleine souveraineté de la Grande Russie. Il gouverne par la terreur « nous avons compris que le chaos était notre ami, à dire vrai, notre seule possibilité ». Tous les faits sont réels et à travers ce personnage romanesque l’auteur nous éclaire sur le système Poutine alias le Tsar. Mégalomanie, corruption, faux opposants, meurtres, désinformation, propagande, lutte entre courtisans, manipulations de masse, contrôle des réseaux sociaux, complotisme et conspirationnisme …la perversité de ce système et ses conséquences sont finement évoquées dans ce thriller politique. Le « Tsar » « fait partie de la race des grands acteurs », au fil du temps ce « fonctionnaire ascétique » en bon tchékiste se transfigure en « archange de la mort ». On le suit aussi dans les soirées mondaines côtoyant oligarques, généraux des services secrets, hommes politiques et courtisanes.

Le politologue et essayiste Giuliano da Empoli dont c’est le premier roman pénètre la psyché de ses personnages et d’une plume virtuose nous éclaire sur la vision du monde de Poutine sans être moralisateur ni sombrer dans la caricature. Ce livre prémonitoire a été achevé un an avant l’envahissement de l’Ukraine par l’armée russe. De la guerre en Tchétchénie à l’annexion de la Crimée, de la révolution orange à la tragédie du Koursk en passant par les attentats de 1999 contre des immeubles à Moscou et l’invasion de l’Ukraine on traverse l’Histoire de la Russie de ces 3 dernières décennies et on entrevoit les raisons de la guerre russo-ukrainienne. On s’immisce dans le quotidien très ritualisé du président de la Fédération de Russie de plus en plus solitaire qui n’aurait finalement pour seul vrai collaborateur que son labrador. Le roman est ponctué de punchlines et d’aphorismes percutants.

Des pages visionnaires, philosophiques voire métaphysiques sur l’émergence d’une forme de pouvoir absolu lié à la « machine », aux nouvelles technologies, parasites de l’homme et qui pourraient le supplanter, parachèvent magistralement ce grand roman. Lisez le, vraiment. Ne passez pas à côté.
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Le mage du Kremlin

Pour son premier roman, après avoir écrit de nombreux essais, Giuliano da Empoli réussit un prodigieux tour de force, réaliste, prémonitoire et regorgeant d’enseignements que tout un chacun doit connaître pour pouvoir appréhender correctement l’actualité de notre monde bien malade.

S’inspirant d’un personnage réel, Vladimir Sourkov, Giuliano da Empoli crée Vadim Baranov, affectueusement appelé Vadia ou plus précisément Vadim Alexeïevitch. Cet homme qui, après avoir durant vingt ans, inspiré celui qu’il nomme le Tsar, Vladimir Poutine, s’est retiré bien à l’écart de Moscou.

Si le livre débute par une présentation, une mise en ambiance qui m’amène chez Baranov et son impressionnante bibliothèque, le récit devient vite captivant dès que l’ancien conseiller de Poutine commence à parler de son grand-père, un formidable chasseur de loups dans le Caucase, pas d’accord avec les communistes, un aristocrate.

Quant au père de Vadia, Kolya, qui fut pionnier, puis membre du Komsomol, la jeunesse communiste, il se caractérise par une extrême prudence. Comme il est Directeur de l’Académie, il projette des films. Cela profite à son fils qui poursuit un récit de plus en plus captivant.

Voilà donc Baranov artiste, producteur d’émissions de télé-réalité, amoureux de Ksenia et grand ami de Mikhaïl Khodorkovski, un futur oligarque qui a réellement existé comme beaucoup d’autres dont le personnage autour duquel va tourner toute l’histoire, celui que l’on nomme : le Tsar.

Ainsi, Baranov parle de Boris Eltsine, d’Édouard Limonov que l’excellent Emmanuel Carrère m’avait fait découvrir mais aussi d’Igor Sechine, de Bill Clinton… La présentation de Baranov au chef du FSB, l’ancien KGB, concoctée par Boris Berezovsky, homme d’affaires magnat de la télévision, relève d’une extrême finesse dont les conséquences seront bien vite visibles.

C’est en août 1999 que les Russes apprennent qu’un nouveau premier ministre vient d’être nommé, un inconnu, un certain Vladimir Poutine… Alors, Vadim Baranov s’affirme peu à peu comme Le Mage du Kremlin, travaillant plus de dix-huit heures par jour avec le Tsar.

L’irrésistible ascension de Vladimir Vladimerovitch se poursuit de jour en jour. Il sait à merveille exploiter chaque événement pour asseoir son autorité. La Tchétchénie, les deux immeubles de Moscou détruits par des explosions avec des centaines de victimes lui donnent l’occasion de tester la verticalité du pouvoir ce qu’il ne cessera de développer comme nous le constatons toujours aujourd’hui.

Très habilement, l’auteur, au travers du récit de Baranov, décrit parfaitement un engrenage inexorable qui permet de comprendre ce qui se passe en Ukraine depuis quelques mois. Dire que Giuliano da Empoli a terminé son manuscrit en 2021 et que ce qu’il écrit est d’une actualité brûlante !

J’ai été aussi très impressionné par l’organisation des J.O. d’hiver à Sotchi, « dans une ville subtropicale ». La mégalomanie est à son comble et le Mondial de foot au Qatar est du même acabit.

Dire qu’un Président de la République vient d’oser affirmer récemment : « Il ne faut pas politiser le sport »… alors qu’il me semble que c’est fait depuis longtemps…

Quand dira-t-on stop à ces organisations démesurées qui plombent de plus en plus notre planète ? Ah, vous avez dit : « JO de Paris ? »… Faudra voir et être d’une grande vigilance, mais c’est déjà trop tard.

L’annexion de la Crimée, celle du Donbass, tout y est. Si la Russie a fait sa Révolution puis a vécu soixante-dix ans de Communisme, elle sous la dictature d’un seul homme et cela l’auteur le fait parfaitement comprendre. Cela me fait penser au dernier roman signé Iegor Gran : Z comme Zombie.

De plus, Giuliano da Empoli me fait aussi toucher du doigt l’emprise des robots sur l’espèce humaine, jusqu’à ce que l’un d’entre eux prenne définitivement le pouvoir ?

Le Mage du Kremlin est un roman on ne peut plus réaliste qui m’a impressionné, qui m’a bien fait réfléchir sur ce qui se passe en ce moment et sur tous les risques qui planent sur nos têtes. C’est vraiment un roman parfaitement écrit et dont il faudrait citer des pages entières. Il se lit presque en apnée. C’est un livre indispensable pour comprendre à quoi jouent nos dirigeants mais, pour le reste, le compte à rebours semble déjà bien enclenché…


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Le mage du Kremlin

Pour son premier roman, Giuliano da Empoli nous invite dans les coulisses du Kremlin afin de mieux comprendre la société russe, ainsi que la personnalité de son dernier dictateur en date. Ancien conseiller de l’homme d’État Matteo Renzi, Giuliano da Empoli est un politologue italien déjà connu en tant qu’essayiste, mais qui livre ici un ouvrage terminé en janvier 2021, un an avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, que l’on qualifiera donc volontiers de visionnaire.



