
-C'est un peu idiot et je ne suis pas certain que tu vas comprendre, commence-t-il en se redressant.
-Essaie toujours.
-J'avais l'impression qu'une partie de toi ne me détestait pas autant que ce que tu me démontrais.
La vérité, c'est que c'était mon souhait. J'ai pensé que la meilleure façon de le savoir, c'était d'arrêter d'agir comme si on était des ennemis, et ce, peu importe ce que tu allais faire. Quand je t'ai embrassée, j'ai ressenti que je ne m'était pas trompé, alors j'ai exprimé tout haut ce que j'aurais dû penser seulement. Je sais que ça semble ridicule,mais j'ai tendance à être impulsif. Les paroles sont sorties sans prévenir. C'était une sorte de réjouissance de voir que tu ne m'avais pas repoussé... mais finalement, tu m'as asséné un coup de poing. Alors j'ai vite arrêté de me réjouir.
J'éclate de dire.
-Si tu ne l'avais pas fait, j'aurais pu t'expliquer que c'était ma façon de dire que j'étais content, mais...on dirait que tu es un peu impulsive toi aussi.
— Un choc! Tu veux rire? Le mot est faible. Un choc, c’est quand tu te cognes le coude sur le coin de la table. Je dirais plutôt que, ce que je ressens, c’est l’anéantissement de mon monde. Vous osez dire que vous occasionnez un choc quand ce que vous créez, ce n’est rien de moins que l’apocalypse. Vous prenez le globe terrestre de ma vie et vous le lancez du haut de la galaxie. Je suis en chute libre. Avec un peu de chance, je vais atterrir sur Mars – qui n’est pas encore habitable, soit dit en passant –, mais ça ne fait rien. Ne vous en faites pas pour moi! Allez-y, soyez égoïstes et vivez votre divorce avec joie!

Assise dans mon bureau, les deux pieds qui reposent sur le bord de ma fenêtre, je mâchouille mon stylo en écoutant mon meilleur ami me faire la morale. Le but de mon appel était d’évacuer une logorrhée de lamentations sur ma situation professionnelle, mais comme toujours Kaël remet la faute sur ma vie personnelle. C’est vrai que l’aspect social de mon existence a été lourdement négligé dans les dernières années, mais c’est justement en raison de mon travail.
Comme je suis journaliste judiciaire pour La Presse, on pourrait croire que l’actualité mouvementée m’offre une variété de sujets intéressants. Or ma patronne, Trish la bitch, comme mes collègues et moi la surnommons tout bas, s’amuse à me contraindre aux dossiers politiques. Il m’arrive de couvrir un procès, un meurtre ou une surdose, mais le plus clair de mon temps est comblé par des histoires lassantes de politiciens corrompus qui se lancent des insultes à micros ouverts ou fermés, selon que les élections sont proches ou non.
Au début, c’était stimulant, mais après trois années je connais les rouages de notre gouvernement au point d’en prédire les coups. D’ailleurs, j’écris régulièrement mes articles avant que surviennent les événements et j’ajuste quelques détails quand on reçoit officiellement la nouvelle. Il se trouve qu’après toutes ces années à fréquenter les lobbyistes du milieu je sais, souvent avant que ça se produise, ce qui fera la manchette. Je pourrais carrément devenir diseuse de bonne aventure dans mes temps libres, si seulement je ne bossais pas soixante heures par semaine.
Et c’est là que le bât blesse. Mon ami Kaël pense que je devrais profiter plus de la vie – c’est sa façon polie de dire que j’ai besoin d’un homme dans mon lit – et travailler moins. On s’entend sur ce dernier point. Il a aussi raison de prétendre qu’il ne se passe pas grand-chose dans ma chambre à coucher. Rien, en vérité. C’est pourquoi je crois que si je changeais d’emploi les conditions seraient plus propices à des rencontres avec la gent masculine. C’est ça, ma préoccupation actuelle, mon boulot est ennuyant et trop prenant pour la satisfaction qu’il m’apporte.
— Kaël, ma vie sexuelle n’est peut-être pas aussi excitante que la tienne, mais elle me convient pour le moment, dis-je en lâchant mon crayon pour attraper ma tasse de café.
— La vie de religieuse te convient pour le moment. Vraiment?
— Disons plutôt que je n’ai pas besoin d’un nouvel amant chaque soir. C’est mon emploi qui me donne envie de m’ouvrir les veines, pas le sexe.
Et je le pense !
Je répète sans arrêt à Kaël que je ne veux pas m’engager à court terme parce que je ne pourrais pas m’investir sérieusement. Je vois mal quand je trouverais l’occasion, car, si la rédaction de mes articles ne me demande que très peu de temps, les heures passées dans les conférences et les cocktails, à l’affût d’une histoire croustillante, elles, s’accumulent. D’ailleurs, à un certain moment, Kaël l’obsédé proposait que je couche avec mes informateurs. « Joins l’utile à l’agréable, Amy. En plus d’avoir des scoops, tu libérerais tes frustrations. » Il ne faut pas avoir sous les yeux le portrait des hommes que je côtoie pour suggérer une chose semblable ! Les vieux croûtons à cravate qui m’entourent au quotidien sont loin des fantasmes qui occupent mes nuits. C’est une façon de parler, parce que, dans les faits,quand la nuit arrive, je plonge mon visage dans l’oreiller et je dors.

