Regarde-le, ton métier ! Tu les vois naître, grandir, tu signes leurs certificats pour faire du sport ou les en dispenser, partir en colonie de vacances. A certaines, tu prescriras leur premier contraceptif. Tu parapheras un certificat prénuptial. Tu les verras s'aimer, avoir à leur tour des enfants. Oui, ils souffriront, déprimeront. Ils seront malades, accidentés ou divorcés et, toujours, ils viendront pleurer sur ton épaule. Où veux-tu qu'ils aillent ? Ils ne croient plus en Dieu, ils ne connaissent plus de prêtre, ils ont peur de tout ce qui commence par psy. Que leur reste-t-il, sinon leur médecin qui, sous serment, ne répétera jamais rien ? Ils sont la vie. Tout cela, c'est la vie. Oui, je trouve que c'est un beau métier. Qui s'assume, qui ose.
D’un geste net et précis trahissant une longue habitude, elle fit basculer le siège du conducteur pour jeter son sac sur la banquette arrière. Cette sacoche de cuir noir patiné, déjà usée, l’accompagnait depuis cinq ans. Cinq années de pratique de la médecine. Cinq année à côtoyer a maladie, la souffrance, quelques fois la mort. Cinq années qui, lui semblait-il, avaient duré des siècles.
Vivre, c'est aussi mourir, affronter l'angoisse, la peur, la souffrance.
A cet instant, dans le joli salon aux murs décorés de photos, Laura était l'exclue. Cette famille unie n'était pas la sienne. Malgré les câlins et les déclarations d'amour de sa nièce, malgré toute l'affection qu'elle lui portait, ce ne serait jamais sa fille, elle ne serait jamais sa mère. Elle ressentit un grand vide avec, au niveau du nombril, une légère crispation. Soudain, mal à l'aise, elle se leva et se dirigea vers la chambre de Manon.
Laura faisait tout son possible pour la rassurer, expliquant, prenant le temps de deviner ses questions si angoissantes qu'on ose même pas les formuler. Mais elle ne pouvait pas faire la seule véritable chose que sa patiente aurait souhaitée, elle ne pouvait pas lui garantir qu'elle était guérie.
Au fil des années, elle avait acquis sur ses patients un regard critique. Elle les trouvait repliés sur eux-mêmes, attentifs à leurs seuls intérêts, indifférents aux autres. Après une phase de révolte et de colère où elle avait cru pouvoir changer cet état de choses par sa propre volonté, elle s'était résignée, comme beaucoup.
Il s'éloigna en courant après l'avoir repoussée un peu brutalement, repartant vers son hôpital, vers ses malades. Dans un film, il aurait sans doute tout quitté pour la suivre. Seulement voilà, la vie n'était pas du cinéma.
L’adulte redécouvrait ce que le garçon découvrait pour la première fois. L’expérience, fruit d’une succession d’années, se mêlait à la fraîcheur de l’innocence, à l’élan de la jeunesse.
Il aimait Juliette plus que tout. Saurait-il la protéger ? Elle traînait derrière elle tant de vieux démons devant lesquels il se sentait impuissant.
Il se demanda alors quel était l'imbécile qui avait dit qu'avec le temps les médecins se blindaient contre la souffrance.