Le mage dont il est question n’est autre que Vladislav Yuryevich Sourkov, l’ex-éminence grise du « Tsar » Vladimir Poutine. Rebaptisé Vadim Baranov dans le roman, ce personnage de l’ombre qui a passé quinze années au service de Poutine, nous éclaire sur les arcanes du pouvoir russe lors de ces trente dernières années. Depuis l’âtre de sa datcha en périphérie moscovite, où il vit isolé, voire caché depuis sa « retraite », le narrateur partage le récit captivant de ses années au sommet du pouvoir…



De la fin des années Eltsine aux prémices de la guerre en Ukraine, en passant par la crise tchétchène, l’annexion de la Crimée et les jeux Olympiques de Sotchi, celui que l’on surnomme « le Raspoutine de Poutine » raconte le parcours incroyable de ce chef obscur du FSB qui accède d’abord au poste de Premier ministre avant de devenir le tsar incontesté d’une Russie revenue aux avant-postes de la scène internationale. En dressant le portrait d’un mégalomane solitaire s’étant débarrassé de toute opposition au fil des années, il invite à comprendre cette politique de violence, de propagande et de désinformation, totalement incompréhensible pour la plupart des Occidentaux…jusqu’à la lecture de cette fiction au réalisme effrayant !



Coup de cœur !
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Le mage du Kremlin

Depuis que Vadim Baranov, celui que l’on appelait « le mage du Kremlin », « le nouveau Raspoutine », a démissionné de son poste de conseiller de Vladimir Poutine, on ne sait pas très bien ce qu’il est devenu.

Un français, le narrateur, qui vient d’arriver à Moscou pour travailler sur un projet de réédition du roman dystopique « Nous » de Zamiatine va fortuitement le retrouver et être invité à le rencontrer.

Vadim Baranov va alors lui confier son histoire. Dans un long monologue, après avoir évoqué son grand-père, survivant des purges staliniennes, son père qui a tout perdu à l’arrivée de Gorbatchev, tout ce qu’il avait réussi à construire en un demi-siècle, il va dérouler les vingt dernières années de l’histoire de la Russie, depuis la fin de l’URSS jusqu’à aujourd’hui, et raconter comment il est devenu l’éminence grise de Vladimir Poutine, qu’il nomme le Tsar.

Vadim Baranov, homme de théâtre et de télévision, ancien élève de l’Académie d’art dramatique de Moscou et qui aime bien son travail, va se voir proposer par Boris Berezovsky, le milliardaire, propriétaire de l’ORT, la première chaîne de la télévision russe récemment privatisée de passer au niveau supérieur : « Que dirais-tu de cesser de créer des fictions pour commencer à créer la réalité ? », la première chose dont on a besoin c’est d’un parti !

Les élections présidentielles approchant, l’influent oligarque lui donne rendez-vous au siège du FSB, l’ancien KGB. Introduits dans le cabinet du patron qui n’est autre que Vladimir Poutine, Berezovsky propose à ce dernier de « prendre les rênes de la situation pour faire passer la Russie dans le nouveau millénaire », pour restaurer la verticalité du pouvoir, l’assurant qu’il sera à ses côtés à tout moment pour le conseiller et l’aider.

Quelques jours plus tard, acceptant la proposition de Berezovsky, ce n’est pas lui que Poutine invite à déjeuner, mais Vadim Baranov à qui il demande d’être son conseiller et s’il accepte la proposition de travailler exclusivement pour lui. Cette improbable collaboration durera une quinzaine d’années.

Nous voilà alors plongés dans les arcanes du pouvoir de Poutine et amenés à rencontrer les personnages qui ont marqué l’histoire de la Russie depuis vingt ans, Mikhaïl Khodorkovski, l’ami de lycée de Vadim devenu oligarque, Boris Berzovsky déjà présenté, Sechine, le fidèle secrétaire de Poutine, mais aussi Prigogine « son cuisinier », Limonov, ou encore Alexandre Zaldostanov, président du club de motards « Les Loups de la nuit », avec bien sûr, au premier plan, ce fameux mage du Kremlin, Vadim Baranov, personnage de fiction, derrière lequel se cache Vladislav Sourkov.

Quand, à l’été 99, « le vieil ours » Boris Eltsine désigne comme premier ministre Vladimir Poutine, la nouvelle est accueillie par un scepticisme général.

Mais, deux bombes vont exploser dans la périphérie de Moscou et ces attaques commises à l'explosif et à la voiture piégée vont être officiellement attribuées par les autorités russes à des indépendantistes Tchétchènes. L’aviation russe va alors bombarder l’aéroport de Grosny : « Au sommet, il y avait à nouveau quelqu’un capable de garantir l’ordre. Ce jour-là, Poutine est devenu Tsar à part entière. »

Je n’ai pu m’empêcher d’être surprise par les ruses utilisées par Berezovsky pour que Boris Eltsine soit réélu avec une large majorité malgré son état de santé déplorable, et comment alors Berezovsky est devenu le vrai patron de la Russie.

De même j’ai été outrée en revivant cette scène absolument surréaliste dans laquelle cet homme complètement isolé reçoit, accompagné de son gigantesque labrador noir, Angela Merkel dont on connaît la phobie pour les chiens depuis qu’elle avait failli être déchiquetée par le rottweiler du voisin à l’âge de huit ans.

De la guerre en Tchétchénie, en passant par l'annexion de la Crimée, l'occupation du Donbass, ou encore la mise en scène de la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques de Sotchi, le mage du Kremlin, a dû concrétiser les souhaits du Tsar, tout en les orientant, contribuant à construire ce système.

Le politologue Giuliano da Empoli qui a lui-même fréquenté les coulisses du pouvoir, en dévoilant les dessous de l’ère Poutine dans ce magnifique ouvrage, Le Mage du Kremlin, offre une réflexion brillante et passionnante et une sublime méditation sur l’exercice du pouvoir dans sa forme la plus absolue. 

Il raconte avec une écriture simple et efficace l’ascension et la consolidation du pouvoir de Poutine, en en révélant la face cachée, décortiquant l’ensemble des évènements et leur enchaînement, ainsi que les raisons qui ont conduit à l'invasion de l'Ukraine le 24 février 2022.

Dans ce pays gagné par le chaos, les électeurs seront reconnaissants à Poutine d’avoir restauré la verticalité du pouvoir en Russie. 

Tout en étant très romanesque, Le mage du Kremlin, ce récit de celui qui a en a été le plus puissant stratège, est un roman très documenté, particulièrement éclairant, stupéfiant et suffocant. S’il est oppressant et effrayant, les dernières pages sont apocalyptiques car le pire nous attend, dit le mage, avec l'avènement d'une puissance qui n'aura bientôt "plus besoin de la collaboration humaine".

Sacré Grand Prix du Roman de l’Académie française, Le Mage du Kremlin est captivant de bout en bout et d’une implacable lucidité.


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Les ingénieurs du chaos

Connaissez-vous Gianroberto Casaleggio, Steve Bannon, Dominic Cummings, Arthur Finkelstein ? A peine, un peu, beaucoup peut-être, vaguement certainement…Ce sont eux que Giuliano da Empoli vise dans cet essai qui fait froid dans le dos, ces personnes qu'il dénomme « Les ingénieurs du chaos », personnages de l'ombre, souvent diplômés, qui ont imaginé, bâti puis huilé les engrenages techniques, technologiques, notamment informatiques, qui sous-tendent la montée de l'extrême droite partout dans le monde. Les hommes-orchestre des populismes. Respectivement, dans cet essai, en Italie, aux Etats-Unis, en Angleterre, en Hongrie. Il est fait allusion également au Brésil et à la France.



