René Char :
Lettera amorosaDans une pièce de la Cité internationale universitaire de Paris dans le 14ème arrondissement,
Olivier BARROT s'entretient avec
Marie Claude CHAR, épouse de
René Char dont le livre "
Lettera amorosa" vient d'être réédité aux éditions Gallimard.
Olivier BARROT lit un passage du livre illustré par
Jean Arp et Georges Braque.
BESTIAIRE SANS PRÉNOM
l'éléphant est amoureux du millimètre
- - - - - - - - - - - - - - - - - -
l'escargot est fier
sous son chapeau d'or
son cuir est calme
avec un rire de flore
il porte son fusil de gélatine
- - - - - - - - - - - - - - - - - -
l'aigle a des gestes de vide présumé
son pis est rempli d'éclairs
- - - - - - - - - - - - - - - - - -
le lion porte une moustache
en pur gothique flamboyant
et des souliers pâles et purgés
comme un néo-soldat
après une défaite de lune
- - - - - - - - - - - - - - - - - -
la langouste descend du mât
échange sa canne contre une baguette
et remonte avec son bâton
le long du tronc d'arbre
- - - - - - - - - - - - - - - - - -
la mouche avec un regard ronflant
repose son nez sur un jet d'eau
- - - - - - - - - - - - - - - - - -
la vache prend le chemin de parchemin
qui se perd dans un livre de chair
chaque poil de ce livre
pèse une livre
- - - - - - - - - - - - - - - - - -
le serpent saute avec picotement et picotement
autour des cuvettes d'amour
remplies de cœurs percés de flèches
- - - - - - - - - - - - - - - - - -
le papillon empaillé
devient un papapillon empapaillé
le papapillon empapaillé
devient un grandpapapillon grandempapaillé
- - - - - - - - - - - - - - - - - -
le rossignol frère du sphinx
arrose des estomacs des cœurs des cerveaux des tripes
c'est-à-dire des lys des roses des œillets des lilas
- - - - - - - - - - - - - - - - - -
la puce porte son pied droit
derrière son oreille gauche
et sa main gauche
dans sa main droite
et saute sur son pied gauche
par-dessus son oreille droite
Une lune ivre de rêves
berce un rêveur ivre de lune
qui se demande:
Suis-je une lune ivre de rêves,
que bercent des aubes odorantes ?
Suis-je une lune ivre de rêves
qui se mire dans les yeux
d’un rêveur ivre de lune ?
Un rêveur ivre de lune
berce une lune ivre de rêves
qui se demande:
Suis-je un rêveur ivre de lune
que bercent des aubes odorantes ?
Suis-je un rêveur ivre de lune
qui se mire dans les yeux
d’une lune ivre de rêves ?
. . . car à quoi servent les garde-fous
quand des lunes et leurs rêves
ivres de bonheur
veulent se précipiter
la tête la première
dans la fleur infinie du rêve.
Si quelqu'un a des oreilles, qu'il voie, si quelqu'un a des yeux, qu'il entende.
Un ange demande:
"Puis-je un jour
un bref instant
le temps d'une vie d'homme
prendre congé
du tohu-bohu céleste ?
J'aimerais bien
comme pauvre homme
adresser des poèmes à la lune."
Bestiaire sans prénom
l'éléphant est amoureux du millimètre
l'escargot est fier
sous son chapeau d'or
son cuir est calme
avec un rire de flore
il porte son fusil de gélatine
l'aigle a des gestes de vide présumé
son pis est rempli d'éclairs
le lion porte une moustache
en pur gothique flamboyant
et des souliers pâles et purgés
comme un néo-soldat
après une défaite de lune
la langouste descend du mât
échange sa canne contre une baguette
et remonte avec son bâton
le long du tronc d'arbre
la mouche avec un regard ronflant
repose son nez sur un jet d'eau
la vache prend le chemin de parchemin
qui se perd dans un livre de chair
chaque poil de ce livre
pèse une livre
le serpent saute avec picotement et picotement
autour des cuvettes d'amour
remplies de cœurs percés de flèches
le papillon empaillé
devient un papapillon empapaillé
le papapillon empapaillé
devient un grandpapapillon grandempapaillé
le rossignol frère du sphinx
arrose des estomacs des cœurs des cerveaux des tripes
c'est-à-dire des lys des roses des œillets des lilas
la puce porte son pied droit
derrière son oreille gauche
et sa main gauche
dans sa main droite
et saute sur son pied gauche
par-dessus son oreille droite
LA PLAINE
Je me trouvais seul avec une chaise sur une plaine
qui se perdait dans un horizon vide.
