Avis sur Le prince sans sourire à 11:22
Je suis pleine de solitude. Je suis seule avec moi-même, avec mes pensées qui tournent à vide. Je suis un coffre fermé. La clef est quelque part je le sens, mais je ne sais pas encore où la trouver pour m'ouvrir.
Je pense que le mythe est une autre forme d’Histoire, vous comprenez? L’histoire de la vie intérieure de l’Homme, le versant nébuleux et poétique de la vie humaine, la réalité de leur imagination qui leur a servi de vérité pendant des siècles. La fiction et la vie sont jumelles de sang, vous savez.
Un chant traverse la nuit comme un regret. Il vient de partout, pour m’envelopper dans sa trame légère et dire une lumière éteinte, un profond désespoir, enfoui sous les siècles, la poussière et la pierre impassible. Le chant d’une innocence murée dans sa douleur béante.
"Là, en un battement de cils, je vécus avec elle toutes ses vies l'une après l'autre, fleur dont on découvre peu à peu le coeur, alors que tombent les pétales."
"Vert-de-Lierre. C'était donc cela, la légende du Vert-de-Lierre que Grand-Mère me racontait souvent par le passé. Un autre souvenir me revint à l'esprit, sûrement provoqué par cette vision. Grand-Mère m'avait expliqué que, petite, on lui racontait souvent cette histoire digne des Métamorphoses d'Ovide, et que ses parents avaient même poussé l'inspiration jusqu'à faire du Vert-de-Lierre (car c'était là le nom populaire qu'on lui attribuait) le croquemitaine destiné à punir les enfants de leurs bêtises..."
Tel un incube végétal, à chaque sacre de printemps, il se libérait de l’étreinte d’un lierre grimpant sur l’un des murs du château pour posséder la jeune fille qui avait le malheur de croiser son chemin. Ce conte inquiétant avait fini par appartenir en quelque sorte au patrimoine culturel de la région au fil des générations.
Celui-ci respire la graisse et la sueur. Sa démarche est lourde et son œil fuyant. Mais surtout, sous la pesante émanation de son corps huileux, un parfum de perversité fait de souffles rauques, de rires entrecoupés et de cris d’enfants. Je tressaille sous la vague de dégoût qui me submerge en le perçant à jour. Il se dirige vers un supermarché. Je l’ai choisi. Il sera ma première victime.
« Son corps est de bois sec et dur,
Qui craque et grince
Ses doigts griffent, ses doigts pincent,
Son visage est une blessure
Pour quiconque le regarde
Du vert-de-Lierre prenez garde,
Dans ses yeux guette le Profane
Prêt à bondir sur votre âme
Son souffle est tel un cri de hibou
Qui trouve son écho entre chien et loup
Il aime les âmes en fleurs
Jeunes et fraîches à cueillir
Entre ses lèvres se fanent
Les amours printanières
Sur ses noueuses épaules languissent
Espoir et jeunesse, qui gémissent,
Et se dessèche comme l’automne
Son rire amer de faune »
Il marchait vers moi avec l’assurance du destin. D’infimes tremblements nervuraient ses mouvements. Un être plein de la sève de Némésis, qui ne demandait qu’à la déverser dans le sein de cette quiétude végétale. Un Pan oublié et moqué des faveurs féériques. Un Ennemi à la colère profonde, sauvage, en friche, qui n’avait pas connu la floraison la plus belle de l’âme. Revêtu du manteau du Cauchemar, évoluant d’une démarche à la fois chuintante et saccadée.
Doucement, je m'enracine. Je rejoins cette immensité muette qui fait de moi un élément autant qu'un être. Je suis cette terre qui me porte, je suis ce vent qui m'ébouriffe, cette pluie qui lave d'oubli les pas de chacun. je suis le bruissement de ces feuilles qui dentellent le silence.