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Critiques de Spinoza (74)
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L'éthique

L'Ethique de Spinoza ne m'intéresse pas particulièrement pour la rigueur de ses démonstrations, qui n'est plus à prouver. Sa construction donne l'impression de feuilleter un ouvrage de sciences mathématiques, axiomes, démonstrations, corollaires, scolies et lemmes en furie. Hélas, comme tout ouvrage scientifique, ses limites transparaissent dès lors qu'on remet en question le moindre axiome innocent. Exemple de l'un parmi tant d'autres : « D'une cause déterminée donnée, suit nécessairement un effet, et au contraire, s'il n'y a nulle cause déterminée, il est impossible qu'un effet s'ensuive ». Le même scepticisme a déjà pu nous faire passer de la géométrie euclidienne à d'autres géométries non linéaires et on comprend bien que dans le domaine des sciences, aucune valeur sûre ne peut être affirmée. C'est pour cette raison que je suis passée d'une proposition à une autre avec peut-être un peu plus de légèreté que toute lecture conscience de L'Ethique aurait exigé. Et pourtant… je pense être aussi convaincue que l'exégète le plus minutieux de l'oeuvre de Spinoza.





Le style austère et répétitif de l'écriture peut mettre à distance le lecteur dans un premier temps puis devenir ensuite le meilleur atout de l'Ethique. La répétition a du bon et permet aux concepts de s'inscrire progressivement dans notre esprit, d'autant plus que les phrases sont composées de mots simples. La seule difficulté provient peut-être du déploiement logique des propositions et du niveau d'abstraction qu'elles suggèrent. La décomposition du texte en axiomes, propositions et autres démonstrations peut sembler peu attrayante mais cette forme permet en réalité la concision et débarrasse l'auteur comme le lecteur de toute tentation de laisser s'échapper un fragment de passion.





Et pourtant… Malgré sa volonté d'être un ouvrage purement rationnel, L'Ethique laisse apercevoir l'âme d'un homme si passionné qu'il a cherché à tuer la fougue et l'immodération par la passion de la raison. Ainsi, Spinoza classe les sentiments, les actes et –plus grossièrement- les hommes en deux catégories, selon qu'ils sont dominés par l'une ou par l'autre de ces qualités : la passion/passivité ou l'action/activité. La démonstration est bien sûr extrêmement rigoureuse et je ne prétendrais pas la résumer, car elle constitue l'ouvrage même en tant qu'aucune proposition ne peut être ôtée sans ébranler la totalité de son édifice. Plusieurs concepts nécessitent toutefois d'être évoqués. Ainsi une nouvelle définition de Dieu, envisagé comme le Tout que nous pourrions également appeler Nature (faut-il rappeler que Spinoza a eu le courage de penser ceci au 17e siècle dans un contexte religieux particulièrement féroce ?), un Dieu qui ne serait plus un être désirant formé à notre image mais un Dieu prouvant sa puissance et sa perfection par le seul fait d'être. Aucune meilleure définition pour traduire ce concept n'aurait pu être donnée que la suivante : « Dieu est cause immanente, mais non transitive, de toutes choses » -et on admire encore la concision. Cet être parfait ne manque de rien. Il ne désire donc rien, et n'attend rien de nous. Branle-bas de combat dans le milieu religieux traditionnel : avec ce modèle, les églises ne valent plus rien. Qui de s'indigner : où se dirige-t-on si la morale n'existe plus ? ; qui de s'enthousiasmer : aurait-on enfin découvert la véritable liberté ? C'est en fait ici que la distinction se joue entre deux catégories d'hommes : ceux qui se croient maîtres d'eux-mêmes, et ceux qui se savent soumis à une nécessité qui les dépasse –mais infinie et si parfaite qu'elle ne se remarque pas.





« Les hommes, donc, se trompent en ce qu'ils pensent être libres ; et cette opinion consiste uniquement pour eux à être conscients de leurs actions et ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés. L'idée de leur liberté c'est donc qu'ils ne connaissent aucune cause à leurs actions. »





La liberté n'existe donc pas absolument, si ce n'est en théorie. En pratique, il s'agit seulement de s'en approcher par la vertu –ce qu'on appellerait aussi l'intelligence- et qui consiste à se détacher de ses propres sensations pour analyser les causes de chaque effet de façon rationnelle, selon les propositions avancées par Spinoza. Encore une fois, il s'agit d'être convaincu par son système, et si on ne l'est par la remise en cause (toute rationnelle) de ses axiomes, on peut l'être par l'assentiment instinctif, c'est-à-dire par la passion, ce qui est alors contraire à l'idéologie de Spinoza. Mais peut-être faut-il en passer par là ?





Lire L'Ethique procure une grande joie ou, comme la définit son auteur : « le passage de l'homme d'une moindre à une plus grande perfection ». On se sent devenir meilleur par une abnégation raisonnée des sentiments –aussi bien des bons que des mauvais- qui, contrairement à la croyance commune, ne serait pas la traduction d'un esprit désenchanté mais au contraire la vision d'un homme perpétuellement en transe, inclus dans le monde jusqu'à sa moindre parcelle insignifiante, ne vivant plus exclusivement pour lui-même mais pour participer à la perfection originelle de l'essence du monde. Cela s'appelle la béatitude, et elle n'est pas une joie car une fois atteinte, elle est la perfection même :





« La béatitude n'est pas la récompense de la vertu, mais la vertu elle-même ; et nous n'en éprouvons pas de la joie parce que nous réprimons nos penchants ; au contraire, c'est parce que nous en éprouvons de la joie que nous pouvons réprimer nos penchants. »





Pour mieux comprendre cette idée de l'Être absolu, infini et parfait dont nous ne serions que des parties, je me suis représentée le rapport de notre Être avec nos cellules : notre pensée (notre intellect) serait l'essence, notre organisme serait le monde, et les différents constituants de notre organisme (cellules, liquides, os…) seraient les différents constituants du monde (êtres vivants, charpente géographique…). L'analogie fonctionne : notre corps est donné, parfait dans son existence même. A l'intérieur de lui se produisent des mécanismes qui, bien qu'imprévisibles et pouvant se manifester sous des formes différentes, ne sont en réalité jamais libres. On comprend enfin que, la perfection étant donnée dans son origine, elle n'empêche pas la réalisation du mal, qui pourrait être les affections ou maladies par lesquelles l'organisme se laisse envahir. L'analogie a bien sûr ses limites. Avec cet exemple, les maladies peuvent perturber jusqu'à l'intellect, ce qui signifierait que l'essence peut perdre sa perfection -ce que Spinoza n'admet pas. Encore : nos connaissances nous permettent de penser que les maladies ont souvent une origine externe (sauf peut-être dans le cas du cancer), ce qui signifierait que Dieu peut être influé par des causes qui ne dépendent pas de lui –or Dieu est parfait et rien de plus grand ne pourrait le perturber d'une façon ou d'une autre. Mais cette contradiction est peut-être, aussi, une ouverture intéressante de L'Ethique qui permettrait de considérer ce livre génial comme l'explication d'un phénomène imbriqué dans un maillon de matriochkas. Encore, cette explication signifierait que tout est lié et qu'il n'est pas irraisonnable de se sentir alarmé par des évènements qui se produisent même loin de soi –ce qu'on appelle le stress dans l'organisme peut être nommé angoisse dans le monde.





La pensée de L'Ethique provoque beaucoup de joie et rapproche de la vertu spinoziste en tant qu'elle apprend à raisonner, nous apaisant et nous rapprochant de la Béatitude. Toutefois, les moyens pour nous conduire à cet état sont extrêmement paradoxaux et on a parfois l'impression qu'il faut abolir la vie, dans la diversité de son expression et dans le tumulte de ses expériences, pour vivre parfaitement. C'est ce que Nietzsche aussi a remarqué, qui écrit dans Par-delà le bien et le mal :





« […] tous ces ermites par nécessité, qu'ils s'appellent Spinoza ou Giordano Bruno- finissent par devenir, ne fût-ce que dans une mascarade intellectuelle, et peut-être à leur insu, des empoisonneurs raffinés et avides de vengeance. (Qu'on aille donc une fois au fond de l'éthique et de la théologie de Spinoza !) […] »





Il faut se rappeler en effet que Spinoza, à cause d'idées qui ne convenaient ni à son époque, ni à son territoire de résidence, s'est trouvé exclu et rejeté par ses semblables alors qu'il était encore très jeune. En mettant au point un attirail rationnel poussé jusqu'au plus haut niveau, L'Ethique pourrait être pensé comme le moyen utilisé par Spinoza pour lutter contre la haine ressentie à l'égard de ceux qui l'ont rejeté, car la haine est « la tristesse accompagnée de l'idée d'une cause extérieure ». Ainsi, en construisant un système qui classe les hommes sur différentes échelles de la vertu, et en se faisant de fait, implicitement, l'homme placé sur le plus haut échelon –les autres continuant à patauger dans un marasme sans fond-, Spinoza réussit à transformer sa tristesse en joie par l'usage de la raison, ce qui lui fait écrire qu'il s'agit du plus grand bien.