Cette lecture s'est imposée à moi. D'abord parce que cette semaine Idil ( @Bookycooky ) a publié une critique fort intéressante sur le dernier livre de Giuliano da Empoli, « le mage du Kremlin », ensuite parce que entendre cet auteur italien cette même semaine sur France Culture analyser la situation politique de la France m'a donné une irrésistible envie de prise de recul et de compréhension. Faire le point non pour juger, condamner mais pour comprendre. Et cet essai est édifiant.



L'auteur démarre son analyse avec le Carnaval, fête qui, depuis le Moyen-Age permet au peuple de renverser temporairement et de manière symbolique toutes les hiérarchies instituées entre le peuple et le pouvoir, « entre le noble et le trivial, entre le haut et le bas, entre le raffiné et le grossier, entre le sacré et le profane ». Une fête abolie un peu partout, la frontière entre le ludique et le politique étant assez mince. L'esprit subversif du Carnaval s'est ensuite retrouvé dans les pamphlets et dans les caricatures des journaux, puis plus récemment dans les shows télévisés et les invectives des trolls sur internet.



« Mais ce n'est qu'aujourd'hui que le Carnaval a finalement abandonné sa place préférée, aux marges de la conscience de l'homme moderne, pour acquérir une centralité inédite, se positionnant comme le nouveau paradigme de la vie politique globale ».



Derrière les apparences débridées de cette fête populaire qu'est le Carnaval, qui a lieu désormais sur Internet, se cachent le travail acharné d'idéologues, souvent des scientifiques et des experts en Big Data, tirant les ficelles du jeu politique et permettant aux populistes de prendre le pouvoir. Sans nier les autres causes de la montée en flèche de ces partis, notamment la colère du peuple, voire sa rage, qui se fonde sur des causes économiques et sociales réelles, mais qui n'arrive plus à être canalisée, l'auteur entend se focaliser sur les actions de ces ingénieurs de l'ombre et expliquer par le menu leurs méthodes. Leurs méthodes glaçantes. Qui se fondent justement sur cette rage, source d'énergie colossale, qui l'exploitent en en comprenant les codes et en maitrisant la technologie. Ils réalisent sans vergogne l'union de la colère et des algorithmes en attirant les foules sur la base d'un contenu décalé, transgressif, rendant la politique traditionnelle fade et soporifique et transformant la nature du jeu démocratique.



« Pour la première fois depuis longtemps, la vulgarité et les insultes personnelles ne sont plus tabous. Les préjugés, le racisme, le sexisme sortent du bois. Les mensonges et les complots deviennent une clé d'interprétation de la réalité ».



Sans doute parce qu'il est italien, Giuliano da Empoli démarre avec le cas de l'Italie, cette « Silicon Valley du populisme », et le cas Gianroberto Casaleggio, expert en marketing. L'auteur raconte, et ça se lit telle une bonne fiction, la naissance puis l'épanouissement du Mouvement 5 étoiles, société de marketing digital, tirant les ficelles des marionnettes Beppe Grillo (un humouriste) et Luigi di Maio, vice-premier ministre, ancien stewart. La façon dont ce mouvement manipule via un blog les foules de façon toute orwelienne sous couvert d'écoute, d'empathie, de compréhension est éclairante. En donnant en effet l'impression d'appartenance à un collectif qui se renouvelle, d'être écouté et reconnu en participant à ce blog, sans subir la discrimination fondée sur le revenus ou le niveau d'éducation. Alors que ces personnes ne sont en réalité que les instruments de l'ambition de pouvoir d'un petit nombre.



« Il ne s'agit pas d'hommes politiques qui engagent de techniciens mais bien de techniciens qui prennent directement les rênes du mouvement en fondant un parti, en choisissant les candidats les plus aptes à incarner leur vision, jusqu'à assumer le contrôle du gouvernement de la nation entière ».



A noter que la colère mentionnée seule n'explique pas l'ampleur du bouleversement en cours. Ce ne sont pas nécessairement les gens les plus pauvres, ni les plus exposés à l'immigration qui se jettent dans les bras de ces partis populistes. L'auteur le souligne. L'Internet, les smartphones, les réseaux sociaux y sont également pour quelque chose dans cette transformation du peuple.



Les ingénieurs du chaos ce sont justement ceux également à l'origine des algorithmes de Facebook, de Google, ces fameux algorithmes qui vous enferment dans des bulles filtrantes, ne vous donnant que ce qui vous intéresse, vous confortant dans vos idées, vos gouts, vos croyances. C'est connu, pourtant les chiffres édifiants donnés par l'auteur nous interpellent : une fausse information a, en moyenne, 70 % de probabilité en plus d'être partagée sur Internet, car elle est en général plus originale qu'une vraie. Ou encore la vérité prend six fois plus de temps qu'une fake news pour toucher 1500 personnes…voilà des outils parfaits pour ces partis…

Les sites, les blogs, les pages Facebook des extrémistes sont les terreaux fertiles de candidats comme Trump, Orban, Bolsonaro et Salvini. Où le but n'est pas de se fonder sur des faits, expliqués et argumentés, cette vieille politique ronflante, mais sur des émotions négatives et des ressentis. L'intensité narrative prévaut sur l'exactitude des faits. A coup de fake news, d'injures, de complots, de mensonges…tel est le nouveau style politique, sans tabou.



Je pense aux jeunes qui sont les témoins de cette nouvelle forme de politique façonnée par Internet et par les nouvelles technologies…et c'est angoissant. Comme le souligne l'excellente critique de @Aquilon62 : « il est peu probable que les électeurs, accoutumés aux drogues fortes du national-populisme, réclament à nouveau la camomille des partis traditionnels ».



Par ailleurs, l'analyse par l'auteur de Donald Trump et de son ascension, est certes connue mais toujours aussi bluffante. J'ai aimé lire ces pages qui permettent de faire le point sur cet incroyable personnage burlesque et son utilisation d'outils sophistiqués pour sa promotion et sa victoire contre Hillary Clinton.



L'ascension de Viktor Orban est également sous les feux des projecteur de Giuliano da Empoli, où là encore, nous avons affaire à une politique opportuniste, guidé par un algorithme, qui a soif de pouvoir. Avec un ingrédient supplémentaire : le sentiment de frustration accumulé par les pays de l'Est dans cet effort pour tenter de rattraper les économies occidentales après la chute du mur de Berlin, rattrapage les éloignant de leurs valeurs traditionnelles et les rapprochant du multiculturalisme et du mariage homosexuel. Frustration jusqu'à produire une inversion radicale.



Enfin l'aventure du Brexit est expliquée sous l'angle de l'ingénierie ayant contribué à aboutir à ce résultat…Notamment est souligné le travail des ingénieurs « grâce » auquel chaque électeur a reçu un message ad-hoc, personnalisé : « pour les animalistes, un message sur les réglementations européennes qui portent atteinte aux droits des animaux ; pour les chasseurs, un message qui porte sur les règlementations européennes qui protègent les animaux ; pour les libertaires, un message sur le poids de la bureaucratie de Bruxelles et pour les étatistes un message sur les ressources soustraites à l'Etat Providence pour les transferts à l'union ». Messages qui ont pu être optimisés en continu, en fonction des clics enregistrés en temps réel.



