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Critiques de Ménandre (7)
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Théâtre

"Le théâtre perdit son antique fureur,

La comédie apprit à rire sans aigreur,

Sans fiel et sans venin sut instruire et reprendre,

Et plut innocemment dans les vers de Ménandre."

(Boileau, "Art poétique")



J'ai un faible pour Ménandre depuis ma rencontre avec sa statue devant le théâtre de Dionysos à Athènes. Son visage était si sympathique et intelligent... et j'étais terriblement désolée que les Parques lui aient coupé le fil aussi vite, en le noyant en mer.

Une impression non moins positive me laisse la relation de ce dramaturge avec l'hétaïre Glycère, pleine d'affection et de respect. Même les correspondances apocryphes d'Alciphron pleines de satire mordante sont étrangement bienveillantes envers ce couple légendaire.

Et après la lecture de deux de ses trois (il me semble) pièces qui nous restent dans leur presque-intégralité, je l'aime encore davantage.



On peut se faire une certaine idée de cet auteur du 4ème siècle av. J.-C., notamment grâce aux listes de vainqueurs des concours théâtraux, où il figure plusieurs fois en place d'honneur. Mais on ne peut deviner le contenu de la plupart de ses comédies que grâce aux imitations, citations ou fragments repris par ses successeurs. Apparemment, Ménandre fut à son époque un "véritable modèle culturel", vénéré par la suite par des hommes de lettres aussi disparates que Plaute, Térence, Plutarque, Racine, Molière ou Boileau.

J'aurais tendance à croire que quelqu'un d'aussi adorable que Ménandre doit être aimé de tous, mais les chrétiens fanatiques qui brûlaient ses pièces avaient, de toute évidence, une toute autre opinion. de ce fait, je me dis que c'est déjà un sacré coup de chance de pouvoir tenir entre mes mains un texte perdu il y a deux mille ans, destiné aux flammes, et retrouvé en 1905 complètement par hasard en Egypte, dans un dépotoir du 3ème siècle. C'est un privilège de le lire : Nietzsche ou autres philologues classiques, qui mériteraient cette lecture bien plus que moi, n'ont pas eu cette chance.



"L'Arbitrage" (ou "Épitrépontes") combine plusieurs phénomènes ordinaires (aujourd'hui on dirait "sensibles") de la société grecque : abandon d'enfant, épouses répudiées, différente perception de l'infidélité chez les hommes et les femmes, viol, esclavage et prostitution. Avec ces ingrédients, Ménandre nous a concocté une comédie débonnaire, qui ne vous fera peut-être pas hurler de rire, mais au moins sourire.

La fin heureuse n'est pas apportée par un habituel deus ex machina ; ce sont les mortels ordinaires qui doivent donner un coup de pouce au heureux hasard, et qui doivent souffrir pour se rendre compte de leurs propres fautes (le commérage chez Onésimos, l'avarice chez Smikrinès) et essayer de les réparer. Ménandre y exprime clairement son opinion sur les hétaïres, et montre Habrotonon, l'"enquêtrice" de la pièce, comme une femme généreuse au caractère pur, peu importe ce qu'en pensent ou disent les autres. L'une des scènes particulièrement charmantes est la leçon d'humilité donnée à Smikrinès par une simple nourrice qui cite Euripide.

On ressent l'amour du dramaturge pour les hommes, et aussi sa foi en la possibilité de devenir meilleur. Tout cela est encadré par une intéressante philosophie, selon laquelle les dieux n'interviennent qu'indirectement dans nos vies, en dotant tout un chacun de sa nature propre. Si le mortel pèche contre cette nature (par exemple par sa cruauté), il souffre. Et parce que d'autres personnes lui servent de mécanisme de contrôle, Ménandre peut en quelque sorte affirmer que "l'homme est un dieu pour l'homme". Magnifique !



