Enki se demandait souvent pourquoi on créait tant d’histoires, tant de chansons qui parlaient de jolies filles de joie qui tombaient amoureuses d’un beau chevalier servant, pourquoi on en faisait tant de paroles joyeuses, tristes ou un rien grivoises, tant d’airs que l’on fredonnait souvent ou que l’on entonnait à tue-tête dans les tavernes bondées.
Souvent, la fille était abandonnée à la fin par le beau soldat et rêvait à sa fenêtre de son amour enfui. Dans d’autres chansons, le chevalier emportait la belle malheureuse sur son beau cheval pour la tirer de sa vie de misère. Ces histoires étaient toutes les mêmes, pleines de rêves et d’espoirs, et même lorsque ces derniers étaient déçus, la musique gonflait toujours le cœur des auditeurs de joie et d’émotion.
Enki se disait souvent que tous ces textes n’étaient certainement pas écrits par les principales concernées.
Mais non, t"excuse pas! se moqua-t-il gentiment, couvrant sa tempe de baisers. T'en avais envie... Et t'as payé pour ça.
Il embrassa sa tempe comme un jeune enfant, arrachant à Enki un sourire attendri. Le jeune homme resserra les bords de son châle autour de ses épaules et le regarda partir, rabattre le capuchon et de son manteau sur ses cheveux de neige, reprendre sa démarche de maraudeur agile.
Il attira le voleur contre lui, l'emprisonnant entre ses cuisses, accrochant ses chevilles tout contre ses hanches. L'invitation était aussi douce qu'érotique et Rey ne tenta pas d'y résister.
- La dernière foi que je t'ai vu faire cette tête-là, tu passais encore tes journées à te faire passer pour un voleur et tu étais amoureux transi d'un petit prostitué.
« Rey recula doucement sa main. Comme envoûté, il le contempla encore, en silence, découvrant le visage de son jeune amant sous son véritable jour, sans le moindre fard. Il ne le lâchait toujours pas du regard subjugué, et un chuchotement intimidé s’échappa finalement de ses lèvres entrouvertes.
— Est-ce que je peux t’embrasser ?
Un frisson électrisa l’échine d’Enki. C’était rare qu’on le lui demande, qu’on essaye simplement de le faire. Peut-être que les clients étaient dégoûtés par tout ce que sa bouche pouvait toucher en une journée ?
Mais il n’était plus à une surprise près avec Rey.
Il lui répondit oui dans un souffle qui s’étouffa contre les lèvres de son amant, alors que leurs visages se rapprochaient. »
S'il le voulait, Rey pouvait le broyer comme jamais personne ne serait capable de le faire, d'une façon si douloureuse et cruelle qu'Enki ne s'en remetrait sans doute jamais.
Et le voleur n'en avait même pas conscience.
Rey referma doucement la porte derrière eux et alluma une lampe à huile, laissant à Enki le temps de jeter un œil à la petite et stricte chambre militaire. La pièce était sobre et chichement meublée.
Il voulait le voir comme une jolie petite perle dans son écrin de misère, une pierre tombée dans la fange et maculée de boue qu'il devait nettoyer pour lui faire retrouver son éclat.
Atshet leur disait souvent que quitte à avoir les cuisses écartés, il valait mieux être consentant et prostitué qu'être violé à longueur de journée.