Du beau travail de synthèse, éclairant, que nous offre là cet auteur italien !



Hier 26 avril 2022, Elon Musk s'est offert Twitter pour le rendre plus libre, moins surveillé, arène pour la libre expression…lorsqu'on vient de lire ce livre, cette nouvelle fait encore plus froid dans le dos…Elon Musk a-t-il un projet politique derrière la tête ? Voilà la question qui vient immédiatement à l'esprit.



Une lecture nécessaire édifiante pour prendre du recul et mieux comprendre la progression de l'extrême droite actuellement partout dans le monde.

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Le mage du Kremlin

Lui-même ancien conseiller de Matteo Renzi, l’auteur d’essais politiques Giuliano da Empoli ressent une telle fascination pour Vladimir Sourkov, « le Raspoutine de Poutine », pendant vingt ans l’éminence grise du dictateur avant de disparaître mystérieusement des radars en 2020, qu’elle lui fait franchir le pas vers la fiction avec ce roman librement inspiré de ce que l’on sait du parcours de cet homme.





Rebaptisé Vadim Baranov, le « Mage du Kremlin » reçoit le narrateur dans sa datcha discrètement située à l’écart de Moscou, et lui confie le récit des deux décennies qui l’auront vu accompagner l’impressionnante transformation en « Tsar » de celui qu’il a d’abord connu pâle et obscur directeur du Service Fédéral de Sécurité, puis chef de gouvernement d’un Boris Eltsine exténué. Venu du théâtre d’avant-garde et de la téléréalité, l’homme décrit froidement son décryptage de la société russe et la manière dont, avec Poutine, ils ont entrepris la cynique manipulation de sa violence intrinsèque, mettant en œuvre les concepts de « verticale du pouvoir » et de « démocratie souveraine » au moyen d’une théâtralisation machiavéliquement en trompe-l’oeil de leur politique.





Usant sans vergogne de la désinformation pour exploiter les colères d’en-bas ; rassemblant l’en-haut en une cour de courtisans tétanisés et d’oligarques gavés, tous matés par la terreur des assassinats, des disgrâces retentissantes et des exils punitifs, ils ont assis le pouvoir absolu d’une dictature déguisée en démocratie, dans un pays dont Poutine poursuit la consolidation en insufflant le chaos au-delà de ses frontières. Et pendant que des geeks russes s’ingénient à s’infiltrer dans toutes les failles des systèmes occidentaux, que des agitateurs à la solde de la Russie s’emploient à souffler sur les moindres braises susceptibles d’affaiblir l’Amérique et l’Europe, c’est désormais de la revendication comme russes de territoires tels la Crimée, le Donbass, et maintenant l’Ukraine entière, dont se sert Poutine pour botoxer sa souveraineté nationale en déstabilisant l’équilibre du monde.





Mais l’on ne reste pas indéfiniment l’homme de confiance d’un tyran, un jour immanquablement gêné par tout ce qui le lie à son ombre, et alors tenté « de résoudre le problème en éliminant la cause ». Dans cette fiction, le conseiller choisit de s’éclipser à temps, conservant tout le loisir de méditer sur cette glaçante histoire de pouvoir, conclue par une solitude abyssale, mais aussi de rêver – on ne se refait pas – aux potentialités infinies que cet éternel Machiavel entrevoit diaboliquement dans les évolutions technologiques, entre robotisation et digitalisation, pour contrôler le monde et les individus comme jamais le KGB n’aurait oser en rêver…





Certes improbablement mis en scène sur les confidences d’un homme de l’ombre subitement très loquace, le récit est une époustouflante traversée du miroir qui, en nous plongeant dans la tête de Poutine, nous fait vivre de son point de vue le chaos consécutif à la chute du système soviétique, le triomphe d’un capitalisme débridé et le règne d’une oligarchie vautrée dans une orgie d’opulence et de violence, le tout sous le regard condescendant d’Occidentaux érigés en vainqueurs… La plume incisive de Giuliano da Empoli fait mouche à chaque phrase, et c’est suspendu à ce texte aussi éclairant que passionnant que l’on s’immerge, subjugué, dans les rouages de la Russie contemporaine et dans les arcanes d’un pouvoir politique que l’auteur connaît si bien. Ecrit un an avant le début de la guerre en Ukraine, ce livre prend aujourd’hui la valeur d’un oracle… Coup de coeur.


Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Les ingénieurs du chaos

Les ingénieurs du chaos du titre sont ceux qui ont compris avant les autres que la rage était une source d'énergie colossale, et qu'il était possible de l'exploiter pour réaliser n'importe quel objectif, du moment qu'on en comprenait les codes et qu'on en maîtrisait la technologie. Avec la montée des mouvements et parties populistes en Europe et outre-Atlantique, la rage contemporaine basée sur des causes sociales et économiques réelles, n'arrivant plus à se canaliser, dans la religion ou autres idéologies de gauche disparues à jamais, explose dans un Carnaval populiste aux apparences débridées. Pourtant loin d'être débridé ce Carnaval est orchestré, caché dans les coulisses, par le travail acharné de dizaines de spin doctors, d'idéologues et, de plus en plus souvent , de scientifiques et d'experts Big Data sans lesquels les leaders populistes ne seraient jamais venus au pouvoir.

Ainsi parmi ces ingénieurs du chaos,

En Italie, Casaleggio père, aujourd'hui décédé, à sa place son fils Davide Casaleggio

derrière le Mouvement 5 étoiles , une société de marketing digital ( Casaleggio Associati )au pouvoir, qui tire les ficelles des marionnettes Beppe Grillo et Luigi di Maio, vice-premier ministre ayant à son actif dans son passé qu'un seul boulot, employé comme steward au stade San Paolo à Naples. Les Casaleggio, une dictature sans précèdent,

Arthur Finkelstein, le grand conseiller derrière Viktor Orban le dictateur hongrois,

Facebook, l'algorithme déchaîné du réseau social californien, qui mixant l'épidémie de colère aux appels à la révolte des extrémistes de droite et de gauche, les fake News et les théories de complots provenant des sources les plus variées, derrière le mouvement des Gilets Jaunes,

Steve Bannon, l'homme orchestre du populisme américain, derrière Trump, celui qui l'a conduit au pouvoir, aujourd'hui au chômage et qui passe son temps en Europe dans les suites des hôtels les plus luxueux pour fonder une Internationale populiste afin de combattre ce qu'il appelle le parti de Davos des élites globales ?.....et grand copain de Mme le Pen,

D.M. Cummings* et les physiciens derrière le Brexit,

Mais aussi des ingénieurs de petits calibres, Luca Morisi, docteur en philosophie de l'Université de Vérone, qui gère " La Bête " ( explication dans le livre), derrière Matteo Salvini, l'autre clown de la Ligue du Nord, au pouvoir en Italie.



Pour les ingénieurs du chaos " le populisme nait de l'union de la colère avec les algorithmes". Quand à leur contenu concret ," pour la première fois depuis longtemps, la vulgarité et les insultes personnelles ne sont plus des tabous. Les préjugés, le racisme, le sexisme sortent du bois. Les mensonges et les complots deviennent une clé d'interprétation de la réalité."