« Agir par vertu absolument n'est rien d'autre en nous qu'agir, vivre, conserver son être (ces trois mots signifient la même chose) sous la conduite de la Raison, d'après le principe qu'il faut chercher l'utile qui nous est propre. »





Et dans cette oeuvre remplie de joie, Spinoza aurait fini par être conduit par l'Amour, cette « joie accompagnée de l'idée d'une cause extérieure », et qui se traduit par l'existence géniale de son Ethique. Dans un sens, Spinoza n'a pas tort : tout est nécessaire, et ce qui peut nous apparaître immédiatement comme un mal indiscutable (la haine de la majorité de ses semblables pour l'auteur) peut en fait être une possibilité donnée à la vertu de s'exprimer par l'usage de la raison. Quant à la nécessité de la publication de L'Ethique, on ne la recherchera pas, comme on ne recherche plus la nécessité de ce qui est devenu parfait.
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L'éthique

En philo, Spinoza veut « démontrer » comme en maths, mais ça ne fonctionne pas !

L'Ethique (1675) comprend cinq parties sur Dieu, l'esprit, les sentiments, leur servitude, la puissance de l'entendement. 

Baruch Spinoza "démontre" que Dieu existe. A partir de là, le but, grâce à l'Esprit est d'amener l'homme à se détacher des sentiments-passions, causes de haines, grâce à une pleine connaissance et une pleine conscience, et à se libérer de ses penchants pour aller vers les idées adéquates, le bien. 



Livre difficile à aborder, car construit de façon mathématique, en référence au modèle de l'auteur, René Descartes . C'est "son père spirituel qu'il tue" à la fin de l'ouvrage. Mais les thèmes sont très intéressants. Pour ma part, j'ai occulté les démonstrations qui n'apportent rien, car je trouve que les arguments se situent dans tout le reste du livre. C'est un livre "analytique". L'auteur essaye parfois de faire une synthèse. 

Donc j'ai construit plusieurs modèles pour aboutir à quelque chose de cohérent et synthétique, où la " Liberté" n'est pas celle qu'on croit.

Personnellement, je suis d'accord avec la plupart des idées de l'auteur. Mais ce n'est pas parce que c'est un grand philosophe qu'on doit tout prendre pour du pain béni. J'ai relevé quelques petits désaccords et une ou deux contradictions. 



Juif dont la famille fuit l'inquisition, Spinoza dénonce les pratiques religieuses jusqu'à être excommunié. Il a même été qualifié d'athée. Cependant, la présence de Dieu est là tout au long de son livre, et je pense qu'il est déiste avant Voltaire. La recherche de la Béatitude, l'accord avec Dieu, est le but suprême qu'il qualifie de troisième niveau de connaissance. Spinoza pense qu'une partie de l'Esprit subsiste après la mort corporelle, et fait que les sages n'ont pas peur de mourir. Cependant, contrairement à Socrate qui semble indifférent au corps, le but de Spinoza est " la conservation de l'être" tout au long de la vie corporelle. J'ai trouvé que le concept d'isoler le sentiment destructeur en le connaissant, le définissant pour l'écarter, est particulièrement intéressant et novateur, à la façon dont on isole un virus.



Mais comme chez Aristote, l'éthique n'est que peu définie. Ah ! Ces philosophes !

Je pense que pour Aristote, l'éthique est la « vertu », un ensemble de valeurs morales.

Je suppute aussi que l'éthique, pour Spinoza, est un rassemblement de valeurs qui permettent, grâce à une prise de conscience, de se libérer de ses penchants pour aller vers les idées adéquates, « le bien ». 

Donc, on se rejoint. : )
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L'éthique

Il y a des années, des décennies à présent, j’ai eu la chance d’étudier trois des cinq parties de l’Ethique avec un excellent professeur de philosophie. Je n’en ai gardé aucun souvenir élaboré. Mais l’impression vaporeuse qu’il y avait là quelque chose qui méritait qu’on y revienne s’est trouvée vivifiée à différentes occasions récentes. Soit que la presse encense le « miracle Spinoza », mentionne tel ou tel spinoziste, que Lionnel Naccache en prenne le modèle pour écrire son Apologie de la discrétion(1), soit que je lise « Cohabiter avec ses fauves, l’éthique diplomatique de Spinoza » dans Manières d’être vivant de Morizot ou que je sente si souvent dans les propos de Michel, à fleur de ligne, des concepts spinozistes que je ne saisissais que partiellement, à chaque fois, la possibilité de l’Ethique revenait s’actualiser.



Intimidée par la réputation du livre, j’avais commencé à tourner autour et envisagé sur des conseils amis de lire plutôt une biographie de Spinoza. Et puis, je suis tombée sur un article de Philosophie magazine « comment lire l’Ethique » qui proposait différents chemins dans l’œuvre (2) et recommandait l’édition commentée sous la direction de Maxime Rovere. A droite, le texte, à gauche des notes éclairant le contexte, la structure, proposant des parallèles avec la pensées d’auteurs qu’a pu lire ou fréquenter Spinoza. Une Ethique main dans la main, pour néophyte comme pour philosophe aguerri. C’en était assez pour que je saute le pas. 900 pages ? Même pas peur !



Il y a certaines œuvres qui pâtissent du bruit qui les entoure et de la montagne qu’on s’en fait. Et puis il y a l’Ethique. Jamais je n’aurais imaginé recevoir aussi puissamment le choc de cette lecture.



Durant les quelques semaines où je m’y suis livrée tous les jours une heure ou plus, j’ai connu des états de jubilation intellectuelle que je ne soupçonnais pas possibles. Je me suis trouvée, habitée de la compréhension que j’en faisais, portée à passer tout ce à quoi je pensais au crible de cette analyse et la trouver à chaque fois (à chaque fois !) d’une pertinence et d’une utilité confondantes.



Pour que son propos s’ancre dans les esprits de la manière la plus claire possible, que l’on soit sensible aux articulations logiques faisant découler les concepts les uns des autres, Spinoza choisit la voie de la démonstration euclidienne. Des définitions en prémisses, quelques axiomes, à partir desquels il formule des propositions qu’il démontre ensuite point par point. Parfois de deux manières successives, faisant appel pour ce faire à telle ou telle proposition antérieurement démontrée. Un scolie ou deux, quelques corolaires et ainsi, brique par brique, le monde est fondé.



Moi qui ai des souvenirs pleins de désarroi de mes cours de mathématiques, je n’aurais jamais imaginé que cela me plaise autant. Je ne vous cache pas avoir relu plusieurs fois certaines propositions à haute voix. Avoir passé plus de temps à rebours dans le livre, à compulser les propositions et démonstrations précédentes qu’à réellement progresser.



Anna a été le bienveillant témoin de mes interrogations, de mes errements, le correspondant attentif avec qui partager mes découvertes et émerveillements, je l’en remercie vivement ici à nouveau. Je crains d’ailleurs qu’elle ait pâti autant que moi de ma perplexité au sujet de la proposition 38 de la deuxième partie. « Les choses qui sont communes à tout, et sont autant dans la partie que dans le tout, ne peuvent se concevoir qu’adéquatement. » Mon esprit cartésien refusait que le tout se retrouve dans les parties puisqu’on avait préalablement démontré l’exclusivité des attributs au moyen de la proposition « Les modes d’un attribut de Dieu, quel qu’il soit, ont pour cause Dieu, en tant qu’il est considéré seulement sous l’attribut dont ils sont les modes, et sous aucun autre. » (IIP6) laquelle proposition pour être démontrée renvoie à IP10 et IA4. (Je tiens disponible la réponse à ce mystère à qui en fera la demande, évidemment mais des indices pour y répondre se cachent déjà dans la suite de cette critique).



Cet itinéraire de recherche autour de la proposition IIP38 illustre assez bien le cheminement qui a été le mien au cours de cette longue lecture. A croire que je lisais désormais de droite à gauche, de gauche à droite, selon toutes les directions possibles ce qui, croyez-moi, est tout à fait spinoziste. Car sous les dehors très carré de la démonstration, bruisse une souplesse d’approche, une sensibilité à la nuance et à la variation qui n’ôtent rien à la rigueur mais l’enrichissent au contraire d’une épaisseur propre à envelopper toute la vie.



Car quel est le sujet de l’Ethique ? Comme d’autres œuvres de son époque, le livre vise à nous doter d’un manuel de bon comportement. Il traite donc des questions du bien et du mal et de la manière de se gouverner. Oui mais, on ne se gouverne bien que lorsque l’on sait ce qu’est le bien. Et pour que ces recommandations soient pleinement opérantes, Spinoza ne les fait reposer sur aucune loi préexistante, sur aucun dogme religieux de facto. Il entreprend de les fonder en… métaphysique. On ne peut guère remonter plus avant la chaine des causalités devant nous mener à une décision éclairée !



