Marie du Bouchet

Pour moi l'instinct est de perfection inconsciente et mes tableaux vivent d'imperfection consciente. J'ai confiance en moi parce que je n'ai confiance en personne d'autre et je ne puis en tout cas savoir moi-même ce qu'un tableau est ou n'est pas et fabriquer de nouvelles constantes avant de peindre.
Il faut travailler beaucoup, une tonne de passion et cent grammes de patience.

Ayez confiance, papa. Je travaille. Rien ne vient de rien disaient les vieux grecs. Je sais que ma vie sera un continuel voyage sur une mer incertaine, c'est une raison pour que je construise mon bateau solidement, et ce bateau n’est pas construit papa. Je ne suis pas encore parti pour ce voyage, lentement, pièce par pièce, je construis. Je vous quitte papa. Ecrivez moi trois quatre lignes de temps en temps, cela me fait bien plaisir.

Chère maman, je suis triste quand je peins et sais d'avance ne pas être compris. Le gosse est encore venu ce matin. J'ignore si je pourrai donner cette impression de corps frêle dans son ample djellaba aux larges manches. Parfois la distance de mon travail à mes rêves me fait rire, maman, rire de moi avec tristesse. Je veux donner à mon gosse cet air de grand seigneur dans ses amples vêtements. Je l'aime d'autant plus qu'il ne verra probablement plus son beau pays aux aspects barbares, mais de larges avenues en macadam couperont la Médina, et les mosquées seront classées monuments historiques. Le Caire en est à peu près là, dictature du confort. Il m'est bien difficile de vous dire tout ce qui se passe, je vais lire Delacroix, puis dormir.

Ma vie ici a tout à fait changé depuis le début. Je travaille mieux avec moins d'inquiétude, moins de désespoir. Maman, hier j'ai fait un dessin d'une gamine berbère, qui est le meilleur jusqu'à présent, et qui est meilleur que moi-même. Dieu si je pouvais changer, devenir plus simple, plus simple. Mais c'est toute une lutte, et sans profit immédiat.