Des expérimentations orweliennes qui donnent froid au dos mais qu'il faut malheureusement connaître, car elle sont déjà actuelles, et seront de plus en plus efficaces dans le proche futur. Des hommes dont l'intelligence maléfique ou non, engendre des systèmes virtuels impossible à saisir ou à contrôler et qui finiront par chambouler le peu qu'il en reste de l'ordre mondial, à jamais.....Même si on en connaît déjà une part de ce qui est écrit dans ce livre, je le conseille fortement vu la riche documentation et l'argumentation qu'il renferme. Cette lecture est aussi l'occasion pour chacun de nous, pour une prise de conscience des frontières de la "terra incognita" dans laquelle nos démocraties ont commencé à s'enfoncer, où oeuvrent physiciens et autres scientifiques pour une politique quantique dont le but est de pouvoir manipuler les populations le plus efficacement possible. Non ce livre n'est pas de la science fiction, c'est l'actualité même.

Écrit par un journaliste et écrivain italien, une brillante analyse de notre monde politique actuel.





*Cummings lui-même écrit que "si Victoria Woodcock, la responsable du software employé dans la campagne, avait été renversée par un autobus, le Royaume-Uni serait resté dans l'Union européenne ".



Un grand merci aux Éditions J.C.Lattés et NetGalleyFrance pour l'envoie de ce livre.

#LesIngenieursDuChaos# NetGalleyFrance

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Le mage du Kremlin

Ça aurait pu s’appeler « Poutine pour les nuls ».

Sous le prétexte d’un personnage fictif influent, Vadim Baranov, qui aurait été le conseiller secret du Tsar, l’auteur raconte comment on en est arrivé, avec le conflit russo-ukrainien, à une guerre en Europe, ou peut-être même une Europe en guerre ?

Il explique comment la société russe a très mal digéré le modèle capitalo-décadent occidental appliqué à une nation pour qui l’argent n’a pas la valeur que les occidentaux lui donnent car ils placent le patriotisme tout en haut de leur échelle de valeurs, d’autant qu’ils ont connu des périodes, bolcheviques, soviétiques où il n’y avait pratiquement pas d’argent.

Ainsi, pour réparer les « erreurs » de Gorbatchev ou d’Eltsine, Poutine, patron du KGB est propulsé au pouvoir avec comme seule idée, restaurer la grandeur de la Russie et préserver son unité.

« Le mage du Kremlin » explique aussi le rôle qu’auraient joué les États-Unis avec la révolution orange en Ukraine et la politique de l’autruche pour ne pas dire l’attitude méprisantes des pays dits démocratiques vis-à-vis de l’ex-URSS.

Il ressort de cette lecture que tant que l’occident voudra imposer ses idées et son modèle démocratique à des sociétés qui n’ont pas la même histoire, pas la même culture, pas la même évolution ou qui ne vivent pas dans le même siècle, ça n’aboutira qu’à un rejet de ce modèle politique et à une situation de chaos, les repères qu’avaient les populations étant perdus.

Bien que ce soit une fiction, « Le mage du Kremlin » offre une analyse fine de la société russe et de la culture slave. Si on avait pris en compte les particularités de cette culture au lieu d’agir en colonisateur économique et idéologique, les évènements se seraient peut-être passés différemment. Quand on dit qu’il faut éviter l’humiliation, on est au cœur du problème, ce qui n’empêche pas de montrer au cafard le talon prêt à l’écraser sans pour autant que cela ne porte atteinte à sa dignité.

C’est une lecture passionnante, il y a beaucoup d’idées très pertinentes. A découvrir absolument car c’est rare de lire de nos jours quelque chose qui éclaire autant sur une situation géopolitique aussi confuse et aussi incompréhensible, vue de l’occident.

Editions Gallimard, collection blanche, 280 pages.

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Le mage du Kremlin

Le Mage du Kremlin me semble être l’un des ouvrages essentiels de cette rentrée et ce pour (au moins) trois raisons.



Vadim Baranov en évoquant la mémoire de son père et de son grand-père rappelle la vocation de la Russie, patrie de Dostojevski et Tolstoi, de Sakharov et de Soljenitsyne, nation qui (comme l’Ukraine) a une longue et ancienne amitié avec la notre, une relation à rétablir dès que « l’opération spéciale » sera achevée, en espérant que l’Europe pacifiée pourra tendre la main aux Russes et nous réunir en respectant nos différences.



Le Raspoutine de Poutine décrit ce que fut la Russie à la chute de l’URSS et montre comment et par qui le « Tsar » fut sélectionné et mis sur orbite pour gagner l’élection présidentielle, mobiliser contre la terreur islamique et mettre fin aux attentats tchétchènes qui ensanglantaient Moscou. Il détaille l’art avec lequel le « Tsar » s’est débarrassé des oligarques, puis progressivement de toute opposition. Il dissèque le pouvoir autoritaire, personnel, totalitaire qui en résulte et qui aboutit au drame actuel.



Giuliano da Empoli avertit que les mécanismes qui ont porté Poutine au pinacle et assurent son pouvoir, ne sont pas le monopole de la Russie (ou de la Chine), et qu’ils sont une menace pour nous aussi car un robot ne se rebelle pas et suit les ordres à la lettre. Cette conclusion prolonge les avertissements de Saint-Exupéry dans sa lettre au Général Chambre et l’actualise dans notre univers où les drones, les réseaux sociaux et la prétendue Intelligence Artificielle prennent chaque jour plus d’importance.



Ce roman, cette fiction d’une brutale actualité, enseigne beaucoup sur notre société, et pas seulement sur la Russie de Poutine, et m’incite à acquérir « Les ingénieurs du chaos » pour poursuivre ma route en compagnie de cet auteur.



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Le mage du Kremlin

L’homme qui murmure à l’oreille des dictateurs.

Dialogue de sourd entre une éminence grise et une imminence sombre.

La figure du conseiller occulte est par nature très romanesque. Les hommes de l’ombre prennent bien la lumière et ils génèrent autant de répulsion que de fascination. Je dois avouer qu’en tant que lecteur, ces intrusions dans les coulisses du pouvoir m’attirent davantage que le nombril d’écrivains casaniers ou les recettes du bonheur de mangeurs de graines.

Giuliano da Empoli, malgré son pédigrée de gigolo à pochettes, est un essayiste, un président de think tank, un conseiller politique, ancien maire adjoint à Florence, prof à Science Po, qui a trouvé le temps pour écrire ce premier roman auquel je décerne mon titre de Livre de l’année… dernière. Oui, même côté lectures, je ne suis pas très précoce.

Le politologue n’a pas trouvé l’inspiration dans un goulag mais dans le parcours d’un ancien conseiller de Poutine, Vladimir Sourkov, renommé ici Vadim Baranov. Ancien cultureux, féru de théâtre et de rap, reconverti dans la production d’émissions de téléréalité, Baranov va être chargé de mettre en scène le futur tsar, scénariser sa politique, gaver et dresser les oligarques (oligo-éléments du pouvoir), réécrire l’histoire et dépoussiérer le mythe de la Grande Russie. Il sera le directeur artistique des J.O de Sotchi avant de perdre peu à peu son influence et se retirer de la politique avant que cela dégénère. L’ingratitude du pouvoir pour ses chouchous. Courtisans à la courte paille. Il avait participé au choix de la marionnette mais Pinocchio a rompu les fils.