— Qu’est-ce que tu fais avec un Glock 19 ?
— Donc c’est bien à toi ?
— Tu pointes un pistolet vers moi et tu prétends que c’est le mien ? commente-t-il en retroussant le nez.
— Bien sûr que c’est à toi. Sinon comment peux-tu savoir de quelle arme il s’agit ?
Il soupire en tournant légèrement les paumes et balance la tête, l’air courroucé par ma déduction.
— Parce que je connais les armes ! se défend-il avec émotion, son intonation suggérant que ma question est stupide.
— Ah bon ! Y a-t-il une raison particulière de ton intérêt pour les pistolets de ce genre ? dis-je en le faisant tourner de chaque côté pour l’observer.
Isaak se déplace à gauche et à droite en fonction du mouvement que j’effectue avec l’objet dangereux.
— Ça ne peut pas plutôt être parce que tu en as besoin pour… je ne sais pas trop… ton travail ? dis-je d’un ton accusateur en marchant de long en large, pareillement à ces agents qui interrogent des prévenus.
— Je suis photographe, Amélia, réitère Isaak en s’avançant vers moi.
J’ai l’étrange réflexe de pointer l’arme vers lui pour l’empêcher d’approcher. Ses yeux s’agrandissent de deux centimètres. Puis, en un battement de cils, je me retrouve allongée sur le lit, sous Isaak, qui tient le pistolet qu’il m’a subtilisé. D’un mouvement agile, d’une seule main, il retire les munitions du manche de l’arme et le catapulte sur l’autre lit.
— Arrête tes conneries ! grogne-t-il. Peut-on avoir une discussion sans que tu pointes un gun vers moi ? Tu ne parais pas savoir t’en servir, et ça me stresse.
— Tu as mis K.-O. trois hommes armés en claquant des doigts et, moi, je te stresse ? Où as-tu appris à te défendre ?
— Je pratique le kick-boxing pour garder la forme, répond-il.
— Ce pistolet n’était pas dans le plafond hier. Quand l’as-tu placé là ?
— Mais qu’est-ce que tu fiches à regarder dans le plafond ? Mon téléphone, mon sac et maintenant les tuiles de la salle de bain. Si la tendance se maintient, tu finiras par ouvrir les murs. Me diras-tu enfin ce que tu cherches ?
Je réalise d’un coup qu’Isaak, toujours allongé sur moi, n’est vêtu que d’un boxer alors que je suis nue sous ma mince sortie de bain qui s’est légèrement détachée. J’ai soudain très chaud.
— Je ne sais pas exactement, finis-je par admettre. Ne le prends pas mal, mais tu n’as pas l’allure… Tu as…
— J’ai l’air malhonnête ? tente-t-il de comprendre.
Chers participants, je vous souhaite officiellement la bienvenue à Escape, le jeu qui vous donne soixante minutes pour vous évader. Si vous réussissez, vous vivrez; si vous échouez, vous mourrez!

