L.S. Ange

Pourrait-il être celui qui balaierait tous mes échecs, toutes les choses horribles que j'ai du faire pour survivre ; un ange tombé du ciel qui viendrait me sortir de ce cauchemar où je meurs chaque jour un peu plus ?

Je secoue la tête pour sortir de mes songes et reporte toute mon attention sur lui. Ce soir il est différent, quelque chose a changé en lui, ses yeux sont éteints et tristes. Il semble plus seul que jamais... Je ne comprends pas pourquoi cet homme si extraordinaire vit dans la plus complète solitude... Il semble coupé du monde, sans famille, sans amis... Sans amour... Il se pose sur le canapé en prenant son visage dans ses mains. Que se passe-t-il dans sa tête pour qu'il semble si abattu ? Je voudrais tellement le prendre dans mes bras, le serrer fort contre ma poitrine, lui chuchoter des mots doux pour l'apaiser. Il reste ainsi, immobile dans la pénombre, ses yeux rivés sur le parquet usé par les années. Avec comme seul bruit : la pluie frappant les vitres et sa respiration saccadée. Mes yeux se fixent sur son visage et mon cœur se fendille comme de la porcelaine en voyant cette perle d'eau salée dégringoler le long de sa joue. Pourquoi pleure-t-il ?
Je tends la main pour essuyer ses larmes mais mes doigts passent à travers son visage, alors je recule en hurlant de rage, maudissant mon sort. Je voudrais tellement le toucher, lui dire que je suis là... A côté de lui. Que c'est pas grave, que tout va s'arranger. Que la vie peut être belle quelques fois... Je donnerais n'importe quoi pour être vivante rien qu'un instant... Pour lui dire qu'il n'est pas seul et que je l'aime de toutes mes forces.

Je ne peux détacher mon regard de cette vision qui détruit le peu d’espoir que j’avais depuis la lecture de cette lettre. Cette lettre qui n’est qu’un tissu de mensonges, j’aurais dû m’en douter ! Les voir si beaux, si joyeux, me confirme le fait qu’il n’a pas mis fin à leur relation, il s’est moqué de moi.

Un silence pesant s'abat sur nous, tandis que sa main tremble dans la mienne.
Je remarque cette fragilité dans son regard, cette douleur profonde que je connais bien.

– Je retrouve la mémoire de quoi ?

–...

– Alastor, crié-je. J'ai besoin de réponses, je ne peux pas rester ainsi. Même si la vérité me blesse, je dois l'entendre !

– Cette vérité-là, t'anéantira... Et comme à chaque fois tu me demanderas de t’effacer la mémoire... Je ne peux plus Adélice. Faire semblant de ne pas te connaître et vivre et revivre les mêmes révélations. Te retrouver et te perdre depuis des centaines d'années, ça fait trop mal...

– De quoi tu parles ? Je ne comprends plus rien... Depuis quand me connais- tu ? questionné-je, angoissée par le déroulement de la situation.

Quand on a tout perdu du jour au lendemain, qu'on est passé d'une enfance dorée à une jeunesse en HLM, on sait à quel point tout peut changer en une fraction de seconde. Personne ne sait de quoi demain sera fait, à moins... A moins d'épouser Nicolas Dambre - Villiers dans deux mois.

– Je suis désolée… Je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça. C’est moi qui ai quelque chose qui cloche toi tu… tu es formidable Marc, tu n’as rien à te reprocher ! Toute ma vie, je n’ai fait que des mauvais choix. Je suis comme ça, j’ai une accoutumance à l’autodestruction

Je me dissimule derrière l'arbre, je crois qu'elle m'a vu... Je ne comprends pas ce que je fais encore là, j'ai essayé de partir à mille reprises, mais c'est plus fort que moi je n'arrive pas à m'éloigner de cette créature. Elle m'attire sans que je puisse rien y faire... Des siècles sur cette terre, des centaines de conquêtes féminines, d'aventures sans lendemain et là... Entre deux battements de cœur, son visage s'est insinué en moi. Depuis que mon regard s'est posé sur cette frêle silhouette tourmentée, sur ce visage aux traits d'une finesse et d'une beauté incroyables, je suis obsédé.

J'ai observé la vie de tellement de familles, jalousé tellement de beaux moments et pleuré si souvent en voyant des choses horribles que personne ne devrait jamais voir.