La plaine était totalement asphaltée.
Rien mais alors rien du tout à part moi et la chaise se trouvaient sur elle.
Le ciel était continuellement bleu.
Aucun soleil ne l´animait.
Une lumière inexplicable et raisonnable illuminait la plaine infinie.
Ce jour éternel me paraissait
artificiellement projeté depuis une autre sphère.
Je n´avais jamais sommeil jamais faim jamais soif jamais chaud jamais froid.
Comme sur cette plaine il ne se passait rien et que rien ne changeait
le temps était un fantôme absurde.
Le temps vivait encore un peu en moi
et cela principalement à cause de la chaise.
Comme j´étais occupé avec elle je ne perdis pas
entièrement le sens du passé.
De temps en temps je m´étirais devant la chaise
comme si j´avais été un cheval
et allais au trot avec elle en cercle ou bien tout droit.
Est-ce que cela marcha je le suppose
si cela marcha je n´en sais rien
car il n´y avait rien autour
grâce auquel j´aurais pu contrôler mon mouvement.
Quand j´étais assis sur la chaise je me demandais l´air triste mais pas désespéré
pourquoi l´intérieur du monde irradiait une lumière noire pareille.
CUIS MOI UN TONNERE
Arrose-moi la lune.
Brosse-moi les dents de mes échelles.
Transporte-moi dans ta valise de chair sur mon toit d'os.
Cuis-moi un tonnerre.
Enferme-moi les tremblements de terre dans une cage
et cueille-moi un bouquet d'éclairs.
Coupe-toi en deux et mange une de ces moitiés.
Ejacule-toi en l'air plus fier que les jets d'eaux de Versailles
Brûle-toi roule toi en boule.
Sois une boule au rire archaïque
qui roule autour d'une pilule.
Tire toutes tes langues aux roses.
Donne tes langues aux doux rhinocé-roses.
Rata-toi en ratatouille.
Grenouille-toi en grenouille.
Appose-toi en signature sous ma lettre.
POUX FARDÉS
extrait 2
les danses psychiques font rougir les poux
les sous fardés transportent les initiales fardées
les voitures fardées transportent les bateaux parfumés
un pou aboie sur une étoile
dans les alliances circule du sang de ruminant
les étoiles aboient
les sous les bateaux et les voitures transportent les étoiles parfumées
et fardées
les initiales rougissent
les étoiles et les orages dansent dans les belvédères parfumés
les sous rougissent
les ruminants dansent avec les étoiles d'ail
Place blanche
Extrait 5
J’ouvre les yeux.
Des crinières blanches s’envolent.
Des rêveurs qui se tiennent par la main comme des aveugles
traversent la place.
Le vent caresse les plantes apprivoisées.
Je ferme les yeux.
Il fait nuit.
Subitement dans la nuit je m’éveille.
Les oiseaux chantent.
Il fait jour.
Des montagnes liquides flottent par l’air.
J’ouvre les yeux et m’endors debout sur la place blanche.
L’ombelle des étoiles se couvre de lèvres.
BOUCHE GUEULE GORGE
La gueule de l’argent.
La gueule fermée d’un portail
où dans la nuit glacée un désespéré
en vain cogne et cogne.
L’étrange expression de la bouche
d’un homme nu et glabre en saumure.
La gueule d’une machine à figure humaine.
Comme il rit l’ovoïde lorsque soudain
d’innombrables dés tombent de sa gueule.
La bouche d’un chanteur
d’où montent des sons
qui s’épanouissent en une construction musicale
toute bruissante.
La bouche du conte
qui parle d’un vin d’or en carafes de cristal
qui transforme tous les buveurs en étoiles d’or.
La bouche à merveilles des saints et des poètes.
La gueule en lambeaux de l’épouvantail.
La bouche béante et tordue d’un affamé
à qui l’on ne sert que des zéros.
La gueule de la conque originelle.
Une bouche taillée dans le marbre où nichent les oiseaux.
La bouche du rêve.
La bouche enchantée de l’écho.
La gorge de l’éternité.
La bouche radieuse des anges.