- Ce n’est pas comme ça que je me souvenais de cette maison, papa. Quand j’étais petit, elle paraissait plus grande et il y avait deux servantes. Ça m’avait surpris. Aujourd’hui, même la rue semble étroite. Elle est sale et à l’abandon, et cette épave de voiture ne fait rien pour arranger les choses. Sommes-nous dans un bidonville ? J’ai compté cinq maisons abandonnées dans cette rue !
La question offensa Shah. Bidonville ? Ça en avait tout l’air. La dignité d’antan avait habité les vieux, passés depuis de vie à trépas. Elle avait disparu avec eux. Dorénavant, les survivants incarnaient une misère pleurnicharde. Leur indolence dérangeait. Elle empestait le laisser aller.
- Nous voici où tout a commencé. Mais ce que tu vois, cher fils, n'est point ce que je vois, car je regarde, moi, avec un cœur mûr. L'amour vivait ici.
À quoi bon bien gagner sa vie pour la ruiner dans la solitude du cœur ? Tout ce qui exalte et augmente la vie est bon et moral. Moralité de jouisseur. Seule issue viable à la poursuite fallacieuse d’une réussite transitoire. Tout ce qui limite la vie est mauvais. Il fallait redéfinir les priorités.
Pour une fois, la contagion était la bienvenue. À rester trop longtemps chez les autres, dans le silence du béton et du froid, on oublie ce que vivre veut dire. On finit par confondre gagner sa vie et vivre sa vie. La famille de Mélodie savait donner d’elle-même. Elle avait passé trois jours à préparer un festin, un bacchanal, une orgie pour les papilles gustatives ; un plaisir à la limite du supportable. Les blagues, la musique, les punchs, les sourires et les rires interminables extasiaient un Shah qui pour toute source de joie ne connaissait que les caprices de la télé dans son au-delà d’exilé formaté aux normes protestantes.
Prince suivait un régime strict d’exercices, avec un nombre précis de répétitions pour chacun. Il devait se conditionner afin de reprendre la compétition au retour. La vie lui souriait, lui qui souriait aussi beaucoup. Il exsudait la confiance. On remarquait surtout sa belle prestance, une dentition parfaite, ainsi que l’énergie qu’il dégageait. Plein de charme, il attirait immédiatement le monde.
Shah déversa son venin sur le monde. Blessé, il blessa. L’honnêteté et la franchise pouvaient-elles être les instruments de sa rédemption ? Ne plus se mentir à soi-même pour ne plus mentir aux autres ? Oser la transparence – oui, il fallait oser comme si la vie en dépendait !
Seule la réappropriation d’une image, d’un regard sur soi sourd à l’insolence permettrait le retour en puissance. Un homme n’est jamais beau quand il baisse la tête.