"Le Bourru" ("Dyscolos") parle d'un misanthrope furieux, Cnémon, qui changera son point de vue sur l'humanité après le comportement de ses proches au moment où il se retrouve en danger mortel. Une fois de plus, le dramaturge surprend agréablement par le fait que la transformation de Cnémon n'est pas complète et ne va pas à l'encontre de la logique de son personnage. Les "méchants" chez Ménandre ne sont tout simplement pas méchants sans raison (ni pour toujours), et ses comédies ne ressemblent pas aux naïfs contes de fée. Au contraire, il y a beaucoup de critique sociale :

"Triple maudit, ce type-là ! Quelle vie il a ! Ça, c'est un paysan attique pur et dur ! à force de se battre contre des pierres qui ne portent que thym et sauge, il s'attire bien des chagrins mais n'attrape rien de bon".

Sinon, "Dyscolos" est réellement comique. J'ai beaucoup aimé le "tableau de genre" avec le cuisinier Sicon qui porte un mouton récalcitrant sur ses épaules : "Ce mouton-ci, c'est une calamité peu ordinaire ! Va-t'en au gouffre ! Si je le porte en le soulevant en l'air, il se tient par la bouche à une jeune branche de figuier, bouffe les feuilles et tire de toutes ses forces ; d'un autre côté, si on le laisse par terre, il n'avance pas !"

La traduction relativement moderne utilise des expressions populaires et donne une sensation de fraîcheur, sans oublier le fait important que ce fut Ménandre (et non pas Aristophane, culturellement plus éloigné) qui a le plus influencé la tradition des comédies européennes. Je n'ai lu qu'une seule pièce d'Aristophane ("Les Grenouilles"), mais à comparer les deux, le chaleureux et amusant humaniste Ménandre gagne résolument toutes mes sympathies.

"Toi qui as subi tous les malheurs du monde, danse, viens te joindre à nous !" 4/5
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Le Bouclier

Ménandre fait partie des dramaturges grecs dont l'œuvre a beaucoup souffert des outrages du temps et des vicissitudes du pouvoir politique. À ma connaissance, sur les plus de cent comédies qu'il aurait écrites (environ 105) seule Le Dyscolos (c'est-à-dire Le Bourru) nous est parvenue à peu près complète et, dans une moindre mesure, La Samienne, amputée " seulement " dans ses deux premiers actes et L'Arbitrage qui a des petites lacunes réparties sur les cinq actes.



Toutes les autres, dont Le Bouclier, sont à l'état de fragments et nous ne connaissons le déroulement des parties manquantes que par des sources extérieures qui parlent de la pièce. Ici, c'est plutôt le début qui est intact, les deux premiers actes étant quasi complets, mais dès le troisième, il y a de gros manques et les quatrième et cinquième sont presque entièrement perdus. On n'en a que la scénario.



Malgré tout, ce dont nous disposons nous permet tout de même de nous faire une idée du talent de dramaturge de Ménandre et son impact sur la comédie mondiale jusqu'à Molière.



En effet, Ménandre possède un comique moins gras et assez différent d'Aristophane, l'autre grand comique grec. Ce n'est pas de la franche rigolade, mais un scénario plus fin, plus scénique, une facture théâtrale qui sera repris pas Plaute et Térence et qui, plus tard, d'influence en influence se perpétuera dans des pièces classiques comme Les Fourberies De Scapin ou L'Avare.



Ici, il est question, et les amateurs de Molière ne s'y tromperont pas, d'un vieil avare, d'un héritage intéressant, d'un faux médecin déguisé, d'un mariage arrangé qui va se transformer en deux mariages, le tout agrémenté d'une manière de quiproquo et orchestré par un esclave malin et débrouillard, ça ne vous rappelle rien ?



Le titre de la comédie provient du fait que le fils de la famille dont il est question, Cléostrate, est parti se battre en Orient pour trouver la gloire et la fortune. Concernant la fortune, il a manifestement réussi à récolter un assez joli butin mais, pris dans une embuscade sur le chemin du retour, en matière de gloire, il semble n'avoir trouvé que la mort. Preuve en est qu'on a retrouvé auprès des cadavres mutilés et méconnaissables que son bouclier cabossé.



