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[...] cueilli par un vent glacial et les premières gouttes de pluie d'une nouvelle averse mortellement froide .
Il avait levé les yeux au ciel , désespéré , maudissant les gènes paternels qui parcouraient furieusement ses veines comme une horde de barbares et polluaient son esprit fragile ...
[...]
Et puis il avait réintégré sa tanière , rassemblant tant bien que mal les débris de son architecture mentale , tassé sur lui-même comme une explosion inversée , un Big Bang à l'envers .
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Acheter du pain, des boissons et toutes sortes de nourriture imaginables, du carburant, des titres de transport, de stationnement, des timbres, et quoi d'autre encore, sans interactions humaines, était passé dans les habitudes du plus grand nombre. Il avait même vu des distributeurs de fleurs coupées à la gare, ce qui l'avait déprimé au plus haut point. Conjointement à cette automatisation des actions de base de la vie quotidienne, la population de cette ville semblait pour une bonne partie menacée par une sorte de paupérisation glaçante, humide et définitive. Technicité invasive et précarité rampante...
- Bon, la Bretagne donc ... Des plages désertes forcément tellement il gèle, des crabes et des cirés jaunes un peu partout, des bonnets, des crêpes, des coiffes, misère ...
Ils paraît qu'ils sont saouls toute la sainte journée ...
Quand il était entré l'autre soir au Cormoran borgne, un troquet à bourgeois assez prétentieux où tout est factice, de l'aviron suspendu au dessus du bar jusqu'aux hublots en laiton sur les murs, et où ils te servent de la Carlsberg tiède, une vraie pisse d'âne, avec autant de cérémonie que s'ils la tiraient du pot de chambre de la reine d'Angleterre, il était déjà bien chargé et dans une rogne noire, prêt à faire du petit bois avec le premier connard venu et à justifier le surnom qu'on lui donnait déjà au lycée avant qu'on le foute dehors une fois pour toutes, Mad Banneck ...
Les particules de mica insérées comme autant de gemmes dans la gangue de granite brut irisent le plancher rocheux au bon vouloir de la lune qui s’est levée. Il n’est rien d’humain ici. Pourtant des murs de pierres sèches arc-boutés au terrain segmentent l’espace, tentent assez vainement de le domestiquer, de lui donner une structure et de l’arracher à la sauvagerie qui règne partout. Pauvres espoirs. Fougères, mousses et lichens y ont seulement trouvé leur appui nécessaire, l’abri précieux retenant eau douce et nutriments permettant la survie. Les empilements précaires ont contre toute attente progressivement trouvé équilibre et stabilité, s’épaulant les uns les autres dans une solidarité minérale obligée, détournant les flux d’air, supportant les ruissellements du ciel, finissant par perdre la mémoire lointaine de leurs bâtisseurs disparus. Non, il n’est plus rien d’humain ici.
Devant, une immensité émeraude et grise, une absence d'horizon. L'océan et le ciel plombé qui se confondaient seulement en un endroit que son œil ne percevait pas clairement. A cinq ou six milles, plein ouest, il y avait le phare d'Ar-Men quelque part, pointé vers le ciel comme un doigt d'honneur magnifique à toutes les tempêtes passées et à venir.
Depuis quelque temps, la conscience aiguë du temps qui lui file entre les doigts s'est imposée à lui.
Toujours...
Quel mot étrange et mensonger...
Porteur de promesses jamais tenues...
Il a sous les yeux une vraie communauté, homogène, de petits blancs modestes, d'extraction ouvrière, d'employés et d'agents de maîtrise, nombreuse au souvenir d'un de ses membres disparus.
Il avait difficilement supporté ce voyage en Bretagne. Il secoua la tête. Brest, seigneur... La Bretagne... Bien sûr, il connaissait. Bon, il n'en savait en gros que ce qu'en disaient les blondasses de la météo, et ça suffisait. Des marées noires, des oiseaux crevés, des tempêtes... Il avait du mal à croire vraiment que des gens veuillent aller passer des vacances là-bas... Ou alors il fallait être anglais, belge... allemand à la rigueur.