Karl Ferdinand Werner

Un titre ambitieux pour la défense d'une thèse qui ne l'est pas moins, Karl Ferdinand Werner utilise son talent d'historien avec brio pour tenter de démontrer une certaine continuité des élites politiques en Europe, à travers l'histoire au long cours de la classe politique dominante, la noblesse, la nobilitia.

Depuis l'ordre sénatorial jusqu'à la noblesse d'Empire ou celle plus connue des monarchies absolutistes, l'auteur défend la théorie d'une continuité quasi parfaite pendant près de vingt siècles ! Ce projet étant plus qu'ambitieux, l'ouvrage n'en est que plus difficile à manœuvrer, alors qu'il offre pourtant tant de portes à la compréhension de notre société qu'il mériterait d'être davantage mis en avant.

Saluons enfin l'érudition habituelle de Karl Ferdinand Werner, grand spécialiste des principautés territoriales au tournant de l'an mil (au sens large), mais également historiographe accompli et longtemps lien privilégié entre les historiens allemands et français via son poste de directeur de l'Institut historique allemand à Paris.

Un monument ! Voilà comment désigner les "Untersuchungen zur Frühzeit des französischen Fürstentums" ou plus "simplement" les Enquêtes sur les débuts du principat franc, aux IXe-Xe siècles. Dans ce recueil d'articles parus en allemand dans la revue Die Welt als Geschichte entre 1958 et 1960 et traduits pour la première fois en français en 2004, agrémentés d'un article plus récent qui les complète, le tout réuni dans cet ouvrage, on retrouve tout l'esprit foisonnant de l'historien allemand Karl Ferdinand Werner, décédé il y a quelques d'années.

En parfait spécialiste du haut Moyen Âge franc, Karl Ferdinand Werner détaille la progression et la constitution de grands lignages au sein de la Francie occidentale des IX-Xe siècles (les Robertiens, les comtes de Vermandois, les comtes d'Anjou, etc.). L'historien démontre, preuves à l'appui, sa théorie de la complète continuité du pouvoir de la "nobilitas" au Xe siècle. L’originalité et le caractère novateur des publications de Karl Ferdinand Werner démontrent toujours autant sa grande faculté à faire avancer la médiévistique en général et les recherches sur la société angevine au haut Moyen Âge en particulier, puisqu'il fait de la principauté angevine un des fers de lance de ses recherches. Avec lui, l’Anjou du Xe siècle est encore davantage étudié dans sa dimension internationale, tel un « carrefour de pouvoirs multiples ».

Entre ses « enquêtes », aussi scrupuleuses que méthodiques et érudites, et son influence sur l’avancée de la théorie selon laquelle il y a une profonde continuité du pouvoir des princes entre le VIIIe et le Xe siècle, l’œuvre de Karl Ferdinand Werner est une étape plus qu’importante dans la construction de notre pensée sur le haut Moyen Âge et notamment le haut Moyen Âge angevin.

De plus, et ceci est d’importance, Karl Ferdinand Werner a profondément renouvelé les problématiques historiographiques, par lesquelles il a toujours été passionné. Nous nous devons d’appuyer encore une fois ses propos dénonçant la trop grande tendance historiographique française à étudier en premier et principal lieu l’institution royale au sein du territoire « français », au détriment de problématiques davantage régionales ou seigneuriales : « L’histoire de la France était pour eux [les manuels français courants] l’histoire de la royauté française ».

Enfin, il faut souligner l’impact de Karl Ferdinand Werner en matière d’onomastique du haut Moyen Âge . En effet, même si ses résultats sont parfois remis en cause aujourd'hui, sa méthode de travail fondée en premier lieu sur l’étude de sources inédites ou peu mises en valeur est largement reconnue.

Bref, une merveille de recherche historique à contempler, que la traduction en français nous permet ici d'aborder bien plus facilement !

Bien que dépassé par l'historiographie actuelle, cet ouvrage demeure un classique pour aborder le haut Moyen Âge.