Kim Amiano K.

Des regards humides se croisèrent, gênés de cette mise à nu de l’âme. Leur réaction était normale et ce qu’il y a de plus humain, tout simplement parce qu’un équilibre social était en train de se réinstaurer.
Le principal sentiment qui les avait fait courir, jusqu’ici, était celui de la peur. Aujourd’hui, dans cette toute petite société en culotte courte, ils se sentaient protégés et aimés, comme un nourrisson accroché au sein de sa mère. Le cerveau pouvait donc ôter, une à une, ces carapaces formées successivement, de génération en génération, comme l’écorce d’un arbre.

À ce jour, nous n’avons encore jamais eu d’étalon capable de tenir la cadence naturellement. Ce qui représentait, par le passé, l’orgueil de tout homme est devenu sa honte, car ils sont, la plupart du temps, incapables de tenir la cadence. Une fois que nous connaîtrons ta capacité, nous pourrons doser le nombre de petites pilules vertes que tu devras ingérer au fil des heures. Et crois-moi, ça marche ! Nous avons pu recréer et même améliorer un médicament que tes ancêtres âgés utilisaient pour cacher leur impuissance auprès de leurs dulcinées.

Depuis que l’homme s’est érigé sur ses pattes arrière, il n’a eu de cesse de soumettre la femme à des tortures. Aujourd’hui amoindris, vous, les mâles, vous n’êtes plus rien. Envolées, votre supériorité, votre arrogance. Vous n’êtes plus que des insectes méprisables. Et vous avez même réussi à vous autodétruire. Des millénaires d’évolution réduits à néant par la bêtise de l’homme. Vous n’êtes plus qu’une poignée de misérables, errant parmi les décombres de votre empire déchu. Aujourd’hui, c’est l’empire des femmes que nous tentons de sauver. Alors, il ne nous reste plus qu’une solution : extraire de vous la substance qui permettra à la femme de continuer à se reproduire et repeupler le monde que vous avez anéanti en un claquement de doigts.

Malgré les reproches de ma mère, je réussis tout de même à passer un peu de temps avec elle. La découverte fut réciproque. Je n’avais jamais vu d’autres femmes que celles du village, ou quelques femmes ramenées de la terre ferme, mais aucune n’avait éveillé de curiosité en moi, si ce n’est celle d’en apprendre un peu plus sur ce qui se passait sur le continent. De son côté, Altamira n’avait jamais vu d’homme en chair et en os. Très vite, nous comprîmes que notre attirance allait au-delà de la curiosité. C’était plutôt comme deux aimants qui s’attirent. Je commençai à rêver d’elle et cela me plut. Je délaissai mes livres pour trouver le prétexte de lui parler. Enfin, de communiquer.

Nous ne faisions que progresser dans notre combat pour une reconnaissance et le respect, non pas en tant que femmes, mais en tant qu’êtres humains à part entière.
Quelle est la situation, aujourd’hui ? Il faut se rendre à l’évidence : on régresse, l’homme regagne du terrain. Certes, les lois établies sont bien là. Néanmoins, dans certains pays, des lois en faveur des femmes sont tout simplement annulées. Mais la violence faite aux femmes prend une ampleur affligeante : mariages forcés, viols, mutilation sexuelle, déni de disposer de son propre corps, violences conjugales, discriminations…

Le planning était tenu par ma mère, en personne, et toute femme en âge de procréer avait son instant de gloire. Bien sûr, chaque grossesse était porteuse d’espoir. L’espoir qu’un petit garçon naisse et vienne ainsi assurer la survie du village.
« J’ai grandi dans l’amour partagé et non l’amour égoïste et personnel, l’amour passionnel n’existant plus depuis des lustres. Les quelques romans d’amour que j’ai lus, dans ma jeunesse, m’ont laissé perplexe. L’amour passion me semblait trop compliqué. L’amour tout court, beaucoup plus simple à gérer.

. Nous tenons à nous instruire. Je sais que nous ne sommes pas nombreux, mais peu importe. Il faut que nous sachions, il faut nous cultiver. Nous ne devons pas tomber dans l’ignorance qui mène immanquablement à la brutalité. Cela ne ferait qu’empirer notre situation. Je tiens… Je veux lutter de toutes mes forces. Je veux croire qu’on peut s’en sortir et, pour ça, il faut de la ruse et du savoir.

Ils s’adressent à moi presque d’égal à égal. À leur âge, ils savent déjà mieux se servir d’un ordinateur que leurs propres parents. Ces enfants vous parlent comme si vous étiez des dinosaures et il leur arrive même parfois de me faire la morale. Eh oui ! À l’école, on leur dit qu’ils doivent éduquer les adultes pour protéger la planète…
D’adorables petits écolos en herbe ! Quand je pense qu’à notre époque on recyclait tout. On ramenait à l’épicerie du coin les bouteilles en verre consignées, qui étaient ensuite lavées et réutilisées en usine. On n’avait qu’une télévision par famille. Une seule prise électrique par pièce et nul besoin de multiprises. On ne jetait ni la nourriture dans les poubelles ni l’argent par les fenêtres. Les cadeaux étaient réservés pour les anniversaires et les Noëls. De nos jours, dès que tu t’approches d’une boutique avec un gamin, c’est tout de suite : « Achète, maman, achète ! »
Sans parler de la consommation outrancière d’électricité et de carburant.

Tiens, ça, c’est une discussion intéressante. Le voile, l’islam, le printemps arabe. Cet incroyable printemps arabe qui a fait volte-face et se retourne maintenant contre ses protagonistes en manque de libertés. Ils luttaient pour plus de droits, on est en train de les museler. Au Venezuela, Chavez est réélu président. Excusez-moi, réélu dictateur, devrais-je plutôt dire.
La fraude est une évidence, mais personne ne lève le petit doigt. L’humanité a stoppé son progrès. La technologie évolue à grands pas. Tous les jours, de nouveaux gadgets de plus en plus sophistiqués sortent sur le marché. Mais l’humain, lui, l’être humain régresse, jour après jour. Alors, évidemment, les religions reviennent en puissance et, avec elles, l’homme perd de sa capacité à penser par lui-même. Il a besoin qu’on lui dise : « pense ceci, pense cela ».

Au Maroc, une loi datant de Mathusalem dit que, si un violeur épouse sa victime, il n’ira pas en prison… Quand j’ai lu ça, je me suis dit que ce devait être un journal d’une autre planète, ou alors, que c’était une mauvaise blague.
Ce comportement envers les femmes relève de la barbarie et les hommes d’aujourd’hui qui la pratiquent n’ont rien à envier aux barbares moyenâgeux.