C'est dans les ateliers d'artistes que l'on entend certainement les opinions les plus diverses et les plus contradictoires; chacun juge selon son tempérament, et avec une égale énergie de conviction; celui-ci donnerait tout ce qu'il possède pour acquérir telle oeuvre qu'un autre ne juge même pas valoir la dépense d'un cadre; mais devant Vélazquez toutes les controverses sont oubliées; comme Bach, comme Beethoven, il est honoré, même par ceux qui ne le comprennent pas; aucune discussion ne s'élève, il trône à la première place, il n'a pas de rival.
Il indique pour l'aspirant artiste cette devise " Je veux être un bon peintre " et aussitôt, pour modérer les ambitions qui s'illusionnent, il ajoute : " Qui connait le plus le découragement, sinon le peintre ? "
Parler de Fantin-Latour, c'est évoquer un poème de lumière, de couleur, d'harmonieuse beauté, de noblesse et de distinction, c'est planer à des hauteurs où n'atteignent pas les vulgarité ni les compromissions.
Il est curieux de constater que l'Espagne, à son époque de déclin, a exercé sur le monde une influence égale à qu'elle celle avait au moment de sa plus grande prospérité. Cervantès comme écrivain et Vélazquez comme peintre, apportent à leur pays natal une immortalité qui rejette dans l'ombre la mémoire de personnages tels que Charles Quint, Philippe II, etc.
Boucher, nous l'avons vu, place toujours un fond de paysage comme décor à ses tableaux. On a souvent accusé les peintres de cette époque de n'avoir rien compris à la nature et de s'être forgé des paysages de convention, peignés, lavés, entièrement issus de leur fantaisie. Boucher ne mérite pas un tel reproche ou du moins ne le mérite-t-il que si l'on prétend faire entrer dans le domaine de la réalité pure les fictions mythologiques de l'antiquité, ce qui serait, à notre sens, la plus grave des erreurs. Certes, il idéalise son paysage, il a bien soin d'en écarter tout ce qui risquerait de choquer le regard ou de rompre l'harmonie. N'y cherchez pas des sentiers raboteux, des ornières boueuses, tout cela cadrerait trop mal avec les gracieuses personnes qu'il y veut faire passer. Pas de souillures sur le sol où ses baigneuses posent leurs jolis pieds ; mais levez les yeux et dites-moi si les arbres au beau feuillage vert delà Diane au bain ne sont pas de vraies ombres, si l'air et la lumière n'y circulent pas, si ce n'est pas la nature réelle, celle que nous voyons à chaque pas dans nos promenades à travers champs. Au surplus, est-il donc si paradoxal qu'une terre plus belle que nature soit disposée sous les pieds de déesses habituées à cheminer sur les nuées brillantes de l'Olympe?
Il est intéressant de connaître à ce propos la technique de son art, la voici
dans une note adressée à Ducreux: Finissez vos ouvrages tant que vous pourrez revenez y trente fois s'il le faut, vos fonds bien empastés tachez de faire au premier coup, et ne craignez jamais de revenir après, pourvu que ce soit en glacis; n'empastez jamais vos dentelles ni vos gazes; soyez piquant si vous ne pouvez pas être vrai, ne faites jamais vos têtes plus grosses que nature ni au dessous autant qu'il vous sera possible. Faites des études pour vous orner la mémoire; surtout du paysage pour devenir harmonieux, n'entreprenez que ce que vous pourrez faire dans votre essence et hâtez vous lentement, tachez d'établir, s'il est possible, vos ombres et de les dégrader surtout pour les grandes masses et alors ne posez votre ton qu'après l'avoir comparé du fort au faible, vous serez toujours surs de faire tourner. Faites des études avant que de peindre en dessinant surtout."
Diderot ne s'en aperçut pas, il célébrait ces œuvres qui prouvaient, disait-il, "autant de grandes qualités de cœur que de morale," et il s'écriait avec un lyrisme qui nous étonne un peu: Beau! très beau! sublime! Courage, mon ami Greuze, continuez toujours à peindre de tels sujets, et quand la mort viendra, il n'y aura rien que vous ayez peint que nous ne puissiez vous rappeler sans plaisir."
Jean-Baptiste Greuze, d'une intelligence vive et d'une volonté ambitieuse, saisit l'occasion d'attirer l'attention sur lui, et s'appliqua à satisfaire cette"débauche de morale comme on disait alors; son tableau arrivait au moment psychologique, pour charmer un public lassé des pastorales et des amourettes.
Les travaux de l'artiste à la cour, pendant cette période, nous ont été relatés par Pacheco, mais des détails manquent; pour les Grands d'Espagne, un peintre de portraits n'était pas une personnalité d'importance, on l'assimilait aux bouffons et aux nains chargés d'amuser, l'art devant se consacrer entièrement à l'Eglise; des documents nous montrent que Vélazquez reçut huit livres pour trois portraits dont l'un est perdu, dont les deux autres sont en Espagne: Philippe, et le comte Olivarès.
En 1625 il fut gratifié d'un présent de trois cents ducats, d'une pension de même valeur, et d'un logement; en plus de ces récompenses officielles, Vélazquez jouissait de l'estime particulière du souverain qui se rendait souvent à son atelier par les couloirs secrets du Palais.
IL est peu d'artistes dont l'oeuvre soit aussi évocatrice d'une originalité bien spéciale. Quand on dit un " Greuze," on voit de suite une toile de coloration fraîche et séduisante, des têtes de jeunesse et de charme, une peau douce, des regards clairs, voluptueux parfois comme en certaines études de bacchantes, des chevelures blondes, des lèvres purpurines, surtout maintenant que nous admirons plus le peintre que l'inventeur de ces romances sentimentales popularisées par la gravure. Le métier de l'artiste nous enthousiasme, mais nous ne ressentons plus guère d'émotion à ses drames de famille; cette sentimentalité, enclose dans des titres légendaires, nous laisse indifférents. Le morceau, d'exécution souple et séduisante, nous occupe plus que l'anecdote.