Il part donc de Dieu dont il prouve l’existence et l’infinité (3) (partie 1) pour faire exister la « nature et origine de l’esprit » (partie 2) soit l’existence des corps, des choses, de l’esprit, la manière dont tout cela fonctionne les uns par rapport aux autres. Il propose ensuite de revenir à « l’origine et nature des affects » et passe en revue, dans un dialogisme étroit avec le Les passions de l’âme de Descartes, les principaux sentiments, émotions qui nous meuvent (troisième partie). On y apprend à voir que rien n’existe de tout cela en dehors de l’idée qu’on s’en fait. Avec la quatrième partie, on est assez outillé pour comprendre les notions de péché et de vertu selon une logique propre à notre motivation à persister dans notre être ou selon celle d’un collectif (oui, l’Ethique est également utile pour réfléchir sur un projet politique de société). Tout ce qui rend joyeux augmente notre puissance à être, tout ce qui nous rend triste la minore. Pour vivre selon son être, il s’agira donc de balancer une passion délétère par un affect plus puissant et porteur de joie. La cinquième partie traite de « la puissance de l’intellect, autrement dit la liberté humaine ». On y apprend que la liberté, c’est notre capacité à vivre sans dépendre d’aucune autre cause que celle pour laquelle on est là, c’est-à-dire le déploiement de l’être divin à travers le mode particulier dont nous sommes une chose singulière. Passer nos émois au crible de notre intellect est le plus sûr moyen d’en faire des causes clairement comprises et partant d’en diminuer la puissance nocive.



Voilà, l’existence de Dieu, la nôtre, la mort, le temps, la mémoire, la conscience de soi, l’éternité, l’amour, le désir, la joie, le bien, le social, la tristesse, la liberté, les autres vies qu’humaines, notre raison d’être, la manière de comprendre ce qui nous anime, ce qui explique tel ou tel comportement, la manière d’envelopper l’infini par la puissance de l’intellect. Tout ça, il y a tout ça dans l’Ethique. Et pas à la manière barbare dont je viens de l’énoncer selon une énumération hachée et dénuée de sens. Mais relié, expliqué, découlant nécessairement d’un principe de vie fondateur, infini, en éternel accomplissement que nous expansons dans la joie.



Mais quelle claque !



Vous l’aurez compris, j’ai été conquise comme aucun livre ne m’avait jamais conquise. Dans l’ensemble et dans certains détails qui ont achevé de me liquéfier de joie : la conception du corps comme un ensemble de plusieurs éléments en perpétuel mouvement, régénération, évolution. Le temps comme une donnée propre à un ressenti et non une réalité (Spinoza est-il quantique ? Rien dans sa conception philosophique ne semble l’empêcher, vu de ma fenêtre étroite en tout cas). Et bien sûr, ce jeu magistral entre une composition géométrique et un appel abyssal à l’infini des causes, de Dieu, de la création en permanent état d’être, sans finalité ni volonté. Aaarff !



Voilà une critique sans bestiole ni référence proustienne, s’étonneront certains amis facétieux et fidèles. J’ai bien trouvé quelques esprits animaux mais ils habitent plutôt chez Descartes et Spinoza ne leur reconnait pas beaucoup de crédit. Proust en revanche, il y a ! Pour Anna et Anne-Sophie donc, cette prolepse à la future Recherche du Temps perdu (dans un monde où le temps est une vue de l’esprit, tout est possible) qui démonte le mécanisme fautif de la réminiscence : lorsqu’on est affecté par une chose et qu’une autre est là au même moment, on conçoit un amalgame entre les deux. Par exemple, au hasard, vous pensez à un joli visage dont l’évocation vous fait des frissons partout [A] au moment où vous voyez des aubépines en fleur [B]. Il est évident que « lorsque l’esprit sera affecté ensuite par la vraie cause du premier [affect] [B] laquelle n’augmente ni ne diminue par elle-même sa puissance de penser [en elles-mêmes, les aubépines n’ont aucune influence sur vos états d’âme], aussitôt, il le sera aussi par l’autre [A] [vous voyez des aubépines, vous avez des frissons partout] (…) C.Q.F.D. » (IIIP15D) (4)



Alors sans crainte, avec un peu de temps devant vous, la confiance dument réaffirmée en votre intelligence (il n’y a aucun orgueil à le concevoir, c’est la marque de notre appartenance à la substance divine), lisez l’Ethique dans la merveilleuse édition de Maxime Rovere (5), vous ne risquez rien d’autre que d’y trouver une philosophie pour toute votre existence (et de commencer toutes vos phrases par « Spinoza écrit que… »).





********

(1) Maintenant que j’ai lu l’Ethique, je peux bien confirmer l’opinion peu avantageuse que j’avais de cette Apologie de la discrétion et de son auteur. Quel poseur éhonté d’oser prendre la même forme de démonstration euclidienne pour barbouiller une réflexion brouillonne sans commune mesure avec le chef d’œuvre de subtilité et de d’intelligence livré par Spinoza ! Une telle arrogance, même cachée sous l’hommage appuyé et l’autodérision me laisse pantoise.

(2) J’ai finalement choisi le plus simple : de la première à la dernière ligne, dans l’ordre mais avec les mille retours en arrière, pistes tracées à rebours qu’impose une telle entreprise.

(3) Pour les allergiques au mot « Dieu », vous pouvez le remplacer, c’est Spinoza lui-même qui l’écrit par « substance infinie », « nature » (au sens de tout ce qui existe, a existé ou existera, les idées comme les choses). Rien à voir donc avec le Dieu auquel on voue un culte et qui attendrait des hommes tel ou tel comportement. D’ailleurs le Dieu selon Spinoza n’attend rien, ne veut rien, il est. Il n’est pas extérieur à la création non plus, il est sa création, il est nous, nous sommes lui et l’univers entier de même. Je m’en remets pas…

(4) Je précise qu’il n’y a aucune condamnation morale de la part de Spinoza. Il ne nous dit pas que c’est idiot d’aimer les aubépines en fleur parce qu’on a été amoureux. Ou d’être amoureux. Il explique comment ça fonctionne et d’où nous viennent nos sentiments, nos émotions. D’ailleurs, on ne pourrait guère faire autrement car ce qui nous arrive provient de l’infinité de choses extérieures à nous (Albertine, une pluie persistante, l’arbre en face de moi, un petit creux quand midi approche…) qui, directement ou non, nous impactent de leurs effets. Il y a donc une grande tendresse chez Spinoza pour toutes les manières que nous avons de faire avec ce qui nous tombe dessus, avec ce que nous croyons qui nous tombe dessus, une grande empathie dans sa capacité à saisir toutes les raisons infondées sur lesquelles on se gouverne. Cet homme est délicieux.

(5) Autre effet secondaire à cette lecture, transitoire je l’espère, le recours aux notes de bas de page qui, dans l’édition de Maxime Rovere, poursuivent le dialogue avec le texte, mettent en lumière ses multiples influences, rendent tant sa somptueuse, géniale inventivité que tout ce que Spinoza doit à des influences stoïciennes, « aristotélicienne judéo-musulmane d’ascendance médiévale » (note 753) outre sa lecture attentive de Descartes et Hobbes, ses contemporains.

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L'éthique

Le célèbre texte de Spinoza, l’Éthique, a été traduit plusieurs fois. Robert Misrahi nous en propose une version plus proche du texte original, incluant la totalité de la doctrine, attentif à la définition de chaque terme dans le système global de la pensée du philosophe, et respectant le rythme du texte et la logique de la langue latine. Une très bonne chose pour l’accès à ce texte austère mais vivifiant, proposant une véritable philosophie pour la conduite de l’existence, fondée sur la puissance de la joie.



Partant du principe que Dieu est la Nature et que l’homme y participe, Spinoza nous démontre mathématiquement comment l’homme, par la connaissance, va vaincre sa servitude, c'est-à-dire sa soumission aux affects - regret, émulation, reconnaissance, gratitude, bienveillance, colère, vengeance, cruauté, férocité, peur, audace, pusillanimité, épouvante, humanité, modestie, ambition, intempérance, ivrognerie, avarice, luxure… - pour atteindre la béatitude qui est la vertu même.



Et cela par l’exercice de la Raison, qui lui permet de se concevoir adéquatement lui-même et les objets qui l’entourent. En effet « Le plus grand orgueil ou le plus grand mépris de soi est la plus grande ignorance de soi. »

Il n’y a pas de Dieu providence, pas de libre-arbitre, pas de bien et de mal, la Nature est un tout. Il y a soit des idées inadéquates qui rendent l’homme passif et le tirent vers la tristesse qui engendre haine et division, soit des pensées adéquates qui font que l’homme persévère dans son être, comprend quel est son champs d’action, agit bien et vit heureux.



Le chemin de la sagesse est aride mais accessible à tous, c’est la grande modernité de Spinoza, au-delà de tous les dogmatismes qui enferment l’homme dans le malheur, de proposer une philosophie universelle.

Une lecture salutaire bien que difficile, qui nous offre des clés précieuses pour notre vie quotidienne soumise à tous ces affects qui ne sont que des idées confuses. Or chacun a le pouvoir de se comprendre lui-même et de moins les subir. CQFD

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Lettres sur le mal

C'est une correspondance de huit lettres entre Blyenbergh qui s'initie à la métaphysique, et Spinoza qu'il prend pour maître.

Spinoza n'a pas encore édité « L'Éthique », achevé en 1675, dont j'ai fait la critique, et j'en reprends ici ma conclusion :

Je suppose, après avoir « démontré » l'existence de Dieu, que l'éthique, pour Spinoza, est un rassemblement de valeurs qui permettent, grâce à une prise de conscience, de se libérer de ses penchants pour aller vers les idées adéquates, c'est-à-dire « le bien ». 

