J`ai toujours un ou plusieurs carnets sur moi pour dessiner en toutes situations, c`est donc naturellement que mon petit matériel m`a suivi à l`hôpital. J`ai fait le premier dessin la veille de l`opération, pour passer le temps. Puis après l`intervention lorsque j`ai eu la force de redessiner, le dessin m`absorbait à tel point que la douleur passait au second plan, et chaque page noircie m`offrait une respiration inespérée. La douleur était quasi omniprésente, avec des pics très aigus que seule la morphine pouvait soulager... ou le dessin! Je couchais sur papier mes sensations, la hachure me faisant approcher des états de méditation ou de transe salvateurs. J`ai donc entretenu cet exutoire pour avancer. Deux ans après, lorsque je me suis penché sur le récit, j`ai dû re-digérer tout ce qui m`était arrivé pour pouvoir le raconter, une autre étape de ma thérapie par le dessin.
C`est en montrant le carnet à ma gastro-entérologue que j`ai eu le premier déclic. Elle y a porté beaucoup d`intérêt et m`a poussé à en faire quelque chose. J`ai alors compris que les sensations que j`avais posé sur le papier permettaient d`avoir une fenêtre sur ce que j`avais pu vivre de l`intérieur. Le dessin a cette particularité de pouvoir évoquer une quantité de chose en un regard. Les médecins ont de bien maigres outils pour évaluer la douleur: l`échelle de douleur, quelques questionnaires et basta. J`avais donc un outil atypique capable de retranscrire toute l`aventure merdique que je vivais. Cet album s`est imposé à moi.
C`est venu très naturellement, les apparences prises au cours du récit sont juste les images que j`avais de mon corps. Intestins, flaque, canard, chien mouillé, amas organique...Je ne me suis rendu compte qu`après que c`était assez varié!
Lorsque je dessinais ces passages de douleur, il me fallait le silence total autour de moi, une concentration extrême, car il fallait replonger dans ces sensations pour pouvoir les visualiser et les redessiner. Je ne me suis inspiré d`aucun artiste en particulier, j`ai juste essayé de retranscrire au mieux, le plus sincèrement possible mes états, physiques ou psychiques.
Je n`ai pas eu besoin de me forcer beaucoup. Les situations que l`on peut vivre à l`hôpital ou avec la maladie sont parfois tellement aberrantes qu`elles en deviennent cocasses. C`est peut être aussi une manière de réécrire mon histoire en y injectant du positif, et pas juste un récit morbide qui donne envie de se pendre. Puis, en me mettant autant à poil et en utilisant l`autodérision, je peux taper sur tout le monde.
J`ai utilisé principalement l`encre et la plume pour le gros du récit, mais aussi crayon, aquarelle, feutres, crayons de couleurs, stylo, collage... Sur le carnet original, j`utilisais ce que j`avais sous la main, pour le reste je ne m`étais posé aucune contrainte. J`avais aussi besoin d`un éventail narratif pour retranscrire l`éventail des sensations par lesquelles j`étais passé. Sur la grosse partie de récit "BD", il y a de l`illustration, des haïkus, de la vulgarisation médicale, des expérimentations parfois abstraites, et des séquences oniriques. J`ai très peu touché aux pages originales du carnet, on à même décidé de garder les post-its tels quels. J`y ai quand même apposé un tampon pour qu`elles puissent être reconnaissables facilement.
Après ce que j`ai vécu, je ne peux qu`avoir une vision critique du milieu hospitalier. Pourtant, je comprends les difficultés de la profession, mais je ne peux que pointer du doigt le décalage entre les deux mondes. Tu te retrouves dans un système qui paraît déshumanisé, alors que ta vie est en train de se jouer là, dans ta chemise à pois et le cul à l`air. Je suis tombé sur des gros cons imbus d`eux mêmes et sur des gens géniaux qui m`ont tiré d`affaire. Je témoigne juste de mon parcours. Mais si il y a bien une chose que je trouve problématique, c`est cet orgueil démesuré qu`ont certains médecins, qui empêche l`écoute, la remise en question, l`ouverture d`esprit, et l`ouverture à d`autres savoirs.
Non pas comme un guide mais comme un témoignage. J`ai beaucoup souffert dans mon parcours de n`avoir aucune visibilité sur ce que je vivais. Le peu d`échanges que j`ai eu avec d`autres patients plus expérimentés (notamment mon voisin de chambre) m`ont beaucoup servis. Un récit similaire m`aurait sûrement permis de mieux comprendre ce que j`allais vivre ou ce que je vivais, à faire des raccourcis sur certaines réflexions, astuces du quotidiens, ou de briser certains tabous qui nous collent aux pattes et qui pourrissent la vie. La relaxation et l`alimentation sont deux choses qui m`ont permis de refaire surface, et ce ne sont pas les médecins qui m`ont mis sur la voie...Ce guide alimentaire en particulier permet d`informer sur une autre manière de s`alimenter, ou tout simplement d`aider mes proches à me faire à manger !
Entretien réalisé par Marie-DelphineQuel est le vrai nom de Carrie?