C'est donc son fidèle esclave, Daos, qui rentre au pays annoncer la mauvaise nouvelle, portant avec lui le butin et les esclaves amassés par Cléostrate. Cependant, tout prend un tour insolite lorsque les deux oncles du défunt, qui était déjà orphelin, se rendent compte que l'unique héritier mâle de la famille vient de succomber.



Or, dans cette Athènes-là, à l'époque, existait une loi qui autorisait le plus ancien homme de la famille à se marier avec la dernière héritière afin d'éviter la dilapidation du patrimoine familial. Si bien que la sœur de Cléostrate risque fort d'être obligée d'épouser Smicrinès, son vieil oncle acariâtre et radin en vertu de cette loi.



Je vous laisse découvrir les subtilités de la suite ainsi que ce que mettront en place Daos et Chérestrate, l'oncle cadet de Cléostrate, pour contrecarrer les plans de Smicrinès.



Il est évident que cette pièce souffre d'être lacunaire mais pour les amoureux de l'histoire dramaturgique mondiale, elle présente un grand intérêt car on y lit clairement la révolution stylistique imprimée par Ménandre et les rails sur lesquels il positionne les ressorts classiques de la comédie et qui fleurira, pour ne citer qu'elle, la Commedia del'Arte (notamment avec son personnage d'Arlequin). Mais ce n'est bien évidemment qu'un avis, dont il faut aussi parfois savoir se défier et se garantir au moyen du bouclier de votre propre appréciation, c'est-à-dire, très peu de chose.



P. S. : malgré l'état lacunaire de cette pièce, au travers d'une scène particulièrement drôle où Daos ne parle qu'en citant des répliques toutes faites prélevées dans les tragédies très connues de l'époque, Ménandre nous permet d'avoir accès à des citations de pièces d'Euripide elles-mêmes disparues depuis lors et dont se sont les seules traces.
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Théâtre

Les textes de la littérature antique ne nous sont parvenus qu’en petite partie, le cas de Ménandre illustre tout particulièrement ce fait. Il aurait écrit plus de 100 pièces, 8 auraient triomphé au concours de tragédie à Athènes. Il a été classé par Aristophane de Byzance à la deuxième place dans la bibliothèque d’Alexandrie, juste après Homère. Jules César considérait que Terence (le plus grand auteur de comédies latines) valait moitié de Ménandre. Il a été donc imité plus qu’aucun autre par les auteurs plus tardifs, surtout latins. Ce qui a permis d’avoir une idée du théâtre qu’il pouvait avoir écrit. Car toutes ses pièces ont disparues, sauf quelques extraits il ne restait pour ainsi dire rien de cet auteur. Le vingtième siècle a permis quelques découvertes, dont quelques pièces presque complètes, et enfin dans les années 50 une pièce pour ainsi dire complète, le Dyskolos. D’autres découvertes peuvent toujours être espérées.



Cette édition du livre de poche donne tout ce qui est connu à ce jour de Ménandre. Les pièces dont nous avons la majeure partie, celles pour lesquelles nous avons quelques extraits, et aussi quelques scénarii de pièces, dont il est possible de restituer l’action grâce à des résumés ou adaptations de pièces postérieures. 19 pièces sont ainsi évoquées, ce qui représente moins de 20 % de pièces qu’aurait écrit Ménandre. A part le Dyskolos, la pièce complète, nous avons la majeure partie de L’Arbitrage et de la Samienne.