.

Pour ce qui est de ce présent ouvrage, on peut dire que, dès les premières lettres, il y a incompréhension de part et d'autre. Blyenbergh pose clairement, entre autres, la question :

Adam a-t-il mangé la pomme avec le consentement de Dieu ?

La réponse du maître est alambiquée. En effet, comment peut-il connaître cette réponse ?

Puis, dans la Lettre 4, il s'énerve ! En effet, l'élève a relevé des contradictions chez le Maître ! Les questions sont trop « pointues, et je pense que, « Grand Maître », il ne veut pas admettre son ignorance ! Comment un philosophe peut-il s'énerver ?

Ça fait deux, avec Nietzsche lu précédemment !

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Qu'est ce que le « Verbe » de Dieu ?

Les prophètes, « admis à l'assemblée de Dieu », ont-ils modifié le Verbe pour que les lecteurs comprennent ?

Qu'est ce que l'essence ?

L'entendement est-il limité par Dieu ? … Et la volonté ?

Je pense que le tord de Baruch est de ne pas bien définir les termes qu'il emploie, et c'est alors un dialogue de sourds ! Il s'en aperçoit enfin à la Lettre 6, et définit ainsi les « méchants » au sujet desquels l'élève avait posé plein de questions :



« Les méchants sont ceux qui n'ont pas l'idée de Dieu, mais seulement les idées des choses terrestres, et qui règlent sur elles leurs actes et leurs pensées. »

.

C'est alors que je me demande si les « gentils » sont, pour la plupart, désintéressés, faisant des bonnes actions non par altruisme, mais pour gagner une bonne place au ciel ?

Hein ? Il ne l'a pas posée, celle-là, Blyenbergh !

.

C'est un débat intéressant, mais à la limite de la connaissance, et je pense que Blyenbergh aurait eu plus de chance avec Blaise Pascal, qui ne monte pas sur ses grands chevaux quand il polémique avec les jésuites !
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L'éthique

L'Ethique est Ce Qu'il Fallait Démontrer pour s'affranchir d'un seul coup des anciens dogmes et superstitions. Mais s'il n'y a plus à craindre ou à espérer des prescriptions divines il reste cependant à composer pratiquement avec la palette variée et inconstante des sentiments bien humains qui sont aussi capables d'asservir l'homme. La voie libre est donc difficile à première vue, elle dépend de la Raison qui est elle-même limitée mais largement perfectible.



La voie est nécessairement pragmatique à l'image de l'exposé de la formation des états et des lois qui découlera du besoin des hommes de s'entraider pour mieux préserver leur être. Pragmatique aussi est l'évaluation des avantages et des inconvénients de chaque situation ; ainsi il vaudra mieux donner la préférence aux sentiments d'humilité et de repentir, d'espoir et de crainte (toujours exploités par les prophètes), plutôt qu'à l'orgueil "suprême ignorance de soi" qui est absolument incompatible avec la concorde des hommes.



En conséquence Nietzsche, s'il avait vraiment compris Spinoza comme il le pense, ne serait pas contenter de banaliser l'idée de "la race des conquérants et des maîtres-nés, celle des Aryens »* et de la considérer comme autre chose qu'une très grande menace pour l'humanité. (*Nietzsche, La Généalogie de la Morale).



La priorité à la concorde des hommes ou l'amour de son prochain, chacun peut la percevoir à sa manière, comme l'ont perçue les prophètes. Les Ecritures ne contiennent que ce type d'enseignement très simple accompagné d'un contenu historique et surtout d'une énorme dose d'imagination, en tous les cas rien qui permette de réclamer l'obéissance à Dieu sauf si on considère Dieu comme un prince. Loin d'appeler à un nouvel ascétisme, le perfectionnement de la Raison permet à l'homme de jouir d'une légèreté de l'Être car à un certain point il n'est plus dominé par les passions et son esprit ne confond plus la réalité avec les fruits de son imagination.



Comme la sagesse réclame la Raison, la lecture de l'Ethique réclame une attention particulière pour suivre un raisonnement difficile construit de façon mathématique. A la manière d'une épreuve j'ai essayé de décrocher le moins possible jusqu'à cette proposition : "L'esprit humain ne peut être absolument détruit avec le corps, mais il en subsiste quelque chose qui est éternel". Je ne peux pas affirmer que celle-ci soit absolument démontrée, et je dois même dire la même chose pour de nombreuses parties du raisonnement mais en même temps il est impressionnant de noter dans les commentaires (scolies) à quel point l'expérience rejoint les propositions.



Ainsi l'Ethique montre comment le perfectionnement de la Raison prépare tranquillement l'esprit à accéder à la connaissance intuitive et à la "la joie inhérente à la conscience de soi" ou béatitude (on pourrait dire aussi l'Eveil). le choix d'un vocabulaire religieux est aussi fait pour préparer en douceur les croyants des anciens dogmes à accueillir une nouvelle idée de la religion.



Voici donc la première idée claire et distincte de Spinoza : "Dieu est une substance consistant en une infinité d'attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie ». Et par le raisonnement on n'obtient que « ni l'entendement ni la volonté n'appartiennent à la nature de Dieu ». Il n'y a donc aucune représentation anthropomorphique possible, mais puisque les hommes ne peuvent s'empêcher de former des images, alors c'est l'image de la Nature qui convient le mieux : "Deus sive Natura" (j'y vois aussi le Tao de Lao Tse). Cette vision dépasse la perception nombriliste des hommes convaincus que tout ce qui arrive, arrive pour eux. "Ainsi ont-ils été conduits à former ces notions par lesquelles ils disent expliquer la nature des choses, à savoir le Bien, le Mal, l'Ordre, la Confusion, le Chaud, le Froid, la Beauté et la Laideur ; et du fait qu'ils s'estiment libres, sont nées les notions suivantes : la Louange et le blâme, la Faute et le Mérite."



Autrement dit Spinoza dénonce aussi les anciens dogmes comme une limitation de la puissance divine, ultime provocation sans doute pour les théologiens. Il se sait accusé d'hérésie ce qui n'est pas une mince affaire, mais l'Ethique est sagesse et donc respect. C'est donc avec sa force d'âme et un discours cartésien qu'il va affronter ses adversaires qui eux se fondent sur l'arbitraire interprétation des Ecritures. Dans le Traité des autorités théologique et politique il analyse le sens du droit divin, son rôle dans un état démocratique et la liberté que l'homme doit conserver lorsqu'il transfère ses droits à l'Etat.



L'engagement de Spinoza dans un contexte d'obscurantisme faussement religieux nous ramène évidemment à l'actualité. L'Ethique devrait certainement prendre sa place dans les programmes scolaires à la suite de l'enseignement laïque des faits religieux. Et que dire aux enfants à l'âge où ils nous assaillent de pourquoi ? pourquoi ? pourquoi ?...Je sais en tous les cas qu'ils doivent percevoir l'effort de la raison parce qu'ils sont capables de comprendre, plutôt que subir un flot d'explications surnaturelles parce qu'ils sont facilement impressionnables.
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Correspondance - Spinoza/Blyenbergh : Lettr..

Pas facile de se lancer dans la philo.



Ce petit livre regroupe les lettres que ce sont échangées, entre 1664 et 1665, le philosophe Spinoza et un courtier en grain, Blyenbergh, plein de curiosité pour la philosophie de Spinoza. C’est plutôt touffu pour moi, et écrit et traduit selon les règles de l’époque. Je suis bien content que le livre – qui s’adresse avant tout à des lycéens au minimum – contiennent de l’analyse de texte qui m’a aidé à éclairer ce que je lisais.



C’est Blyenbergh qui commence l’échange, en déclarant qu’il est fan de l’auteur et qu’il a des questions sur son livre « Les principes de la philosophie de Descartes ». Spinoza répond avec joie, croyant avoir affaire à un homme qui s’intéresse aux raisonnements philosophiques. Mais la deuxième lettre arrive comme un coup de théâtre. Blyenbergh, qui est calviniste, avoue que s’il doit choisir entre une explication philosophique et une affirmation issue de l’Écriture, c’est la deuxième qui l’emportera sans discussion. Spinoza comprend alors que leurs axiomes de base sont discordants, car lui voit l’Écriture comme une parabole destinée à expliquer les lois de Dieu au « vulgaire » (à celui qui ne réfléchit pas dessus), et donc certainement pas comme le Verbe incarné.

Les rapports se tendent dès lors. Les deux hommes font un usage intensif de raisonnements logiques directs ou par l’absurde, mais ils ne peuvent s’accorder car leurs points de départ ne sont pas les mêmes. Spinoza s’en aperçoit immédiatement mais tente malgré tout d’expliquer sa position, Blyenbergh ne comprend pas et insiste. Ils se voient physiquement une fois. Mais, lassé, Spinoza finit par rompre le contact.