Sa retraite anticipée lui permet de fréquenter à nouveau de vieux livres et d’avoir le temps de raconter au narrateur son parcours et les dessous peu reluisants de l’ère Poutine. C’est passionnant de bout en bout, très bien écrit et l’auteur parvient à nous décrire comment ce régime se construit par réaction à l’occident en opposant ses outrances assumées à la tiédeur otanesque. Cette méditation sur le pouvoir par la force n’est pas sans rappeler certains écrits de Machiavel. Et côté management, on s’en doutait un petit peu, mais le pouvoir russe tient à sa verticalité. Il ne faut pas lui parler de co-construction ou d’intelligence collective. Un chef est là pour cheffer.

J’ai également été très intéressé par la description psychologique de la population russe et les effets du pouvoir sur les puissants.

Plus qu’inspirée de faits réels, ce roman a été récompensé par le Grand Prix du roman de l’Académie française à juste titre selon moi.

Un billet sur un mage le jour de l’Epiphanie. Notez l’effort. Je reprendrai bien une petite part de galette moi.

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Le mage du Kremlin

Giuliano Da Empoli est un écrivain et conseiller politique italo-suisse, auteur d’essais écrits dans sa langue natale mais également en français. « Le mage du Kremlin », écrit en français, est son premier roman. L’auteur insère habilement des personnages romanesques au sein de la réalité crue du pouvoir russe de la fin des années 90 au milieu des années 2010, marquées par la prise du pouvoir par un tsar d’un genre nouveau, un certain Vladimir Poutine.



Le personnage de Vadim Baranov, qui incarne le mage du Kremlin, est inspiré de Vladislav Sourkov, ancien conseiller de Poutine, dont la vie évoque un roman.



Le narrateur est un universitaire qui se trouve à Moscou pour travailler sur une possible réédition de « Nous », le chef d’oeuvre dystopique d’Eugène Zamiatine, ainsi que sur un documentaire consacré au génial écrivain russe du début du XXème siècle. C’est en publiant des tweets évoquant l’auteur dissident qu’il va se faire repérer par Vadim Baranov, alors tombé en disgrâce depuis plusieurs années. Ce dernier le convoque dans sa datcha pour lui narrer son histoire.



La structure du récit de Baranov m’a rappelé les romans de mon enfance. Si quelques souvenirs épars parsèment le roman, celui-ci reste fidèle à une narration linéaire classique, qui débute par l’enfance et l’entrée dans la vie d’adulte du héros, puis se concentre sur son rôle de conseiller auprès de Vladimir Poutine. Le livre évite également la multiplication des points de vue en se focalisant sur le ressenti de Baranov. Ce retour à une forme de simplicité romanesque s’éloigne de la virtuosité kaléidoscopique prisée par nombreux auteurs contemporains, et offre au lecteur une expérience de lecture rafraîchissante.



L’idée-force de l’auteur est simple : profiter de la puissance narrative inégalée de la forme romanesque pour mieux nous plonger au coeur des ténèbres du pouvoir russe. En immergeant Baranov, un héros fictif bien qu’inspiré d’un personnage réel, dans la « réalité » d’une Russie contemporaine en pleine mutation, Giuliano Da Empoli, dresse un tableau au réalisme saisissant, et décrypte avec un plaisir non feint le dessous des cartes.



Le retour sur l’enfance du héros permet à l’auteur de nous dessiner les contours d’une Russie qui vit la fin de soixante-dix longues années de communisme. Il s’attarde également sur la figure tutélaire d’un grand-père amoureux de la culture qui refuse les codes du communisme tout en réussissant à éviter le goulag, et d’un père qui a choisi une carrière de fonctionnaire au service du régime. L’entrée dans l’âge adulte du héros coïncide avec ce moment d’effervescence unique qu’a représenté la chute du communisme. Tandis que la génération de ses parents est désarçonnée par la libéralisation de tout un empire, les compères de Baranov, qui n’ont pas renié leur âme slave, vivent cette période dorée, comme une bouteille de champagne qui explose au milieu d’une fête sans fin.



« Au centre, il avait la télévision. Le coeur névralgique du nouveau monde qui, avec son poids magique, courbait le temps et projetait partout le reflet phosphorescent du désir ».



Après une jeunesse bohème et une histoire d’amour avortée avec la magnifique Ksenia, le héros dévient rapidement metteur en scène puis producteur d’émissions de télé-réalité. Cette notoriété aussi soudaine que fulgurante lui vaut d’être présenté à celui qui n’est encore que le chef du FSB et s’apprête à prendre la succession d’un Boris Eltsine vacillant. Le très beau titre du premier roman de Giuliano Da Empoli nous laisse deviner la suite : Baranov va devenir le mage du Kremlin. Trop jeune pour jouer les éminences grises, il sera le conseiller politique atypique de Poutine et l’accompagnera dans son accession au pouvoir puis dans l’exercice de celui-ci.



Trop cultivé, trop désinvolte, trop lucide aussi, le héros ne se glissera jamais dans des habits de courtisan qui ne sont pas taillés pour lui. Cette singularité lui confère une place à part dans la cour qui entoure le nouveau tsar. Si elle constitue un avantage sur les sbires un peu tristes du pouvoir, elle pourrait également précipiter sa déchéance.



« Le mage du Kremlin » est un traité de géopolitique déguisé en roman. La forme romanesque enlevée et maitrisée à la perfection par l’auteur, lui permet d’aborder, sans avoir l’air d’y toucher, ces moments clés qui ébranlèrent le plus grand pays du monde. De la prise de pouvoir de Poutine à la crise ukrainienne, en passant par la guerre en Tchétchénie et les jeux olympiques de Sotchi, le roman parcourt la vie politique russe sur une période de vingt-cinq ans, allant du début des années 90 au milieu des années 2010.



Toute l’originalité de l’ouvrage consiste à nous proposer un point de vue que nous avons peu l’habitude d’examiner : celui des Russes. L’auteur s’affranchit de la lecture occidentale que nous connaissons tous pour nous proposer une lecture qui nous est étrangère. Ce renversement de paradigme nous permet d’ouvrir les yeux sur la manière dont les Russes appréhendèrent la chute du communisme, la fin chancelante de Boris Eltsine, la prise de pouvoir de Poutine, la guerre de Tchétchénie ainsi que d’autres événements marquants.



« Poutine est tchékiste, Vadia : de la race la plus féroce, celle qui ne fume ni ne boit. Ce sont les pires parce qu’ils cultivent les vices les plus cachés. Il mettra la Russie aux fers. »



Le double coup de génie de Giuliano Da Empoli est simple : utiliser la forme romanesque pour mieux développer son obsession pour la géopolitique et appréhender le réel du point de vue du pouvoir russe. Au travers du récit de Baranov, on suit évidemment la destinée d’un officier du FSB, patriote et austère, que l’exercice du pouvoir va enfermer dans une forme de solitude terrifiante, et qui ne trouvera bientôt plus personne pour oser discuter des certitudes trop ancrées.



