Écrit en 2002, ce livre est la suite de Chroniques altermondialistes - Tisser la toile du soulèvement global, paru en 2016 chez Cambourakis (mais il peut se lire indépendamment du premier), et fait furieusement écho aux mouvements militants de ces dernières années (et bien plus encore). Starhawk, qui s'identifie entre autres comme païenne, féministe, sorcière et anarchiste, est surtout connue pour sa participation à des actions directes non-violentes depuis les années 70 jusqu'à nos jours. Dans ses textes, elle essaye de concilier le monde spirituel et le monde politique, tente de trouver des solutions pour construire un monde meilleur et réveiller le pouvoir intérieur des gens pour se libérer du pouvoir de domination exercé sur elles et eux.
Il va donc être ici question des différents pouvoirs de domination contre des minorités, comment leur système s'inscrit durablement et parfois inconsciemment, comment essayer de les contrer, les changer, les défaire. Il va sans dire que son point de vue reste celui d'une personne blanche qui bénéficie de certains privilèges et elle admet volontiers devoir défaire elle-même des préjugés encore tenaces, distillés par une culture principalement dominante. Néanmoins, son approche entrera en résonance avec les personnes qui s'identifient comme militantes, activistes et anti-oppressives, tout en étant conscientes de leurs propres pouvoir-sur, volontaires ou involontaires.
Starhawk commence par le plus global : l'environnement, le rapport entretenu avec la nature. Il est bien fait mention du fait que l'on sépare encore nature et humanité, comme si nous n'en faisions pas partie mais étions une entité bien différente. Ce travers qui fait que l'on a plus de facilité à se dissocier de son environnement et à ne pas s'en sentir responsable. Bien qu'il paraît clair qu'il est difficile pour les habitant•e•s des villes de se sentir proche d'un environnement non-artificiel, et donc de se préoccuper d'un aspect de la nature qui n'est pas côtoyé chaque jour, nous avons aujourd'hui le souci et la responsabilité d'agir pour la durabilité de l'écosystème, chacun•e à sa manière.
Il est donc posé que la plupart des humains se détachent de l'entité nature, mais il est tout aussi troublant que les humains se détachent à l'intérieur même de leur propre espèce, pour se placer toujours plus au-dessus, pour toujours plus exploiter, contrôler, profiter, diminuer. Et c'est d'autant plus inquiétant que si l'humain n'est pas capable de respecter ce qui lui ressemble, il est donc incapable d'avoir du respect pour sa propre maison et sa famille élargie. En cause ici, principalement : racisme, sexisme, hétérosexisme, classisme, etc. mais aussi appropriation culturelle, réappropriation des luttes... D'où viennent ces préjugés, comment s'en défaire, comment être un•e bon•ne allié•e, quelles sont les erreurs à ne pas faire, comment mieux vivre ensemble : un mini-traité qui ne se veut jamais exhaustif et qui prend en compte ses propres œillères tout en tentant de faire toujours mieux.
Et puisqu'il est question de tout ça, il est donc question de violence. Starhawk donne sa propre définition de la violence : « Je définis comme « violence » la capacité d'infliger de la douleur physique, de nuire, ou de tuer, la capacité de punir en restreignant la liberté ou en limitant les choix, la capacité de s'accaparer des ressources vitales ou pécuniaires et de les redistribuer à sa guise, la capacité de blesser émotionnellement ou psychologiquement, de faire honte et d'humilier. » Elle admet également qu'il est difficile d'établir une définition de la violence qui soit la même pour tou•te•s et en toute circonstance. Elle fait aussi le tour de ce qui constitue une action « non-violente » et à quel moment il peut être acceptable de laisser parler sa colère et faire preuve d'une certaine violence si ça peut mener à des résultats concrets.
L'autrice termine par un chapitre qui répond à la question première du livre : Quel monde voulons-nous ? Voici ce que nous voulons. Cela passe par "la viabilité des systèmes qui entretiennent la vie sur la planète", le respect du "domaine du sacré", le contrôle des communautés sur leurs propres ressources, droits et héritages, la responsabilité des entreprises, le soutien équitable pour tou•te•s, une juste compensation du travail, le droit à la dignité et à la sécurité, la responsabilité collective et la démocratie. Les rôles de l'économie sont définis ainsi : la sécurité, l'abondance, l'équité, l'efficacité, la durabilité, la solidarité. Et si nous voulons être de bon•ne•s allié•e•s : être honnêtes, faire de la place, nous définir autrement, approfondir nos savoirs, demander la permission et reconnaître les dettes, contrecarrer l'oppression, donner en retour, penser aux enfants.
Ce livre est un bon rappel pour toute personne déjà un peu engagée ou qui souhaite l'être encore plus, encore mieux. Du bon sens, des vérités simples, des prises de conscience, du pragmatisme, des solutions, pas de moralisme, une tentative de rassembler, réfléchir, reprendre le pouvoir ou donner un peu de sa part... Pour celles et ceux qui ne se sentent pas spécialement d'affinité avec le côté "sorcière" mais qui se sentent plus ancré•e•s dans le quotidien pratique, ce livre conviendra parfaitement pour s'initier à la vision de Starhawk.
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