Il ne faut pas voir ici l’affrontement d’un érudit et d’un ignare fondamentaliste. Les deux hommes savent raisonner, mais Spinoza est peut-être plus affuté. On saisit certains éléments de la philosophie de Spinoza qui s’éloigne de la théologie. Il n’est pas en accord avec Descartes, par exemple sur le libre arbitre (Spinoza ne croit pas que cela existe, Descartes oui). Il ne croit pas qu’il existe quelque chose comme le Mal absolu, que Blyenbergh assimile au péché originel par exemple.

Les positions de Spinoza en plein XVIIe siècle ne sont pas faciles à tenir. D’autres ont été menacés du bûcher relativement peu de temps auparavant (Galilée c’est 40 ans avant). Lui-même a été exclu de la synagogue en 1656, avec des mots d’une violence incroyable : « Nous le maudissons comme Élie maudit les enfants et avec toutes les malédictions que l’on trouve dans la Loi. Qu’il soit maudit le jour, qu’il soit maudit la nuit ; qu’il soit maudit pendant son sommeil et pendant qu’il veille, etc. ».



Un livre peu facile à lire pour moi, donc, mais assurément intéressant, et éclairci par le dossier associé.

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Correspondance

Je n’aurais jamais compris l’intérêt de ce livre si je n’avais pas fréquenté ceux qui se prétendent pontes de la philosophie –comme quoi, ça peut servir d’aller à l’université de temps en temps, mais pas la peine de se sacrifier une année d’assiduité pour autant : un cours suffit amplement.





On pourrait reprendre Michel Houellebecq qui, dans « Soumission », soulignait avec regret la perte vive d’énergie que subissent les étudiants lorsqu’ils doivent se consacrer à l’écriture d’un mémoire ou d’une thèse dont le sujet leur échut dans une conjonction déplorable de contingences. Bref, Michel Houellebecq notait : « Des milliers de thèses ont été écrites sur Rimbaud, dans toutes les université de France, des pays francophones et même au-delà, Rimbaud est probablement le sujet de thèse le plus rabâché au monde, à l’exception peut-être de Flaubert, alors il suffit d’aller chercher deux ou trois thèses anciennes soutenues dans des universités de province, et de les interpoler vaguement, personne n’a les moyens matériels de vérifier, personne n’a les moyens ni même l’envie de se plonger dans les centaines de milliers de pages inlassablement tartinées sur le voyant par des étudiants dépourvus de personnalité ». Et bref encore, on peut sans doute appliquer cette observation à Spinoza dans le domaine de la philosophie et rêver aux milliers de thèses pondues à son sujet. Certains étudiants, plus margoulins que les autres, voulurent sans doute donner un cachet de légère originalité à leur défécation scolaire en s’intéressant à des textes de seconde zone (cette correspondance), certains allant même jusqu’à délirer complètement en soupçonnant le philosophe d’occultisme. Mais je suis injuste : pas besoin d’attendre la tertiarisation de la société pour voir se multiplier ce genre de thèses ; déjà, dans les siècles plus lointains qui suivirent la disparition de Spinoza, les hommes privilégiés qui pouvaient se permettre de survivre le nez dans des bouquins s’étaient amusés à ce genre de divagation.





A mon tour de m’inscrire dans la lignée de ces érudits impuissants. Bien sûr, je ne pense pas que Spinoza ait voulu cacher quoi que ce soit dans ses lettres. Il n’était pas outrecuidant au point de croire que de pauvres tâcherons s’épuiseraient à faire son exégèse après sa mort. S’il se contredit parfois, s’il passe souvent du ton sérieux au ton exalté, s’il écrit sur la religion pendant des pages pour ensuite répudier d’un crachat ces questions, ce n’est pas qu’il soit fou (quoique), c’est qu’il est humain comme nous tous, s’adaptant à l’intelligence de ses interlocuteurs et ne reniant pas, de temps en temps, le plaisir d’un changement brusque d’opinion. Comme disait ce fameux professeur de philosophie, que je n’ai vu qu’une fois (plutôt sobre le matin et carrément déjanté l’après-midi, après un repas franc-maçon bien arrosé) : « Il n’y a pas une philosophie de Spinoza mais DES philosophies ! » (et il rebondissait sur sa table, exalté par cette idée dantesque). Certes.





Mais moi, ce que je trouve le plus drôle, c’est lorsque Spinoza parle de religion. Plutôt surpris par la virulence des lettres de ses premiers détracteurs –qui voulaient tantôt le faire passer pour athée, tantôt pour musulman, tantôt pour d’autres trucs-, il se défend assidûment de n’appartenir à aucune de ces confréries. Il croit encore que l’avenir de sa carrière se jouera de cette lutte d’opinions. Mais le temps passe, la mort approche, Spinoza bien malade se fiche de ce qu’on en pensera et les dernières lettres sont assez jubilatoires, qui défroquent les chrétiens et les musulmans en une phrase (« Et je croirais volontiers que pour tromper le peuple et pour contraindre l’âme des hommes, il n’y a pas mieux [que l’Eglise romaine], s’il n’y avait aussi l’organisation de l’Eglise mahométane, qui est encore loin au-dessus, car depuis l’époque où cette superstition a commencé, aucun schisme n’est né dans cette Eglise » [ce qui n’est plus vrai maintenant mais on reconnaîtra au moins dans cette erreur que Spinoza ne possédait pas le don de clairvoyance]), et il n’épargne pas non plus les juifs (« Les miracles qu’ils racontent […] pourraient épuiser mille bavards. Mais ce dont ils sont le plus fiers, c’est qu’ils comptent, de loin, plus de martyrs que toute autre nation, et que leur nombre augmente chaque jour, souffrant pour la foi qu’ils professent avec une singulière constance d’âme »). Lire à cet égard la lettre 76 adressée à Albert Burgh, un ancien disciple de Spinoza qui n’avait rien compris à son enseignement et qui ne crut rien avoir à faire de mieux que de se convertir au christianisme, et de vouloir ensuite convaincre son maître de l’absolue justesse de sa décision (ce à quoi Spinoza lui répondit, avec l’art de la formule : « O garçon sans esprit, qui t’a donc charmé au point de te faire croire que tu avales, puis que tu as dans les intestins, le Suprême Eternel ? »).





Résumons à présent les nobles et précieuses raisons qui peuvent nous induire à lire cette Correspondance :

- Ça cause de religion, et pas que de philosophie.

- On découvre un Spinoza guère préoccupé des convenances sociales, envoyant chier ses interlocuteurs lorsqu’ils veulent le convaincre d’une idée née d’une quelconque malformation cérébrale (exemple de la lettre 48 de Jarig Jelles, libertin souhaitant fonder une nouvelle Torah. Mal tombé, Spinoza est indifférent aux dogmes religieux).

- Si on n’a rien compris à l’Ethique ou au TTP, tous les petits résumés se trouvent ici.





Enfin, on apprendra que Spinoza était un fort goulu buveur de bière, G. H. Schuller réconfortant ses tripes dans une lettre fort avisée en lui signalant que « Le seigneur Bresser est revenu de Clèves. Il a envoyé ici une grande quantité de la bière locale ; je lui ai demandé de vous en réserver une demi-tonne, ce qu’il a promis de faire, en vous faisant ses amicales salutations ». Ainsi pouvons-nous en conclure que Spinoza était éthiquement un brave type.

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L'éthique

A la fois rigueur et joie, la pensée de Spinoza séduit l'esprit autant que le corps, qu'elle ne sépare presque pas, tout se trouvant rassemblé par Dieu, en Dieu, c'est-à-dire en la Nature. Il n'y a, pour Spinoza, qu'une substance, qu'un être, c'est Dieu, et ce Dieu est indivisible, donc partout. Il est la Nature. Nous sommes une partie de Dieu, nous sommes même Dieu lui-même, puisqu'il est indivisible. Malheureusement, nous ne sommes pas spontanément conscients de cette adéquation entre notre corps (Dieu perçu sous le point de vue de l'étendue), notre esprit et Dieu, parce que nous sommes affectés de mille façons par l'extérieur et que nous sommes souvent passifs, pénétrés de tristesse et non de joie. Le travail de l'esprit consistera donc toujours à chercher la joie, l'action, la pensée adéquate qui correspond à la vérité de la Nature. Son désir sera de se conserver, d'être utile à lui-même, c'est-à-dire, toujours, à Dieu. N'est moral que ce qui est utile à ma conservation. Ce qui me plaît dans l'éthique de Spinoza, même si ses démonstration m'échappent parfois, c'est que c'est une éthique du désir et non du devoir, une quête de joie et non du "bien", défini simplement par l'utile. C'est qui m'est utile est bien, et non le contraire. Bien sûr, Spinoza surestime l'entendement humain, mais il le désencombre des vieux modes de penser qui le corsetaient.

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Correspondance

Cher Monsieur Spinoza,

J'ai terminé la lecture de vos œuvres complètes ce qui m'a pris plusieurs mois et je suis totalement admiratif même si la date de la dernière lettre de votre correspondance me rappelle tristement que votre vie s'est terminée en 1677. Comme vos correspondants j'avais beaucoup de questions à vous poser mais en tous les cas je constate que votre esprit est toujours vivant - clin d’œil à votre proposition n°23 de l'Ethique (5ième partie) : "L'esprit humain ne peut être absolument détruit avec le corps, mais il en subsiste quelque chose qui est éternel". Encore récemment un numéro hors-série du magazine le Point expose votre philosophie ; vous serez certainement heureux de savoir que vos recommandations pour accéder à la béatitude ou joie de la conscience de soi sont accessibles à la masse, même si je sais bien que vous n'avez jamais rechercher le renom.



