Paul de Roux : Fantin Latour figures et fleurs
Olivier BARROT présente "Fantin-LATOUR, figures et fleurs" par
Paul DE ROUX : un
biographie du
peintre Henri FANTIN-LATOUR avec la reproduction de 38 de ses toiles analysées en détail ; BARROT fait une courte
biographie artistique du
peintre.
La sourde beauté du monde.
Il me semble que c'est elle que j'ai confusément perçue dans la petite île de la Sarthe, sous ces arbres mangés de lierre, sous ce ciel gris et humide, en marchant dans ces feuilles pourrissantes, détrempées, en écartant les longues ronces et en regardant bouillonner l'eau jaunâtre de la rivière débordée. Il n'y avait là, vraiment, rien de «beau» au sens habituel du terme, rien d'exaltant (du moins étant donné ma disposition du moment), bien plutôt une note morne, désolée, mais la vue des hautes et sveltes ramures, sur lesquelles défilaient continuellement les brumes du ciel, avait quelque chose de secrètement consolateur - mais sans aucune promesse de «bonheur». C'était comme une invitation à se recueillir, un instant, en ce qu'il y a de vraiment aimant et intègre en chacun de nous.
LE PEUPLIER FLEURIT
Si tu prends des jumelles tu vois
que les fleurs du peuplier sont pourpres,
elles qui ne se détachaient sur le ciel
qu’en mèches brunes, minuscules.
Est-ce pour annoncer ces merveilles
qu’un oiseau inconnu et invisible chante
et qu’un pigeon très loin, au faîte d’une cheminée,
est posé comme un sceau égyptien sur la nue?
Peut-être et « si tu le veux ». Le jour rosit,
bleuit, verdit dans l’herbe - et ces nuages
clairs qui basculent à travers le ciel
voient encore un autre paysage, plus large
assurément que celui de ta petite chambre.
(Il faut se retenir, ne pas
sauter au cou du jour, savoir
déjà l’éclipse dans ce soleil
ourlé d’ombre du premier matin
et même peut-être évoquer des ombres
pour qu’elles s’y éclairent.)
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APOCALYPSE DANS LES FEUILLES
Un jour on s'est dit que l'aventure
était peut-être plus belle ainsi :
tout disparaîtra
- les choucas aussi et la falaise
où ils rentrent le soir avec de petits cris
et l'eau vive et les guerres
intestines où s'use la vie
- cela c'est le vent qui l'inspire
en jouant dans les feuilles
à la fin d'un beau jour
lumineux sur la terre.
Comme on fait du feu dans une pièce trop froide, j'emporte des livres dans l'autobus, au bureau.
LE CAL
Tout le mal que nous nous sommes fait
à nous-mêmes, plus qu'à autrui sans doute
tout cela comme un poison sécrété jour après jour
et absorbé avec des mines apitoyées, le regard
et toute l'attention dirigés vers la galerie
- d'ailleurs parfaitement indifférente
autour du cœur cela forme avec les années
une sorte de cal et, graduellement
le cœur se dessèche, et, comme un vieux citron
n'exprime plus qu'une amertume à goût de moisi.
Terre et ciel
Les amants du ciel
ceux qui dévalent de bon matin
dans les prés trempés de rosée
et boivent du regard, dans leur lente dérive
les glaciers célestes
leurs grands manteaux de haute neige
et les roses de leurs flancs
c'est à eux qu'il est donné
la nuit, les yeux fermés
de descendre dans les carrières profondes de la Terre
de palper les lourds métaux et les fines agates
et les opales doucement lumineuses, sœurs des étoiles
qui à cette heure scintillent, légères, sur les toits.
Ceux-là mêmes, inaperçus
sur les mains desquels, longtemps
se pose un papillon dans les jours chauds.
Comment se fait-il que certaines journées, de trop nombreuses journées, ne soient pas sauvées (éclairées) par une seule image? Comme si elles avaient été traversées rideaux fermés. Il faudrait sauver ne serait-ce qu'une image au soir de chaque jour, fût-ce la plus prosaïque. Ce soir, ce serait celle de la forte ondée qui a frappé rageusement les vitres, les toits. Une sorte d'allégresse crépitante dans une dispersion de reflets argentés.
Songer aux nuages
Aimerez vous jamais les grands collecteurs d’ombre?
- Plus soucieux du profil d’une femme, de sa chaussure
qui effleure le sable de l’allée ou encore
(et c’est détestable, ô combien) ne voyant rien, tout
à quelque idée de la vie qui devrait l’ordonner,
quand elle ne propose en cet après-midi
que la lente pesée d’un monde
d’eau aérienne et vagabonde, à denses
grisailles et vallées diversement lumineuses
et fjords lacérés par des souffles inconnus
à flancs de continents qui transitent au-dessus
des jardins
dans un lointain où nous n’aborderons
jamais que par l’attention qui nous détache un moment
de la terre
pour la mieux réunir aux nuées qu’elle exhale,
noircissant plus encore cèdres et séquoias.
LES OISEAUX
Dieu merci, les villes
retiennent certains oiseaux
qui s'y repaissent d'ordures
et cela fait frémir un instant
le ciel nébuleux et anime
les mornes cheminées lorsqu'un pigeon
semble y découvrir un très lointain espace
ou qu'un corbeau criaille dans la pluie
- c'est un peu comme si avec eux
la terre passait une main ailée
dans les barreaux de nos cages
et vérifiait qu'en nous
une corde vibre encore.
Doucement, comme une feuille se replie
le jardin entre en torpeur avec le haut soleil
- à peine si dodelinent les lourdes fleurs, les frêles
hampes.
Le plus aérien, le plus léger
le papillon blanc seul gambade
pris dans des souffles qui ne sont pas pour nous.
Ainsi s'évertue l'été
avec le halètement lointain des tourterelles
au fond des bois.