Le théâtre de Ménandre est rangé dans la catégorie de la Nouvelle Comédie, considérée comme très différente de l’Ancienne Comédie, dont le représentant le plus notable est Aristophane (le seul dont nous avons des pièces complètes), on évoque aussi une Comédie Moyenne, mais il n’en reste rien, et tout le monde n’est pas d’accord sur la pertinence de cette catégorie. La comparaison est donc seulement possible entre Aristophone et Ménandre. Les différences sont très importantes. Les comédies d’Aristophane évoquent la politique, l’actualité, la vie de la cité, un aspect poétique, presque surréaliste peut être présent, sans oublier un comique qui peut être grivois ou scatologique. Les pièces de Ménandre sont centrées sur le cercle familial, l’amour est l’élément central dans ses textes, l’action se passe chez personnes plutôt aisées et éduquées, les éléments trop grossiers sont éliminés. En général, un jeune homme de bonne famille est amoureux d’une jeune fille qu’il veut épouser, éventuellement (mais ce sont souvent des intrigues secondaires) il est amoureux d’une courtisane ou d’une jeune fille sur le point de le devenir. Il a besoin d’obtenir l’accord paternel, ce qui n’est pas toujours gagné. Mais il peut souvent compter sur un esclave habile, capable de soutirer de l’argent ou l’accord paternel, pour épouser la jeune fille, racheter la future courtisane, qui se révèle au final athénienne, et dont le père est l’ami du père du jeune homme. L’intrigue amoureuse est le centre de l’affaire, et les pièces se terminent comme de juste par un (ou plusieurs) mariage. L’opposition père-fils est le deuxième élément systématique, et se termine par l’émancipation du fils, qui s’exprime par le mariage choisi par le jeune homme.



Différents aspects peuvent paraître surprenants. Par exemple, la présence très réduite des femmes sur la scène (on peut le rappeler, jouées de toute façon par des hommes), alors que l’amour est le ressort principal. En réalité tout se décide sans qu’elles aient leur mot à dire, le seul désir qui compte, est celui du jeune homme. Il est frappant de voir le nombre de viols évoqués dans ces pièces, commis par ces jeunes hommes de bonne famille ; souvent l’excuse évoquée est le vin, l’ivresse, en particulier lors de fêtes ou manifestations religieuses, mais parfois même pas. Tant que tout cela se termine par un mariage, cela n’a pas d’importance. De même l’exposition des enfants nouveaux nés, qui étaient en réalité dans la plupart des cas, des condamnations à mort des nourrissons semble aujourd’hui inhumaine, alors qu’elle allait de soi à l’époque, en particulier pour les bâtards.



Ensuite la construction de la pièce surprendrait un spectateur d’aujourd’hui. Après une première scène d’introduction, il y a un prologue, dans lequel un personnage allégorique, raconte toute l’intrigue de la pièce jusqu’au dénouement, en rassurant l’assistance sur l’issue heureuse à venir. L’effet de surprise semble être désagréable pour le public. Les choeurs si présents chez Aristophane n’interviennent que lors d’intermèdes entre les actes, il semble s’agir de parties surtout musicales, sans lien avec l’action.



Il s’agit donc de pièces avec des intrigues, parfois complexes (même si elle sont éventées par le prologue) dont l’amour est le ressort principal. En deuxième plan, mais sans aucun doute cela devait être très important pour le public de l’époque, il y a quelque chose de l’ordre d’une comédie de caractère. Il y a par exemple un homme avare prêt à tout pour de l’argent, comme le Smicrinès du Bouclier : suite à la mort supposée de son neveu, il veut épouser sa nièce, pour récupérer l’héritage, comme la loi l’autorise. Une ruse lui ferra lâcher cette proie pour essayer épouser une autre nièce, encore plus riche, mais dont le père ne fait que simuler la mort. La rapacité de Smicrinès prêt à tout pour de l’argent est moquée, en particulier par l’esclave malin. Il ne faut pas oublier que Ménandre a été l’élève de Théophraste, un philosophe, qui a publié entre autre, Les caractères, une suite de descriptions de personnages, à chacun est associé un vice ou un défaut (La Bruyère va reprendre le principe), une typologie avec des aspects éthiques. On peut d’une certaine façon retrouver cette dénonciation de vices ou défauts dans les pièces de Ménandre.



On peut aussi, en filigrane, trouver dans ces pièces, une forme de critique de normes et règles sociales, par exemple dans le rôle moteur de l’esclave intelligent, qui ridiculise parfois son riche maître, et qui remet en cause la hiérarchie sociale. Les lois qui permettent au vieux Smicrinès d’obliger sa jeune nièce à l’épouser sont un autre exemple.