Les qualificatifs d' « athéisme » ont souvent été utilisés par vos correspondants, plus tard d'autres ont parlé de « panthéisme », et au jour où parait ce magazine vous êtes un « ultra-moderne ». Des mots que vous trouverez sûrement réducteurs.



En tous les cas je crois que nous avons tous bien besoin de lire vos correspondances pour mieux comprendre votre philosophie. Vous avez démontré sans relâche et avec le plus grand respect comment l'attachement excessif aux Écritures sacrées biaise tous les raisonnements jusqu'au délire parfois. Sachez qu'en ce moment une secte barbare, appelée Daesh, affiliée à l'Islam nous pose également beaucoup de soucis et je crois qu'il appartient à chacun de lire et d'interpréter vos recommandations. Ainsi l’État ne doit pas laisser se développer des doctrines purement spéculatives qui menacent sa sécurité, mais derrière tout ça il y aussi des phénomènes de psychologie de masse difficiles à comprendre.



Vous ne vous êtes pas étendu sur l'islam et d'ailleurs vous ne vous êtes pas résolu à considérer sérieusement l'islam comme une religion révélée par un prophète. Mais comme vous l'avez déjà indiqué dans votre Traité des Autorités Théologique et Politique « si donc on lit les récits de l’Écriture sacrée et qu'on y croie sans tenir compte de la doctrine qu'elle s'est proposée d'enseigner par leur moyen et sans corriger sa vie (…) alors on peut ignorer complètement ces récits ».



Nous avons une autre aberration, une secte dite « d'extrême droite » qui véhicule elle aussi la haine et menace également notre démocratie par les mêmes mécanismes de psychologie de masse. Mais vous dites tout simplement : « Les aberrations idéologiques et criminelles se résolvent par des règles naturelles, qui font que les hommes menacés s'accordent entre eux pour y mettre fin et ce d'autant plus efficacement qu'ils sont guidés par la Raison ».



Pour ne pas vous prendre trop de temps, je voulais vous signaler aussi que vos collègues scientifiques Boyle et Huygens notamment, dont vous avez fait mention dans vos correspondances, ont fait aboutir des découvertes importantes.



Voilà ! Que votre Esprit demeure, je boirai ce soir une bière en votre honneur.

.

A très bientôt



Amicalement
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Traité de la réforme de l'entendement

Le "Traité de la réforme de l'entendement", est un texte, inachevé, de Spinoza, où ce dernier aborde la question de la vérité et se demande comment il est possible, de la connaître.

Je suis partagé, quant à ce texte-sans doute en partie, parce qu'il est inachevé, et donc inabouti.

Il comporte beaucoup de choses très intéressantes ; certaines des opinions de Spinoza, me semblent justes et, cela va sans dire, le texte est d'une grande intelligence.

Toutefois, il me semble, que Spinoza, fait certaines erreurs ; en particulier, je le crois un peu trop optimiste, quant à la possibilité, pour l'homme, de connaître la vérité ; il me semble, qu'il n'a pas vu, à quel point la vérité était difficile à connaître, qu'il a sous-estimé cette difficulté-et pourtant, on ne peut pas vraiment dire, que, dans le "Traité de la réforme de l'entendement", Spinoza, ne soulève aucune difficulté, quant à la possibilité, pour l'homme, d'accéder au savoir.

Le "Traité de la réforme de l'entendement", n'en reste pas moins un texte d'une remarquable intelligence, très intéressant à découvrir et plein d'un certain nombre de bonnes idées.
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Traité théologico-politique

Avec le Traité des autorités théologique et politique, Spinoza explore l’Histoire, un pied dans l’antiquité lorsqu’il analyse les Ecritures, et un pied dans les années 1660 lorsqu’il réagit au contexte politique des Pays-Bas.

C’est le bon tempo pour exprimer ses revendications car le contexte de relative tolérance religieuse le permet et d’autre part Spinoza a acquis suffisamment de connaissance et de recul sur les religions juive et chrétienne pour former des idées claires et distinctes. Mais le temps n’est pas encore venu pour livrer sa synthèse spirituelle que constitue l’Ethique.

Dans un subtil mélange de douceur et de détermination Spinoza révèle les enseignements très simples des Ecritures, la justice et l’amour de son prochain pour le dire en deux mots, et en même temps il critique franchement les débordements d’imagination des prophètes produisant des récits qu'ils voudraient faire passer pour des révélations divines plutôt qu'admettre qu'ils les ont conçus pour frapper l'opinion publique.

« Aime ton prochain, mais déteste ton ennemi » (Matth., ch. v, vers 43). C’est ainsi qu’on peut résumer comment Dieu est apparu aux hébreux comme un prince qui a mis la main sur un territoire et sa population. « Plus tard, lorsqu’ils eurent perdu leur organisation d’Etat national et eurent été conduits en captivité à Babylone, Jérémie leur recommanda de veiller à la prospérité, désormais, de cette ville où ils étaient retenus prisonniers. Enfin lorsque Le Christ les vit dispersés sur toute la terre, il les pressa de pratiquer le devoir de charité à l’égard de tous les humains. Tous les moments de l’histoire des hébreux illustrent donc bien l’accord, toujours nécessaire, de la religion avec l’intérêt public » (citation Spinoza ch. XIX).

Le droit divin des Ecritures apparait donc simplement comme une version ancienne du droit positif. Peu importe d’ailleurs que l'amour de son prochain soit perçu comme une révélation divine ou bien perçu à la lumière naturelle (le bon sens). Si donc les Ecritures peuvent « servir à répandre des opinions salutaires » alors on ne peut les réduire à des « poèmes dramatiques » ou des « chroniques ordinaires ». Fondamentalement la liberté d’opinion est un « droit individuel inaliénable », en revanche la puissance souveraine ne doit pas laisser se développer un droit « divin » dépendant « de doctrines purement spéculatives ».

Ici la puissance souveraine ne peut être que celle d’un Etat démocratique. En conclusion « il n’y a pas de lumière supérieure à la nature, il n’y a pas d’autorité extérieure aux hommes » (ch. VII de l’interprétation de l’Ecriture)
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L'éthique

« L’Éthique » est une œuvre monumentale d’une puissance inouïe, écrite par l’un des plus grands philosophes de tous les temps.



Ce qui frappe le plus à sa lecture est sa construction très ordonnée et mathématique ou chaque définition alimente chaque proposition, scolie et axiome qui sont eux même suivis de démonstrations.



L’idée majeure de l ‘ « Éthique » est de définir un mode de connaissance par la recherche de l’essence et de la substance des choses, mais aussi par celles des causes et des effets pour comprendre les mécanismes divins ordonnateurs de toutes les réalités naturelles.



Par ce biais, Spinoza souhaite rendre l’homme meilleur en lui inculquant des principes universels tendant à son bien.



Ses positions contre une adoration aveugle d’un Dieu construit par les religions à l’image de l’homme pour tout expliquer en son sens, lui valurent d’être banni de la communauté juive et de vivre dans une certaine forme de clandestinité toute sa vie.



Cette attitude courageuse d’un libre penseur persécuté renforce l’admiration qu’on peut tirer de la découverte de cette cathédrale pensée pure qu’est « L’Éthique ».
Lien : https://lediscoursdharnois.b..
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L'éthique

Quel visionnaire, tout de même, ce Spinoza! Bon, d'accord, la forme est difficile et un peu rebutante car les propositions sont listées puis démontrées , sans oublier quelques corollaires et autre scholies, mais la nature de l'être humain a été disséquée chirurgicalement, mathématiquement même, et nous parvenons à trouver tout cela très cohérent et pertinent. Si vous voulez, vous pouvez vous limiter aux propositions, comme on lirait des citations ou des proverbes. Spinoza est croyant, mais son Dieu n'est pas vu à travers le prisme d'une religion. Il pense que plus nous cherchons à nous perfectionner, plus nous nous approchons de la compréhension de ce Dieu.

Nous apprenons même à être heureux en privilégiant la joie à la tristesse par notre puissance d'action tournée vers des idées adéquates. Enfin, il nous enseigne à dominer nos passions. C'est à mon sens un ouvrage très riche qu'il est important de feuilleter au moins une fois dans sa vie.
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L'éthique

Un chef d'oeuvre de la philosophie. En France on fait cocorico en vantant Descartes, au Royaume Uni on loue Locke et Hobbes, en Allemagne on sacre Leibniz, mais Spinoza demeure celui qui met d'accord chaque pays quant à l'apport de la philosophie rationaliste.

Et c'est surtout ce livre, cet ouvrage, qui place Spinoza dans le panthéon de l'histoire de la philosophie.

