Citations de Norge (193)
D'ENFANCE
Dieu, qu'elle était belle
Nue à la chandelle,
Ma sœur !
Elle attendait son
Aimable garçon-
Brasseur
Dieu, qu'elle était nue,
Rosement charnue,
Adèle,
Au moment hélas
Qu'elle soufflait la
Chandelle.
Ténèbres bien faites
Pour ces longues fêtes
Et pour
Ces luttes, ces rages,
Ces fleuves, ces nages,
D'amour !
Je n'ai su jamais
Comment ils s'aimaient,
O drames !
La vie et la mort
Faisaient un seul corps
En flammes.
Jamais plus au monde
Je n'écoute rien,
Rien comme
Ces cris de ma blonde
Sœur et du vaurien,
Son homme.
Derrière la porte,
Le ciel commençait,
Torride !
Mon âme, sois forte,
Tout, sauf l'amour, c'est
Le vide.
ROUDOUDOU
On ne t'aime peu ni prou
Roudoudou si doux, si roux,
T'es pas joli, t'es pas riche
Et t'as tifs et poils en friche.
Pas pour toi, ventres de biche,
Bisous, frisous, et minous
De Moumouche ou de de Mimiche,
Toujours tout seul à la niche.
Roudoudou s'en fout, s'en fiche,
Car avec un' branch' de houx,
Car avec six feuill' de chou
Il fait un' femm' qui lui biche.
(....)
Je ne sais quel dragon ailé
Venait de passer dans la chambre,
Mais on vit soudain se fêler
Un oeil de la sculpture d'ambre.
Et dans le cahier de solfège,
Parurent deux grains de raisin.
Il tomba même un peu de neige
Sur les touches du clavecin.
On entendit tinter un la
Triste et lent
Avec la
Douceur d'un flocon blanc.
(UN LA)
Ô, si confusément tiré des limbes
Cérébraux : poème :
Poisson un peu étrange
Et féerique à travers
Les rutilances de l’aquarium
Et la cohue de l’eau.
DU TEMPS
Dans l'eau du temps qui coule à petit bruit,
Dans l'air du temps qui souffle à petit vent,
Dans l'eau du temps qui parle à petits mots
Et sourdement touche l'herbe et le sable ;
Dans l'eau du temps qui traverse les marbres,
Usant au front le rêve des statues,
Dans l'eau du temps qui muse au lourd jardin,
Le vent du temps qui fuse au lourd feuillage
Dans l'air du temps qui ruse aux quatre vents,
Et qui jamais ne pose son envol,
Dans l'air du temps qui pousse un hurlement
Puis va baiser les flores de la vague,
Dans l'eau du temps qui retourne à la mer,
Dans l'air du temps qui n'a point de maison,
Dans l'eau, dans l'air, dans la changeante humeur
Du temps, du temps sans heure et sans visage,
J'aurai vécu à profonde saveur,
Cherchant un peu de terre sous mes pieds,
J'aurai vécu à profondes gorgées,
Buvant le temps, buvant tout l'air du temps
Et tout le vin qui coule dans le temps.
p.189
La langue verte
LA PORTE
Non, n'ouvre pas cette porte.
Ca donne sur l'océan...
Ca donne sur des cloportes...
Pas compris ? Sur le néant !
Après ça, c'est difficile
D'aller vivoter, Cécile.
C'est difficile, Zaza,
De vivoter après ça.
Disons qu'on a des raisons
De froid, de vent, de tonnerre.
N'ouvre pas. disons, disons
Que c'est pour les courants d'air.
Au bonheur des maisonnées,
Il faut des portes fermées,
― Tralalire et troundelaire ―
D'ailleurs l'usine a sifflé,
Il est grand temps d'y aller,
Prends bien la porte ordinaire !
p.110-111
On dansa jusqu'à l'aurore
Et la fête fut si tendre
Que parfois scintille encore
Quelque baiser sous la cendre.
Oui, même après tant d'années,
Dans les grands lustres là-haut,
Des éventails vont planer
Comme de frêles oiseaux.
Et le secret d'un miroir
Tient pour lui seul désormais
Le merveilleux désespoir
De deux enfants qui s'aimaient.
Les lueurs des sentiments,
Leur feinte aux mille sourires
Imprègnent profondément
Ces murs lourds de souvenirs.