La comédie d’intrigue, avec le premier rang accordé à l’amour, de même que la comédie qui ridiculise certains travers ou défauts, sera remise à l’honneur à la renaissance, par les auteurs, d’abord italiens, puis d’autres pays européens, qui voulaient retrouver et imiter les auteurs antiques. Même si les textes de Ménandre n’étaient pas disponibles à l’époque, les adaptations latines et les résumés, ont fait que sa conception de la comédie est en quelque sorte revenue à la vie, avec quelques adaptations culturelles. L’esclave est ainsi remplacé par le valet. Pour voir à quel point le modèle de Ménandre a été utilisé, on peut citer Les fourberies de Scapin de Molière, ses deux jeunes gens amoureux, les deux pères que le valet dupe, et les scènes de reconnaissance finale, qui permettent aux jeunes gens d’épouser leurs belles, quasiment absentes de scène. Nous sommes exactement sur le même schéma.



Il est très difficile d’évaluer à quel point Ménandre a été original, à quel point il est celui qui a inventé ce genre de comédie, et à quel point il a pu s’inspirer ou imiter d’autres auteurs, puisque nous n’avons pas vraiment de textes des auteurs qui l’ont précédé ( la fameuse et débattue Comédie Moyenne) ou de ses contemporains. Néanmoins, pendant l’Antiquité, où ses textes étaient disponibles, il était considéré comme le plus grand dans son genre. Et compte tenu du corpus dont on dispose il y a peu de chances qu’il perde son statut de modèle, de créateur, d’un certain type de théâtre comique, qui est à l’origine du théâtre européen à partir de la renaissance.
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Théâtre

Après des siècles et des siècles, Ménandre a perdu toute sa réalité d’être humain : il ne représente plus que son œuvre, tournant majeur de la comédie grecque antique. Après de nombreuses exploitations de ce que l’on appelle aujourd’hui la Comédie Ancienne, apparaissent peu à peu de subtiles variations qui constitueront les caractéristiques de ce que l’on nommera plus tard la Comédie Nouvelle. Lire les pièces de Ménandre permet d’en obtenir un bon aperçu puisqu’il fait partie des principaux auteurs de ce genre que nous connaissons encore.



Le Théâtre de Ménandre regroupe ses pièces parmi celles qui ont réussi à traverser les siècles depuis presque deux millénaires et demi. Il s’agit déjà d’une preuve irréfutable sinon de leur qualité, du moins de leur pertinence –mais une pertinence confirmée au fil des âges est forcément un signe de qualité. Certaines pièces nous sont parvenues dans leur intégralité : nous pouvons citer « Le Bourru » ou « Le Bouclier »… D’autres sont fragmentaires. Parfois, il n’en reste qu’une ébauche de quelques lignes. L’ouvrage n’oublie pas d’inclure ces extraits qui nous renseignent d’une part sur la productivité de Ménandre, d’autre part sur la récurrence des thématiques et la similarité des constructions d’intrigue.



En effet, Ménandre écrit des pièces comme Queneau se livre à ses exercices de style : toutes se conforment à une problématique qui varie peu. Le mariage espéré par l’un ou l’autre des personnages pourra-t-il se concrétiser ? Les obstacles sont financiers ou familiaux. Les manières d’y remédier trouvent un peu d’originalité puisque la ruse des personnages est souvent sollicitée et s’accompagne d’une inventivité et d’une absence de valeurs morales qui leur font construire des scénarios précurseurs du plus alambiqué des vaudevilles !



Un exemple de ces histoires à imbroglios :





« L’esclave est là pour lui expliquer que le voisin est en fait dupé par son fils qui lui a dit que la courtisane était aimée par l’autre garçon et que lui-même désire épouser la fille du voisin, récemment reconnue. Le vieillard accepte alors de payer la somme prétendument réclamée par la courtisane comme remboursement du prêt, et cela, pour que la ruse qu’il a réclamée antérieurement soit parfaite, par l’intermédiaire de son propre fils ! »

(Le Bourreau de soi-même)





La Comédie Nouvelle serait plus policée, plus correcte que la Comédie Ancienne ? Elle reste toutefois encore brute de mœurs et de paroles, ceci avec le plus grand naturel qu’il soit. Certes, la lecture de Ménandre ne froissera pas les esprits, mais il serait injuste de passer sous silence les multiples provocations et injures que se lancent les personnages. La brutalité va de pair avec l’imprévisibilité et crée des situations dont le comique frôle souvent l’absurde. Moschion a un problème ? Qu’à cela ne tienne, il suffit de le régler d’un bon coup de poing. Lorsque les dieux sont invoqués dans ces querelles de chiffonnier, on franchit aisément le burlesque.