« Le mage du Kremlin » nous propose de découvrir le regard « indigène » sur la géopolitique russe, au travers d’un roman au charme magnétique. Et pourtant. Comme tout magicien qui se respecte, l’auteur a peut-être dissimulé l’aspect le plus troublant de son projet romanesque. La destinée unique de Baranov nous offre aussi et surtout une plongée au coeur de l’âme russe. Le refus du communisme d’un grand-père réfractaire, le courage d’un père à l’approche de la fin d’une vie servile, la beauté irradiante et le caractère impétueux de Ksenia, le détachement fataliste et la lucidité absolue qui habitent Baranov, sont autant de manières d’approcher l’essence de l’âme slave qui mêle la folie, le courage, le fatalisme, et l’amour aussi. Une âme qui pourrait sauver une civilisation qui ne s’est pas encore toute entière prosternée devant le dieu Mammon.

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Les ingénieurs du chaos

« II y a trois manières de se ruiner... le jeu, les femmes et les ingénieurs. Les deux premières sont plus agréables ; mais la dernière est plus sûre. » affirme Auguste Detoeuf dans ses incomparables « Propos d'O.L. Barenton, confiseur ».

« II y a trois manières de ruiner la démocratie... le populisme, les réseaux sociaux et les ingénieurs. Les deux premières sont plus carnavalesques ; mais la dernière est plus sûre. » affirme Giuliano da Empoli dans « Les ingénieurs du chaos » publié en 2019, avant le COVID, la chute de Mateo Renzi et la publication cette année de son remarquable « Le Mage du Kremlin ».

Analysant les succès électoraux de Beppe Grillo et du mouvement cinq étoiles, de Boris Johnson et du Brexit, de Bolsonaro et des évangélistes, de Donald Trump et du courant Make America Great Again, l’auteur constate le rôle déterminant des experts, les « Spin Doctors » Gianroberto Casaleggio (cerveau du mouvement Cinq Étoiles), Dominic Cummings (stratège du Brexit), Steve Bannon (fédérateur des conservateurs) ou Arthur Finkelstein qui a conseillé Netanyahou, avant de travailler pour Orbán.

Observant les opportunités nées de la collecte et du croisement des données des réseaux sociaux (Facebook, Tweeter, Instagram, etc.), l’auteur constate que ces moyens de communication sociale jouent aujourd’hui un rôle électoral comparable aux journaux du XIX, de la radio puis de la télévision au XX siècle en permettant de délivrer (et là est la différence) à chacun le message électoral personnel qu’il espère. Quitte à ce que des messages contradictoires soient « en même temps » diffusés à des auditoires différents.

Cette observation de ce que permet le Big Data, l’IA, la communication est fort intéressante mais, à mon avis, l’auteur sur estime le poids de ces propagandes et sous-estime le boulet du bilan de nombre d’équipes sortantes … Comment (par exemple) promettre de ne pas augmenter les impôts, puis les augmenter de 50%, et s’étonner de perdre les élections suivantes ?

Nos gouvernements, qui démontrent trop souvent qu’ils sont forts face aux faibles et faibles face aux forts, ont ruiné l’instruction publique, la justice, la santé et maintenant EDF … les électeurs ne peuvent leur pardonner ces naufrages.

Et c’est alors facile, au lieu de se livrer à un examen de conscience, d’accuser les médias et les réseaux sociaux …

Giuliano da Empoli est féroce avec son opposant « le clown » Beppe Grillo qu’il présente (en 2018) comme une marionnette de Gianroberto Casaleggio mais il le fait avec les termes utilisés (en 2022) par le Kremlin pour désigner « le clown » Volodymyr Zelensky, ce que je trouve aussi indigne que consternant.

Les Chinois, les Iraniens, luttent pour la liberté et leurs droits et utilisent avec finesse, ruse et efficacité les réseaux sociaux, alors ne laissons pas les apprentis dictateurs censurer nos réseaux sociaux.

Comme Voltaire « Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. »
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Le mage du Kremlin

L'homme qui raconte est Vladislav Sourkov (ici Vadim Baranov), longtemps l'éminence grise de Vladimir Poutine, auparavant un théâtreux aristocrate mué en producteur de télévision, pas vraiment motivé par l'argent et le pouvoir à l'inverse de ceux qu'il côtoie. Et ce qu'il dit est très instructif pour qui veut mieux connaître celui qui a succédé à Gorbatchev et à Eltsine, quand le tout puissant milliardaire Boris Berezovsky a favorisé l'accession au poste de Premier ministre du ténébreux et obscur chef du FSB, Vladimir Poutine.



Jugé manipulable pour les oligarques un homme qui pourtant va leur échapper complètement – Poutine, en apportant aux Russes l'ordre et la dignité auxquels ils aspirent après le démantèlement de l'URSS et la répartition de ses immenses richesses entre quelques-uns, va prendre sans partage les rênes du pays, et sous prétexte de lutter contre la corruption éliminer les oligarques les plus puissants, à commencer par Boris Berezovsky.



Une histoire que tous nous croyons plus ou moins connaître mais que l'ancien conseiller du président Matteo Renzi, Giuliano da Empoli, par la voix Vladislav Sourkov remet dans son contexte, nous éclairant ainsi sur ce qui peut nous apparaître comme contre-intuitif : l'attachement d'une grande partie des Russes à leur président autocratique et leur assentiment à une guerre fratricide en Ukraine, par conséquent loin de son terme.



Merci à Idil grâce à qui j'ai découvert ce roman à bien des égards passionnant.



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Le mage du Kremlin

A peine 10% d'appréciations négatives sur ce roman, et pourtant je les rejoins volontiers, tant des premières aux dernières pages, j'ai trouvé ce texte soporifique, non structuré, lassant par la multitude d'anecdotes et d'assertions énoncées comme vérités intagibles -- même si j'en ai repris un bon nombre sous formes de citations --, bref une lecture plus qu'inutile, pleine de clichés, du déjà vu sans intérêt.



Le personnage central, Baranov, inspiré peut-être de Vladislas Sourkov, relate à un jeune universitaire français ce que fut sa vie en tant qu'éminence grise de Vladimir Poutine. Cette relation, débutant sous la forme d'une conversation, se transforme en un monogue de Baranov qui énonce un mélange de ses souvenirs, de nombreux parmi eux ayant trait à des faits réels, arrangés à la sauce italienne de l'auteur, naviguant entre les époques et les villes de la Russie éternelle.



Alors, il y a quelques traits d'humour comme dans la séance de photographie de Khrouchtchev parmi les cochons et dans quelques blagues russes à deux balles, quelques faits marquants historiques certainement bien plus intéressants à suivre sous la plume d'un historien, mais vraiment rien qui puisse concrétiser passion ou détestation de Poutine.



On ajoute une pseudo-intrigue sentimentale, dénuée de tout ce qui peut ressembler à une passion réciproque et on la ramène dans un final guignolesque après des considérations plus que fantaisistes sur la création de Dieu par l'homme -- certains grands philosophes ont été beaucoup plus convaincants sur cette idée --, un final comportant la vision d'une enfant qui ne parvient pas à gommer toute l'incurie de ce roman.



Je préfère sans hésiter lire Vladimir Fédorovski, malgré les répétitions qui émaillent ses livres, et, bien sûr l'immense Sojenitsyne qui a réussi à conter l'histoire de la Russie en l'insérant dans ses oeuvres avec le grand talent d'un véritable écrivain.
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Le mage du Kremlin

Metteur en scène et producteur de télévision, Vadim Baranov, issu d'une famille de lettrés russes, devient l'un des principaux conseillers de Vladimir Poutine, le Tsar.