– Non ? Et comment tu appelles ça alors ? crie-t-il fou de rage. Je crois que tu t’es bien foutue de moi comme si ma vie n’était déjà pas assez compliquée... finit-il en prenant sa veste et en partant vers l’ascenseur.
– Dylan, ne pars pas, on doit parler.
– Non, je ne préfère pas, je te dirais des choses regrettables !
Je le regarde s’éloigner sans savoir quoi faire pour le retenir.
Quand les portes de l’ascenseur se ferment, je laisse éclater mon chagrin...

Au bout d'une poignée de minutes, je soulève les paupières et je plonge dans les yeux les plus beaux que j'aie jamais vus. Il est là à l'autre bout du comptoir, il me dévore des yeux. Il est d'une beauté à couper le souffle, des épaules larges, une mâchoire carrée, des pommettes saillantes, un nez droit et des yeux... Des yeux d'un bleu profond dans lesquels je me noierais bien pour l'éternité!

Le temps est suspendu, l'air s'est comme solidifié entre nous deux, je n'arrive plus à détacher mes yeux de son visage. Mon coeur s'est arrêté de battre et mes mains se mettent à trembler.

A 18 ans j'ai répondu à une annonce pour être danseuse au loup blanc. C'est comme ça que j'ai pu payer mes cours de danse. Je suis devenue la meilleure danseuse de pôle danse du club. C'est un mélange de danse et d'acrobaties sur barre verticale.

La danse, c'est toute ma vie, c'est ma passion depuis mon plus jeune âge.

Et c'est grâce au loup blanc que j'ai pu me perfectionner.

Mon géniteur, fou de rage, m’insultait, hurlait que j’allais regretter de l’abandonner. Comme si ma vie avec lui avait été un rêve… Avait-il conscience du mal qu’il nous faisait ? Comment avons-nous pu passer à travers les mailles du système social ? Pourquoi personne ne s’est jamais inquiété de savoir dans quelles conditions nous vivions, mon frère et moi ?

Le destin nous a réunis dans les affres de ce monde pourri. Nous sommes deux coeurs noircis par la vie, deux âmes perdues qui ont fusionné en un amour haineux et désespéré.

Je me tétanise en entendant cet aveu. Je ressens une telle tristesse dans ses mots. Je sais qu’il aurait donné n’importe quoi pour être père... Je n’en reviens pas qu’il me dise toutes ces choses. Quelque part en moi, je suis heureuse d’entendre ses excuses. Peut-être avais-je besoin de ça pour clore définitivement cet épisode de ma vie.

Je préfère être seule que de dépendre de quelqu'un. Parce que l'amour, c'est ça : on aime et on devient dépendant de l'autre. On ne peut plus vivre ni respirer sans lui et lorsqu'il vous abandonne, parce qu'il ne faut se faire aucune illusion, il le fera, eh bien vous êtes à l'agonie. Vous avez tout perdu, même votre âme.

- Tu n'as pas eu envie de tout plaquer pour partir loin d'ici?
- Un millier de fois, mais pour faire quoi et aller où? Je ne pense pas que l'herbe soit plus verte ailleurs. C'est toi qui construis ta vie et ton avenir, qui prends les décisions importantes.

Lorsqu'il a appuyé son corps massif au mien, son sexe battant contre mon ventre m'a autant coupé la respiration que l'acier de son arme sur ma peau nue.
Les larmes sont revenues sans que je puisse les retenir.
« Tout ça m'appartient maintenant. Tu es ma propriété. »
Ses mots résonnent dans mes oreilles alors que je cours dans le dédale des rues de Brownsville. Je ne serai jamais le jouet de personne, pourtant, j'ai l'impression d'avoir son titre de propriété collé sur les fesses.

Je suis tellement fou de rage que rien ne se mettra sur mon chemin. Je dois voir cette saloperie de bonne femme pour lui dire ce que je pense de son coup foireux.

La honte m'envahit. moi-- même, je ne comprends pas mes réactions. J'ai peur, juste peur de me faire avoir, alors je me barricade derrière des barrières imaginaires. Je provoque des conflits pour mettre de la distance entre nous. La vérité c'est que je l'apprécie beaucoup trop, je suis sous son charme, c'est effrayant.

Elle s'obstine à faire la nana intouchable qui contrôle tout et se fiche de tout, mais je sens sa fragilité, ses fêlures qui la rendent à fleur de peau. Quelque part, elle me ressemble. Comme moi, elle est brisée, ne crois plus en rien.