NICERATOS : […] Déméas

Est un bousier. Par Poséidon et par les dieux, il lui en cuira

De sa grossièreté.





Autre signe qui nous prouve que Ménandre n’est pas si policé qu’on voudrait bien nous le faire croire : il assigne aux esclaves des positions qui les détachent de leurs rôles minables habituels en les amenant à contester la hiérarchie établie. Grâce à eux, l’action prend des tournures moins réglementaires. Parce qu’ils ont peut-être l’habitude de fréquenter les chemins de traverse plutôt que les voies royales, leur manière de raisonner sème le trouble et propose une vision des choses peu orthodoxe. L’esclave, représentant de la vie privée, nous permet également de constater le glissement opéré entre la Comédie Ancienne et la Comédie Nouvelle : si la première se déroulait surtout dans les espaces publics et politiques, la seconde ne se préoccupe absolument pas des affaires qui peuvent être au centre des préoccupations du Forum. Ici, la vie se limite au cercle du privé, à la sphère des parents et des amis, et cela suffit amplement. Les nœuds et implications de ces seuls liens sont déjà assez enchevêtrés pour qu’une nouvelle sorte de difficultés ne vienne se rajouter au reste. D’ailleurs, cette complexité des intrigues qui n’hésite pas à confondre les identités, ne tarde pas à lasser. De pièce en pièce, on a souvent l’impression d’être confronté à la même trame. Pas de grande surprise quant à la problématique et à son dénouement. Heureusement, Ménandre se rattrape et se fait partiellement pardonner en variant les modes de résolution de ses problématiques. Ce que l’on aurait pu prendre pour un manque d’originalité ne serait peut-être qu’une manière pour Ménandre de réfléchir à la diversité de la vie, que prouvent les multiples variations qu’il propose à la résolution d’un seul et unique problème. A moins qu’il ne s’agisse, plus prosaïquement, de plaire au spectateur tout en lui évitant la lassitude propre à la confrontation répétée de ce qui a failli n’être qu’une seule et même pièce de théâtre…
Lien : http://colimasson.over-blog...
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Le Dyscolos

Il s’agit de la seule pièce de Ménandre parvenue jusqu’à nous pratiquement entière. La découverte du texte est relativement récente, puisqu’elle date des années 50 du siècle dernier. Elle est quelque peu différentes des trames des autres pièces de l’auteur dont nous possédons des parties plus ou moins fournies, ou des scenarii, ce qui pose la question de la représentativité du corpus en notre possession ( environ un cinquième de l’oeuvre de Ménandre). Le titre de la pièce a donné lieu à différentes traductions : Le Bourru, Le Grincheux, L’Atrabilaire, voire Le Misanthrope, les deux derniers titres évoquant forcément la célèbre pièce de Molière. Mais les deux comédies ont des contenus bien différents.



Cnémon, un paysan peu fortuné n’aime pas les hommes et souhaite les éviter autant que c’est possible. Sa femme l’a quitté, elle vit à proximité chez un fils d’un premier mariage, qui subvient à leurs besoins tant bien que mal. Cnémon vit avec sa fille, et une servante, et travaille seul ses champs, ce qui est difficile, d’autant qu’il n’est plus jeune.

Pan en personne nous annonce dans le prologue qu’il a décidé d’aider la fille de Cnémon à cause de sa grande piété : un jeune homme riche venu à la chasse l’a vue, et a été rendu amoureux. Il a de bonnes intentions, et envoie son serviteur pour essayer de s’entendre avec Cnémon. Ce dernier, fidèle à lui-même, le chasse, en se livrant à quelques violences, sans que le serviteur ait pu lui expliquer ce qui l’amenait.