Rien ne se perd dans ces lieux,
Rien ! Si l'on écoutait mieux,
On entendrait sourdement
Battre des coeurs anxieux,
On entendrait doucement,
Simplement, aveuglément,
Une navette infinie
De fougueux événements
Et de longues accalmies
Tisser les fils de la vie.
[POUR MÉMOIRE; à Michel Crine]
La Langue verte 1954
Verdures
En forêt
Extrait 2
Ne bougez plus, même
Pour baiser leur front,
Comètes.
Ça vaut bien la peine
Que les choses rondes
S'arrêtent !
J'exagère ? Ô doux,
Ce lit de fougères,
C'est tout !
Cet heureux cénacle
Est le seul miracle
Au monde.
L'amie et l'amant,
Tout le firmament
Autour !
Grondez-le tambour :
On ne vit que pour
L'amour !
p.238
Je pensais Noir et j'ai dit Blanc
Par désespoir et par espoir
Et je suis stupéfait de voir
Que c'est Blanc fabuleusement.
[...]
Ah, mon Dieu ce serait la fête
Profonde où la Soif pourrait boire,
Cette blancheur plus que parfaite
Qui saurait caresser le Noir !
La blancheur et son noir amant,
Aux cieux de leurs secrètes noces,
Brilleraient éternellement
D'une âme lucide et féroce
Comme la nuit du diamant.
DEDANS
Dans le sacré sublime
Acharné brasier d'amour,
Dans le sacré rageur,
Absurde bleu de bleu,
Dans le sacré tenaillant
Sourire de l'archange,
Dans le sacré dormeur
Enragé du bête silence,
Dans le sacré fourbis
Noir brûlant de la pensée,
Sans le sacré dansant
Jubilant du vin des vignes,
dans le sacré tonnerre
D'amour-désespoir de tout,
Dans le sacré juron
Profanateur du sacré,
Dans le sacré poumon,
Poumon de poésie,
Norge,
Moi, Ô
j'ai vécu
Dans le sacré.
INVESTITURE
Tu es belle comme une pomme.
Tes mouvements ont la musculeuse
tension d'un piège,
le troublant équilibre
d'une algèbre.
Et tu m'apportes le magnétisme
d'un film inédit.
Mais je renonce à cette obtuse
équation, car je demeure
trop fragmentaire.
On ne peut pas te circonscrire
ni par la fervente fiction
d'une verrière gothique,
ni par l'exacte souplesse
d'un roulement à billes.
Soyons nus sous le ciel primaire
et aimons-nous
frustement comme dans
la Genèse.
Les belles saisons
PEUPLE-ROI
J'ai toujours envié les mouches
Qui boivent, mangent, qui se couchent
Sans loi, sans heurt et sans façon
et savent marcher au plafond.
Chanter de l'aile ainsi que fait
Tout un cœur mouchard en liesse,
Voilà qui follement caresse
Azur, tes terribles secrets !
Sucre et mouche, ô grâce d'histoire…
Contemple bien, vent légendaire,
La beauté de la mouche noire
Sur sa banquise sucrière.
Chair et mouche, ô bleu thermidor !
Contemple bien, vent légendaire,
La beauté de la mouche d'or
Sur sa charogne nourricière.
Monde à l'endroit, monde à l'envers !
Mieux qu'homme en est roi : moucheron,
Mieux qu'homme vorace et pervers
Et qui sait marcher au plafond.
p.180
Bergerie
Le berger plein de coccinelles
A fait deux pas dans sa chaumine ;
L’horloge qui le suit de près
Commence à ronfler doucement.
Le feu reprend mais tourne au bleu.
L’horloge hésite à regarder
Les mains calleuses de cet homme
Qui coupe un pain dans la marmite,
Qui fait la soupe de minuit,
Qui plante son vieux coutelas
Dans le bois de la table rêche.
L’horloge a peur de se tromper.
C’est pour cela que bat plus vite
Son balancier de vert de gris.
La flamme parvient à glisser
Sa langue au fond de la marmite.
Le berger prend son écuelle
Et parmi ses moustaches mauves
Il boit lentement son passé
Qui sent le mouton enragé.
OEIL POUR OEIL
Aime-toi bien, hirondelle,
Aime-toi bien, haridelle,
Tu n'as que toi pour cervelle,
Tu n'as que toi pour ancelle.
