Les images prises par le lanceur d'alerte sont choquantes. Des truies reçoivent de multiples coups de tournevis pour avancer plus vite. Tuméfiées sur tout le corps, certaines agonisent sur le sol en béton. Des employés s'acharnent également sur les animaux à coups d'aiguillon électrique. Les porcelets ont systématiquement la queue coupée à vif et ceux jugés trop chétifs sont violemment claqués au sol pour les tuer.
Procès d'un élevage porcin dans l'Yonne.
Une partie du monde agricole a le chic pour détourner les mots de leur sens commun. Dans une porcherie, quand on castre, qu'on coupe la queue et qu'on meule les dents des porcelets, le tout sans aucun anesthésique ni antalgique, on dit qu'on soigne les animaux. Quand on gave, on dit qu'on leur donne une alimentation progressive et contrôlée. En abattoir, on fait de la protection animale (p. 194).
L214 est l'article du Code rural et de la pêche maritime :
Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce.
Jean-Paul Bigard, patron de la marque Charal, l'a déclaré devant la commission d'enquête parlementaire sur les abattoirs : toute sa politique commerciale vise à couper le lien dans l'esprit des consommateurs entre les animaux et la viande. Nous ferons tout notre possible, au contraire, pour le rétablir (p. 229).
85 % des Français sont favorables à l'interdiction de l'élevage intensif.
(sondage Ifop)
En suivant des bétaillères à travers l'Europe, on ne peut qu'être frappé par toute l'absurdité du système. Des porcelets quittent les Pays-Bas en camion, direction l'Italie ou la Croatie, où le cochon de lait est recherché. Des moutons voyagent d'Espagne en Grèce pour atteindre un ultime abattoir. Des poules pondeuses de réforme, qui ont été nourries avec du grain brésilien, partent des Pays-Bas pour être abattues en Pologne, afin de préparer des rations bas de gamme, qui seront vendues congelées aux pays africains, car personne n'en voudra en Europe. Ces poules voyagent à raison de six mille par camion. Des milliers de kilomètres parcourus, des animaux qui souffrent, un bilan carbone désastreux et un chauffeur polonais sous-payé. Tout cela pour des marges qui se mesurent en centimes par kilo de marchandise. Est-ce vraiment ce que nous voulons ? (pp. 123-124).
Les dispositions votées en octobre 2018 prévoient que les abattoirs "volontaires " pourront expérimenter la vidéosurveillance. Autant demander aux chauffards d'écrire eux-mêmes à la gendarmerie pour signaler leurs excès de vitesse.
Ne pas séparer une mère de son petit paraît enfin éminemment souhaitable d'un point de vue éthique, tant il paraît inconcevable de nier la souffrance que cela engendre pour les deux. La vétérinaire américaine Holly Cheever, de la New York State Humane Association, a raconté en 2011 sur le site allcreatures.org une histoire à peine croyable. Fraîchement diplômée de l'école vétérinaire, elle exerçait dans le comté de Cortland, non loin de New York. Un éleveur l'avait jointe pour résoudre un cas curieux : une vache, qui venait de vêler pour la cinquième fois, ne donnait presque pas de lait. Holly Cheever avait examiné l'animal. Il était en bonne santé. Au bout de plusieurs jours, l'éleveur l'avait rappelée. Il avait résolu l'énigme. La vache avait donné naissance à des veaux jumeaux. Elle vivait aux champs et rentrait le soir à l'étable. Elle avait ramené un des deux veaux à l'étable et avait caché l'autre dans un fourré : elle allait le nourrir la nuit, en cachette ! Holly Cheever insiste dans son court récit sur la chaîne de raisonnement complexe suivie par l'animal. La vache savait qu'on lui prendrait son petit, comme les fois précédentes. Elle avait anticipé sans doute la suspicion de l'éleveur si elle ne ramenait pas de veau à l'étable et elle a donc opéré un arbitrage, un cachant un de ses petits et en sacrifiant l'autre... (pp. 104-105).
Au fil des années et des dossiers, nous en sommes venus à désespérer de la Commission européenne. Ses fonctionnaires sont compétents. Ils sont parfois même charmants. Ils vous reçoivent. Ils vous écoutent. Ils prennent des notes. Ils hochent la tête. Ils comprennent. Puis rien ne se passe. Lorsque vous reprenez rendez-vous, six mois ou même un mois plus tard, c'est un autre fonctionnaire qui vous reçoit. Il est compétent, il écoute, il prend des notes, il comprend. Et puis rien, une fois de plus. On se demande jusqu'à quel point les fonctionnaires européens ne s'accommodent pas cyniquement des entorses à la réglementation qu'ils sont chargés de faire respecter. En ce qui concerne les importations de viande depuis des pays tiers, par exemple, les abattoirs – de Turquie, des États-Unis, de Chine... – doivent respecter les normes européennes. La Commission les inspecte une fois par an, pas davantage, et elle annonce ses visites des semaines à l'avance ! Autant rester à Bruxelles, dans ces conditions (pp. 97-98).
Idéalistes, doux rêveurs, fanatiques, tricheurs, tueurs d'emplois, naïfs manipulés, nous nous faisons régulièrement traiter de tous les noms, le plus souvent par des voies venues de l'élevage ou de l'industrie de la viande, sans surprise.