Gorgias, le demi-frère de la jeune fille a vent de ce jeune homme qui rôde, et devine que cela doit être en rapport avec sa sœur. Il vient pour la défendre, et fait la morale à Sostrate, qui le rassure sur ses bonnes intentions, il voudrait juste parler à Cnémon pour s’entendre avec lui. Gorgias, connaissant le bonhomme, n’est pas optimiste. Il propose à Sostrate de venir travailler la terre avec lui aux environ du champ de Cnémon, car rester sans rien faire ne donnera pas une bonne opinion au vieillard. Sostrate, en riche oisif, souffre pas mal en se livrant aux travaux agricoles. Et c’est pour rien : Cnémon s’est réfugié dans sa demeure, car la mère de Sostrate est venue avec une assistance pour sacrifier dans une grotte proche, et Cnémon fuit toutes les possibilités de rencontres.

Mais le hasard vient au secours de Sostrate : Cnémon tombe dans le puits, et ne peut en sortir que grâce à Gorgias et l’assistance un peu vacillante de Sostrate. Il est complètement abattu par l’incident, étant obligé de reconnaître qu’il ne peut se passer des autres. Il partage son bien entre sa fille et Gorgias, et consent au mariage. Il ne reste plus à Sostrate qu’à convaincre son père, venu lui aussi pour le sacrifice (en espérant que tout le festin n’a pas été mangé avant son arrivée). Il n’est pas trop dur à convaincre, rechigne un peu plus à donner aussi sa fille en mariage à Gorgias (personne n’a idée de demander son avis à la jeune fille), vu le manque d’argent, mais Sostrate arrive à le convaincre en argumentant sur l’instabilité de la fortune et l’essentiel des vertus.



La pièce, et ses aspects comiques, proviennent surtout du personnage principal, Cnémon, qui refuse de voir les hommes, et qui en vient vite à la violence injustifiée pour éviter tout contact. Rien dans la pièce n’explique les raisons de ce comportement. Il y a aussi l’opposition entre la famille riche, et les paysans, qui doivent gagner leur pain à la sueur de leur front. Sostrate, enfant gâté, qui n’est pas vraiment un modèle de volonté de courage et d’efficacité, et qui trouve les outils de paysan si lourds à porter, son père surtout préoccupé d’aller festoyer et valorisant la richesse. Mais au final ils se montrent plutôt de bonne composition. Le personnage le plus positif est Gorgias, faisant vivre sa mère, soucieux de sa sœur, secourant d’une manière efficace Cnémon et sachant profiter raisonnablement de la situation, toujours digne et plein de bon sens.
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Le Dyscolos

Une pièce méconnue de l'Antiquité et récemment découverte, représentative de la "Nouvelle comédie" grecque. Elle a cependant eu une grande postérité, puisqu'elle a même indirectement influencé Molière pour "Le Misanthrope" !

Le Dyscolos (en grec "le bourru") a une intrigue assez simple : Sostrate, un jeune citadin, est tombé amoureux de la fille de Cnémon, un paysan acariâtre, misanthrope, et vivant loin de tous... Après plusieurs péripéties, le vieillard reconnaît que la compagnie des autres peut être utile et un double mariage se conclut.

Cette pièce a représenté une agréable surprise, puisque je pensais la trouver un peu ennuyeuse. Elle est en fait assez moderne et comique, et se lit facilement. Une découverte intéressante !
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Le Dyscolos

Sostrate a aperçu une jeune fille près du sanctuaire de Pan et il en est aussitôt tombé amoureux. Hélas, elle est la fille du Bourru, d'un misanthrope, coléreux, qui ne déteste rien tant que d'avoir affaire à l'un de ses semblables. S'approcher de lui pour plaider sa cause est pratiquement impossible. Heureusement, aidé par Gétas, l'esclave débrouillard de Gorgias, le beau-fils du Bourru, et par Pan qui provoque un accident, Sostrate va pouvoir obtenir la main de la jeune fille...



Cf. suite de la note de lecture sur mon blog.
Lien : http://aufildesimages.canalb..
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