Tes petits cris dans l'azur,
Tes craquements de fémur,
Sont tes amours les plus sûrs
Passés, présents et futurs.
Bouvreuil, chevreuil, écureuil,
Le monde est là, sur ton seuil,
Tu n'as que toi pour accueil,
Tu n'as que ton œil pour œil.
Vie à plume, vie à laine,
À coquille, à poil, à gaine,
Tu n'as que toi pour haleine,
Pour nuit, pour jour, pour semaine.
Frissonnant dans ton pelage,
Foisonnant dans ton ramage,
Bête qui voles, qui nages,
Bête d'eaux, de bois, de plages.
Regarde d'un œil cuisant,
Hume d'un museau luisant
Le songe vert et flottant
Qui passe avec ses printemps.
Serre-toi dans ta hantise,
Goûte-toi dans ta bêtise,
Tu n'as que toi pour chemise,
Pour jeu, pour cœur et pour guise.
Bêtes et gens, gens et bêtes,
Hirondelles, mauviettes,
Vaches, veaux, corbeaux, poètes,
Aimez fort ce que vous êtes.
(extrait de "Les râpes") - Pp. 60-61
La Langue verte
(Charabias et Verdures), 1954
Glose
In principio erat verbum.
Extrait 3
Les mots, disait Monsieur Paulhan, sont des
signes, et Mallarmé, lui, que ce sont des cygnes. Ah,
beaux outils, les mots sont des outils, rabot, évidoir,
herminette, gouge, ciseau. Ainsi, les formes naissent,
portant la marque de l'outil et je retrouve à la statue
ce joli coup de burin. Et je retrouve à la pensée ce
délicat sillon du verbe. Tudieu, quelle patine ! Quel
héritage, quelle usure, quelles reliques de famille !
Quelle Jouvence et quel arroi.
…
p.173-174
LE SANG ET L’EAU
J’ai bien peur que les parapluies n’attirent la pluie comme les sabres la bataille. L’un veut du sang, l’autre de l’eau. Et ça ne tarde guère. Dans ces pays où les gens sortent avec un parapluie, eh bien, il pleut presque toujours.
POLTRON
C’est pas tant la peur du tonnerre
Avec son grand zigzag,
C’est pas tant la peur des années
Avec leur grand zodiaque,
C’est pas tant la peur de l’enfer
Avec son grand tic-tac,
C’est pas tant la peur de l’hiver
Avec son grand colback,
C’est pas tant la peur tracassière
Avec son grand bivouac,
C’est pas tant la peur de la guerre
Avec son grand micmac,
C’est pas tant la peur de l’amour
Avec ses grands cornacs,
C’est pas tant la peur du suaire
Avec son grand cloaque :
C’est surtout la peur ordinaire,
C’est surtout la peur de la peur
Avec son bric-à-brac.
LA BONNE FILLE
Et chaque nuit, la merveilleuse enfant du geôlier se
promenait toute nue dans les cellules et donnait du
plaisir à tous les prisonniers. Quel pain d’amour avec le
cruchon, la gamelle. Ineffable chaleur, on t’a bien
reconnue, va ! Ô poésie, ô fleur de cadenas.
Je bouche mes oreilles...
C’est afin d’ignorer
Qu’on ne me répond pas.
Je me bande les yeux,
C’est afin d’espérer
Que la lumière est là.
Je garde les mains jointes
Est-ce pour croire encore
Qu’elles ne soient pas vides
Quand je les rouvrirai ?
Le Gros Gibier, 1953
La loi
Extrait 2
S'il me plaît à moi.
De ne pas comprendre
La bêlante foi
En quête du tendre !
Le sang ? On en a
Besoin dans nos veines,
Mais l'autre ânonna :
Du sang de fontaine,
C'est encor plus beau,
Car les dieux se lavent
L'œil et le jabot
Dans du sang d'esclave.
C'est bon. c'est compris,
Hommes, chiens, génisses,
Il faut qu'on gémisse
Pour avoir le prix.
Sueurs et travaux,
Cendres, feux et fanges,
Puis les premiers aux
Guichets des archanges.
Comptés, mesurés,
Inscrits aux cadastres.
Et ça va durer ?
‒ Autant que les astres.
p. 120