Nous l'accompagnons pendant vingt années au service du maître, et assistons à la transformation du pâle dirigeant de la police politique en un implacable dictateur...



À n'en pas douter, l'auteur, lui-même conseiller politique, connaît son sujet. Pourtant, il ne parvient pas totalement à convaincre. L'image qu'il donne de l'ascension de Poutine, et des jeux de cour autour de lui, est un peu trop convenue, trop conforme à une image médiatique. D'autant que G. da Empoli intègre parfaitement des faits réels dans un texte de fiction, ce qui entretient l'ambigüité...

Le propos manque de nuance, sauf en ce qui concerne les états d'âme du narrateur, conduit à renoncer à son amour, puis à trahir ses mentors, pour rester fidèle au maître du Kremlin. Heureusement, la fin lui réserve une belle surprise.

La narration à la première personne (je, nous) n'aide pas. On sent que le narrateur a envie de prendre de la distance, mais le "je" ne l'y aide pas, le ramenant en permanence au cœur du pouvoir et des événements. Je ne suis pas certain que l'auteur ait fait le meilleur choix.

Néanmoins, le livre se lit vite et facilement ; un peu comme un thriller...




Lien : http://michelgiraud.fr/2023/..
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Le mage du Kremlin

L'été 1991, en juillet, je me promenais dans Moscou avec mon ami russe Sacha. Nos pas nous firent passer devant les locaux de la Loubianka. Soudain, mon ami m'intima de chuchoter, de parler bas. Mon étonnement fut grand. Je lui fis remarquer qu'aujourd'hui, il n'y avait plus de raison d'avoir peur.

Il me regarda gentiment et me dit: Tu ne peux pas comprendre, tu n'es pas russe.

Cette petite anecdote pour dire le bémol que je mettrais à l'auteur de ce roman.

Je pense qu'effectivement, même animé d'une belle plume et des meilleures intentions, il est difficile de dire ou penser ce qu'un russe aujourd'hui ressent face à la tragédie de son pays.

Ce bémol souligné, le mage du Kremlin se lit avidement. Le début, dans cette maison où le narrateur nous conte l'histoire de sa famille, de ce grand-père extraordinaire, de son père m'ont beaucoup plu. On a l'impression d'être dans un roman de Tolstoï ou une récit de Tourgueniev.

Giuliano da Empoli nous conte, car à mon sens il est admirablement conteur, l'histoire de Vadim Baranov alias Vladislav Sourkov, conseiller de Poutine pendant 20 ans.Et, nous livre les arcanes du pouvoir.

"Le pouvoir est comme le soleil et la mort, il ne peut se regarder en face. Surtout en Russie"

Une des phrases les plus percutantes de ce roman. A méditer intensément.

Un des mérites de ce roman est de nous restituer les événements qui ont mené Poutine à son ascension. Car nous avons beau être abreuvés d'informations, on les oublie vite et notre mémoire n'en garde que peu de traces.



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Le mage du Kremlin

Ancien conseiller politique en Italie, Guiliano Da Empoli met sa plume au service d’un roman envoutant qui nous plonge au cœur du pouvoir russe, et plus particulièrement dans le système Poutine, rebaptisé le Tsar.

L’auteur nous fait découvrir la machine politique russe par l’intermédiaire de Vadim Baranov, qui nous livre ses mémoires, un personnage fictif mais grandement inspiré par Vladislav Surkov.

Les traits d’esprit, d’humour sont multiples, on y apprend un nombre incroyable d’anecdotes savoureuses (par exemple, l’épisode pendant lequel Poutine ayant connaissance de la peur bleue des chiens d’Angela Markel, n’hésite pas à faire participer son imposante chienne noire labrador Koni à une réunion diplomatique sous le regard terrorisé de l’ex-chancelière allemande.)

On apprend sur la mentalité russe, les jeux de pouvoir, les manipulations, et le livre se déguste un sourire aux lèvres, teinté souvent de dégoût et de révolte.

C’est fort bien documenté, cependant, avec un petit gout d’inachevé. J’ai regretté ce long monologue du personnage, peu crédible déjà en soi. J’aurais aimé avoir un autre point de vue que celui de ce mage qui ne regrette rien, un œil critique afin que s’instaure un dialogue avec Baranov dans le but de le mettre face à ses manques, ses contradictions, aux manipulations, à la terreur insidieuse inspirée par le pouvoir en place sur son propre peuple et le monde.

J’ai trouvé au seul personnage féminin de l’histoire, Ksenia, une femme vénale, manipulatrice, prompte à retourner sa veste, assez peu d’intérêt, qui ne m’a pas semblé dénoter chez l’auteur d’une grande estime des femmes. Si son évocation permet de très beaux passages sur les sentiments amoureux de Baranov à son égard, Ksenia n’occupe qu’un rôle subalterne, un peu comme s’il fallait bien un peu d’amour et de sexe au milieu de tous portraits masculins bourrés de testostérone.

Une lecture intéressante et instructive, pas très réussie sur le plan romanesque, et trop linéaire d’un point de vue narratif. Le mélange des genres entre fiction et réalité m’a un peu dérangé, car des anecdotes réjouissantes ont perdu de leur saveur, puisqu’on ne sait discerner de quelle catégorie elles relèvent.

J’aurais apprécié une critique plus franche et acérée du système. La fascination face au machiavélisme m’a semblé parfois rejoindre une certaine complaisance.

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Le mage du Kremlin

Mai : J'avais offert ce livre à mon mari suite à la belle critique de Idil (Bookycooky). Il a beaucoup aimé et l'a aussitôt passé à notre fils ainé et fait acheter à deux amis lointains, Et le livre a continué à circuler.

Août : Je me plonge enfin dans ce livre dont j'ai tant entendu vanter les mérites. Avec un peu d'appréhension, d'ailleurs. Ce n'est pas un livre que j'aurai ouvert spontanément.



J'ai été vite conquise et passionnée par ce roman aux limites de la réalité, un roman très accessible, pas du tout aride.



L'auteur met en scène le nouveau Raspoutine russe sous le nom de Vadim Baranov, librement inspiré de Vladislav Yuryevich Surkov, ex éminence grise de Poutine. Issu d'une famille aristocratique, il se destine à une carrière artistique et devient producteur de télévision. Remarqué par le patron de celle-ci, il évolue de créateur de fiction à « créateur de vérité » en devenant le bras droit de Poutine, au départ chef du FSB (ancien KGB).

Poutine va bientôt révéler sa vraie personnalité. Choisi au départ pour évincer Eltsine par le patron des médias russes, l'élève va dépasser le maitre, et devenir le despote que l'on connait aujourd'hui, le nouveau tsar de Russie.

La lecture est passionnante, et à la fois glaçante. On y découvre les ravages des années de capitalisme sur la Russie et comment ceux-ci ont ouvert un boulevard pour Poutine. On y découvre l'intelligence et le sens de la politique de celui-ci ainsi que son mépris à l'égard des démocraties occidentales et de leurs dirigeants.

Et l'on comprend comment la guerre en Ukraine était programmée depuis longtemps.

Glaçant je vous dis.

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