Tout d'abord un conseil de lectures. Cet ouvrage est structuré de la même façon qu'une démonstration de mathématiques ou de géométrie. Il est composé des axiomes, des définitions, des scolies et des parties démonstratives. il convient de commencer par les parties démonstratives et les scolies et de terminer chaque chapitre par les définitions et les axiomes, sinon la compréhension devient ardue. J'ai personnellement conseillé cette lecture à mes anciens professeurs et ils en furent contents.



Je ne vais pas développer toute l'argumentation de l'ouvrage cela serait trop complexe et trop long.

Le propos général est de parvenir au bonheur à travers une réflexion, une compréhension du monde. Pour Spinoza nous sommes déterminés, il n'existe aucun libre arbitre, la causalité est totale : chaque cause engendre une pluralité d'effets qui deviennent eux-mêmes causes d'autres effets etc. Ainsi notre seule liberté est de comprendre les causes qui nous déterminent et c'est cette compréhension qui participe à la construction de notre bonheur.



Parallèlement à cela Spinoza pose la fondation de sa métaphysique, ainsi Dieu est la cause première de l'existence de toute chose, rien de plus, il est l'infinité des modes et attributs de l'univers et constitue chaque chose qui existe, il s'agit de la seule substance qui existe par elle-même sans être déterminée par autre chose.

Ce qui n'est pas le cas de notre ontologie, finie, déterminée et dépendante de l'existence de causes.



L'esprit (et non pas l'âme) n'est qu'une autre façon de voir le corps. En clair, Spinoza est moniste et matérialiste, nous ne sommes qu'un corps avec tout ce qu'il comporte de fonctionnement et qui nous permet une conscience et une pensée. Damasio dit de Spinoza qu'il a compris les neurosciences en avance puisque Spinoza va jusqu'à expliquer que nos pensées ne sont que des expressions du cerveau et du corps (comme peuvent l'expliquer les neurosciences avec le fonctionnement cérébral)



Il s'oppose ainsi à Descartes, farouchement, en contrariant le chantre du libre arbitre, du dualisme, et du Dieu conscient et infiniment bon.





Magnifiquement écrit et érudit, il n'en demeure pas moins complexe, si vous voulez lire Spinoza, je conseille toujours de lire le livre d'un autre philosophe Alain qui présenta la pensée du philosophe hollandais dans un livre qui s'intitule "Spinoza".

Un professeur que j'ai eu disait : "quand on est spinoziste on ne peut pas être autrement" c'est une jolie formule.
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Oeuvres complètes

Ce livre était sur une étagère depuis 10 ans et aurait pu y rester encore longtemps. Et puis par hasard, j'ai entendu parlé du "conatus" de Spinoza. J'ai alors décidé d'ouvrir le livre. Etait-ce un libre choix ? C'est une des questions à laquelle la philosophie de Spinoza tente de répondre (bien que sa sagacité ne se soit pas porté sur mon cas particulier).



J'avais l'appréhension de trouver dans Spinoza un parent propos de la scolastique, et le Court traité et le Traité de la réforme de l'entendement ne m'ont d'emblée pas vraiment rassurés. L'auteur pose une cosmologie -dont je n'ai toujours pas d'idée « claire et distincte » comme il dirait- à base de substance, d'attributs et de modes. La substance c'est ce qui produit le monde et le Tout lui-même. C'est Dieu. La substance -ou Dieu donc- a une infinité d'attributs. Un attribut est ce que l'entendement perçoit de la substance comme constituant son essence. Parmi cette infinité d'attributs, il est donné à l'homme d'en connaître deux : l'étendue et la pensée. Pour finir, les objets ou les choses sont les modes. On se résume, Dieu est la substance, l'homme un mode de cette substance, qui possède les attributs de l'étendue et de la pensée.



J'avoue que quand j'en étais là, j'avais plus envie de bâiller que de lire les 1200 pages suivantes. En lisant des choses comme ça : « il en résulte entre autre que Dieu n'a pas d'entendement, il est la pensée », j'ai eu tendance à remplacer le mot Dieu par Chuck Norris, le résultat était plus sympa. Heureusement, Spinoza propose de temps en temps une lecture collaborative : « Tels sont les préjugés que je me suis proposé de signaler ici. S'il en reste encore de même farine, chacun pourra s'en guérir avec un peu de réflexion. »



Dieu est mentionné en permanence. Et je m'étonnais que Spinoza fut traité d'athée. La subversion apparaît doucement quand on considère que Spinoza, en liant la substance et Dieu, fait de Dieu un être qui se confond avec la Nature, le Tout. Le mot panthéisme n'est cité qu'une fois dans l'ouvrage, alors que tout me semble s'y apparenter. Le panthéisme n'est pas directement synonyme d'athéisme, sauf si l'on considère que ce système refuse à Dieu toute autre puissance que la puissance ordinaire qui s'exerce selon les lois de la nature. Qu'on peut appeler le déterminisme. Et Spinoza en tire lentement toutes les ficelles.



Ainsi, Dieu n'est pas le juge des hommes. Expliquer les actions des hommes par la volonté de Dieu, est selon lui l'asile de l'ignorance. Les lois de la Nature ne contiennent pas de propriété qui indique que les choses doivent se présenter à l'homme sous la forme qui agréé le plus à son imagination. Imputer le bien et le mal à Dieu, c'est adresser un reproche à la nécessité, ce qui est absurde.



Tous les jugements posés sur la qualité des choses ne présentent donc aucune réalité hors de l'homme, et encore moins dans la nature de Dieu. Et, lorsqu'un homme pense en terme de beauté et de laideur, en réalité il définit la nature de la chose selon la manière dont il en est affecté. « La beauté n'est pas tant une qualité de l'objet considéré qu'un effet en celui qui le regarde ». De même, les hommes penseront faute ou mérite du fait qu'ils s'estiment libres, c'est-à-dire en possession de leur propre causalité. Et, en effet, pour Spinoza, les hommes ne sont pas libres. En ce sens qu'ils sont conscients de leurs actions, mais ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés.



Après avoir renversé ces bases, il reformule le sens des concepts et propose une nouvelle vision du monde qui m'a semblé très intéressante et incroyablement moderne.



Une des thèses centrales semble, au premier abord, anodine. Spinoza, en privant les concepts de bien et de mal de toute consistance, les remplace par les concepts de bon et de mauvais, qui selon lui décrivent des phénomènes objectifs dans la nature de tout être. Il les définit comme ceci : « nous appelons bon ou mauvais ce qui est utile ou nuisible à la conservation de notre être, c'est-dire ce qui augmente ou diminue, aide ou contrarie notre puissance d'agir ». Une idée ou un corps augmente notre puissance d’agir, en ce qu’il s’accorde avec notre esprit ou notre corps (ex: la nourriture, l'amour...). Le sentiment correspondant est la joie. Au contraire, on parle de diminution de la puissance d’agir lorsqu’une chose altère notre cohérence interne (ex: le poison, la haine...) et le sentiment qui lui est associé est la tristesse.



Et pour Spinoza ces réalités prennent forme dans la conscience de l’homme par le biais du désir. Le désir est le creuset dans lequel cette distinction entre passion joyeuses et passions tristes s’inscrit dans notre nature. Le désir est ainsi définit comme le déploiement de la force naturelle au moyen de laquelle l'homme s'efforce de persévérer dans son être. C’est le "conatus" de Spinoza : l'effort fait par toute chose pour persévérer dans son être.



Cependant, l’effet des contraintes extérieures sur l'homme conduit le désir à s’assouvir d’une manière parfois contraire à ce que réclame sa nature. C’est pourquoi Spinoza exhorte l’homme à se libérer des passions tristes au moyen de la raison, pour soutenir l’inclination de sa nature profonde. Agir et penser avec la raison c’est rapprocher l’homme de la vérité de sa nature, de sa perfection.



Ce processus s’opère de la sorte : au départ, l'homme est pétrit d'opinions, d'imaginations; il est ignorant et esclave. Puis la raison le conduit à parfaire son entendement pour le rapprocher de la vérité. Enfin, il peut donner corps à sa puissance d'agir par une connaissance claire et vraie, l'accès à la chose en soi (cf. green vision dans Matrix pour plus de détails). Ainsi écrit-il : « Moins nous sommes indifférents quand nous affirmons ou nions, plus nous sommes libres ». Toute l’entreprise de Spinoza conduit l’homme à libérer son esprit.



Par exemple, lorsqu’une personne agit conformément à la loi morale par crainte (de Dieu, de l’Etat, ...), elle agit par diminution de sa puissance, car la crainte est « la tristesse inconstante née de l'idée d'une chose future ou passée dont l'issue nous paraît douteuse ». Lorsqu’une personne agit pour le bien non par crainte, mais de son plein gré, en accord avec sa raison, elle délivre la vie, elle augmente sa puissance d’agir et devient plus libre. C’est l’opposition entre l’action issue du ressentiment et celle qui affirme. La parenté avec la philosophie de Niezsche est frappante sous ce jour. Cette philosophie riche de beaucoup de vérités à mon sens, semble aussi conserver sa pertinence aux abords d’autres disciplines comme la psychanalyse et la politique.



Je fais court sur les préconisations que Spinoza adresse à partir de cette conception du monde, mais c'est une partie captivante de l’œuvre.



Il s'exprime notamment sur les régimes politiques qu'il juge les meilleurs : la démocratie ou le régime parlementaire. Cet Etat, en inspirant le respect davantage que la crainte à ses sujets, peut conserver l'autorité et ainsi valider le transfert de leurs droits. C'est pourquoi la Souveraine puissance doit garantir : la liberté de pensée et de culte (« Une autorité politique qui prétend s'exercer jusque dans les esprits est qualifiée de violente » et « Chacun doit conserver, et la liberté de son jugement, et son pouvoir d'interpréter la foi comme il la comprend. »), l'émancipation du peuple, la supériorité de l’Etat sur les religions dans la législation des lois et l’administration de la nation, l'indépendance de la justice au religieux et au pouvoir de l'argent, une religion dont les ministres sont issus de la société civile, l’auto-financement des lieux cultes par les religions, etc.



Toutes ces propositions amènent Spinoza à critiquer en profondeur l’interprétation de Dieu par les religions, notamment en ce que ces dernières aliènent leurs sujets et diminuent de leur puissance. Spinoza attaque principalement la religion juive, qu’il connait pour l’avoir longuement étudiée. Il se donne l'apparence d'épargner les protestants (majoritaires à cette époque en Hollande). En réalité, il fait la chasse à toute superstition, à tout ce qui n'est pas rationnel, et cela n'échappera pas longtemps aux Chrétiens de son époque.



J'ai eu un réel plaisir de lecture à suivre les démonstrations, les nombreux exemples tirés de la Bible et tous les tours de passe-passe que Spinoza utilise pour ramener les religions à un rôle plus humble et dénoncer les forfaitures des théologiens. Ainsi, il se paye le luxe en plein XVIIème (certes dans une Hollande qui est libérale et tolérante comme aucun autre pays européen, mais à une époque où l’inquisition tue) de réfuter les miracles, de mettre en cause la véracité de nombreux récits dans les Ecritures tout en soutenant leur valeur allégorique, de nier la valeur suprême des Ecritures, de refuser que le culte religieux soit nécessaire à Dieu, ou encore de soutenir sa vision déterministe de la nature qui ruine l’autorité de l’Eglise en vertu du principe que ce qui comporte une nécessité s'excuse de soi. Toutes ces pages sont passionnantes et plus d’une fois j'ai été frappé par ce que ces idées avaient d'inactuelles, et de censées dans le monde moderne.



Bien entendu, tout ce qui a été raconté ici déforme peut-être violemment la pensée de Baruch (on est potes maintenant) mais il conviendra à chacun de corriger cela par une lecture plus studieuse.



Si l’on s’intéresse à ce philosophe, L’Éthique et le Tractacus Theologico Politicus me semblent être les deux incontournables. Bref, une excellente surprise et une expérience de lecture truculente que je vais essayer de prolonger silencieusement.
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Éthique

La nature comme chant du possible.



Si l’existence précède l’essence, c’est que l’essence est possible, et donc la possibilité précède l’existence. La possibilité n’est ni l’essence, ni l’existence, mais la condition première de réalisation d’une existence. La possibilité contient donc l’essence de cette existence – à titre de possibilité. C’est en ce sens que l’essence peut précéder l’existence - qui la précède. En fait, l’antériorité de l’essence ou de l’existence est une fausse question, dans la mesure où l’existence et l’essence sont ontologiquement unies comme possibilité et que la possibilité ne dépend pas de sa réalisation physique pour exister. Autrement dit, l’existence de la possibilité est d’essence métaphysique. Si l’on entre dans les détails, juste ce qui est nécessaire, on s’aperçoit en effet que la question de l’antériorité ne se pose pas sur le plan physique, mais seulement sur le plan métaphysique. Sur le plan physique, il apparaît qu’émergent dans l’univers, de fait, des entités complexes à partir d’entités plus simples, mais que ces entités complexes ont des propriétés que n’ont pas en elles-mêmes, dans leurs caractéristiques physiques et aussi loin qu’on puisse les analyser, les entités plus simples, mais qu’elles les ont par contre à titre de pure possibilité ; de façon métaphysique. Un caillou ne contient pas en lui-même une maison, et ne comporte aucune des propriétés distinctives de ce qu’est une maison. Les propriétés de la maison sont des nouveautés qui demandent, pour être comprises, de ne pas se borner à analyser, même si c’est de façon extraordinairement fine, précise et efficace, les données physiques du constituant caillou. Pour comprendre la maison, il faut admettre que la maison était essentiellement possible sans pour autant exister en aucune façon physiquement dans le caillou. Ainsi la chronologie de l’émergence des choses n’est pas leur ontologie, et les propriétés physiques des choses n’en sont en rien l’essence, mais juste la façon d’exister. L’essence ne précède pas nécessairement l’existence, mais elle la précède possiblement, tandis que l’existence doit nécessairement précéder l’essence, mais en tant que possibilité de son émergence. Comme l’avait diagnostiqué Kierkegaard, le possible est la plus lourde des catégories. Il ne s’ensuit pas que toute possibilité doive nécessairement donner lieu à une existence, comme si c’était une nécessité, ce qui détruit l’idée même de possibilité, mais il s’ensuit que la possibilité emprunte les chemins de la nécessité pour donner lieu à une existence, d’où émergera une essence, pour conclure à son identité.

Il ressort de ce rapide périple métaphysique – sans temps mort, sans entraves – que tout ce qui existe a d’abord dû exister comme possibilité, et ceci n’est à son tour possible que métaphysiquement, sans quoi la chose existerait physiquement avant d’exister physiquement, ce qui est peut-être possible, mais juste comme absurdité. Cette antériorité ontologique du possible est simplement rationnelle, et cette rationalité est juste naturelle. Mais évidemment, aucun discours physicaliste ne saurait en balbutier ne serait-ce que la première phrase. La science physique reste clouée au sol, irremplaçable certes, sur lequel se dresse la maison de la connaissance. Il se peut que le petit poucet physicien retrouve, à l’aide de ses petits cailloux qu’il connait si bien, le chemin de la maison ; mais pour qu’il trouve la maison, qui est certes devant ses yeux, il faudra qu’il lève la tête.

Il ressort ensuite de ce plaisant voyage de raison, que la nature n’est pas une entité seulement physique, ni métaphysique, mais qui unit les deux, non comme les étages séparés d’une maison, mais comme l’unité de ses constituants. Et il en ressort enfin que ce qui unit ces constituants, c’est la possibilité comme totalité infinie ontologiquement antérieure à tout ce qui existe – du fait que tout ce qui existe peut –ou non – exister.

L’essence de la nature est que tout est possible, pas n’importe quoi, pas n’importe comment, mais naturellement.



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L'éthique

Un livre qui me réconcilie avec la philosophie et que je regrette de ne pas avoir découvert plus tôt. J’ai bien eu un peu de mal à m’y mettre et si comme moi, vous êtes béotien, je ne peux que vous conseiller les cours magistraux en vidéo de Jean-François Moreau, disponibles gratuitement sur https://www.canal-u.tv, qui m’ont beaucoup aidé. Une lecture continue de l’éthique, disponible sur Spinoza.fr peut aussi être une aide intéressante. Sur la forme, la méthode géométrique retenue par l’auteur peut dérouter mais la progression dans les idées qui en résulte est très efficace. Sur le fond, l’approche positive et joyeuse de Spinoza est très séduisante. Pour le reste, je vous renvoie à la critique de Colimasson, trés bien faite et qui correspond parfaitement à mon ressenti de cette lecture.
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Traité politique ; Lettres

Malgré quelques passages moins captivants car ayant plus trait à la physique ou à la chimie, « Lettres » révèlent de formidables passages ou Spinoza soumis à un flot de questions et de critiques parfois agressives, se voit en position de préciser ses positions philosophiques à des esprits certes moins brillants que lui mais faisant office d’excellents faire valoir.



Bien entendu ce sont surtout les violents affrontements autour des questions religieuses qui ont attiré mon attention.



Spinoza prend en effet de grands risques en défendant des positions très dérangeantes pour les religions monothéistes avec la condamnation des erreurs d’interprétations des prophètes (juifs, chrétiens, musulmans) et la dénonciation de l’établissement d’une domination sur des âmes rendues aveugles, l’Islam étant à ses yeux la plus dominante par le fait qu’elle place ses lois au dessus des lois civiles.



A ce titre on saluera le courage d’un penseur libre, qui accepta de vivre tout sa vie dans une semi clandestinité et d’exercer une modeste activité d’artisan alors qu’il aurait pu prétendre à des plus hautes distinctions.



Ce coté philosophe maudit ayant eu la force de s’affranchir de sa religion originelle rend pour moi le personnage de Spinoza éminemment sympathique.
Lien : https://lediscoursdharnois.b..
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Traité théologico-politique

Nouvelle traduction et édition du Traité théologico-politique. La liberté de penser et de s'exprimer, l'indépendance de la sphère privée par rapport à la religion comme par rapport à l'Etat, la souveraineté des sujets libres, Spinoza a beaucoup à nous dire de notre société et des crises de conscience qui la traversent.



Je mentionne aussi ce livre en relation avec la parution récente de la "Correspndance Freud-Spinoza", par Michel Juffé (nrf Gallimard)
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