— Pourquoi ne pas laisser le hasard décider ? On n’a qu’à réserver en disant qu’on n’a pas de préférence.
— Bonne idée ! m’appuie Mila. La surprise ajoutera de l’excitation.
— Bon pour moi, renchérit Korey.
— De toute façon, le site fait des siennes, nous informe Cody en délaissant son téléphone. Je réserverai demain si tout le monde est d’accord.
Mon frère guette Shay en attente de sa réponse pendant que je m’empare d’un verre et le lève vers la gang. Après un léger mouvement de tête affirmatif, mon amie saisit la boisson blanche d’une main et le citron de l’autre. J’ai connaissance que Jaymee souffle discrètement les instructions à Shay, qui, de toute évidence, n’a jamais bu de tequila.
— Lèche, bois, mords, répète-t-elle en souriant à mon frère.
— Alors, on trinque à Escape, dis-je tandis que les autres effectuent le rituel de leur côté et cognent tour à tour leur verre sur le mien.
— Es-tu game ? murmure Jaymee à l’oreille de Shay, faisant référence au slogan de la compagnie qu’on a lu sur le site.
— Je suis game ! lâche enfin Shay, avant d’avaler le shooter d’un coup sec.

-Tu es ridicule, tu sais? Ils t'aiment tous les deux, poursuit-il.
-Pff! Je sais que mon père, dans son for intérieur, très très loin enfoui, doit avoir une étincelle d'amour restante, mais tarzan, lui, me déteste tellement que ça me fait peur.
-Tu racontes n'importe quoi. Vous êtes follement attirés l'un vers l'autre et vous jouez à faire semblant.
Je tourne la tête pour dévisager Mirko comme je ne l'ai jamais fait de ma vie.Je cherche la ms propos, mais il n'y en a pas.
-Ne fais pas comme si tu ignorais ce que je veux dire, ajoute-t-il pendant que je continue d'écarquiller les yeux au point où j'ai l'impression que mes sourcils vont tomber de ma tête.Tu le sais très bien qu'il n'a d'yeux que pour toi.
-Là, Mirko, tu dérapes. Vraiment.
-Toi aussi, tu n'arrêtes pas de le suivre des yeux.
-QUOI! La seule raison pour laquelle je le regarde, c'est pour voir les coups arriver. Ce gars-là m'a planté un couteau entre les cuisses pour me fabriquer un short, il aurait aussi bien pu m'ouvrir les entrailles.
-Pff!

-Ce n'est pas ça non plus. C'est bien ce que je croyais, alors j'ai formulé d'autres hypothèses. Il y a quelqu'un qui a des poux et tu te sauves pour le fuir?
Cette fois, j'éclate de rire.
-Et selon mon analyse, chuchote-t-il, ce serait Chad le pouilleux.
Mon rire s'arrête net.
...
Je soupire à plein régime au point où je pourrais expédier Mirko à l'hôtel.
-Je veux bien admettre qu'il est beau, mais c'est tout. De toute façon, il me déteste tellement que même si j'avais un tout petit intérêt - ce qui n'est pas du tout le cas -,ce serait inutile de me faire des idées à son sujet.
-Bien sûr!
-Bien sûr quoi?
-Tu vas me dire que tu ne remarques pas la façon dont ses yeux balayent ton corps chaque fois qu'il en a l'occasion.Tu vas aussi me faire croire que tu ne vois pas que, dès que tu t'éloignes,il te cherche. Tandis que tu y es, tu vas prétendre que,lorsque vous avez joué au foot,tu n'as pas remarqué qu'il a tout mis en œuvre pour s'assurer que tu gagnes. Juste pour te voir te réjouir.

Tu peux utiliser tout ce dont tu as besoin.
— Merci, Mademoiselle Johansson… Green !
Charlie s’arrête en réalisant que Christopher sait qui elle est. Elle fait volte-face et se heurte à un visage sans expression.
— Comment tu le sais ?
— C’est plutôt moi qui devrais te demander pourquoi tu ne voulais pas que je sache. Pourquoi avoir voulu cacher que tu étais la fille de Jack ?
— Je ne l’ai pas caché, tu ne m’as pas laissé le temps de te le dire ! Tu m’as chassée de ton bureau.
— Tu t’es présentée comme Charlotte Johansson.
— Johansson, c’est le nom de ma mère, j’utilise Johansson-Green que sur les documents officiels. Comment as-tu su ? Tu as fureté dans mon dossier personnel ?
— Non, je n’ai pas eu à le faire. J’ai tout de suite su qui tu étais.
Charlie est surprise de l’apprendre. En fait, elle en doute. Elle n’a aucun trait physique de son père.
— Je l’ai su à la seconde où je t’ai regardée.
— Comment ?
— D’abord parce que tu es le vrai portrait de ta mère. J’avoue avoir eu quelques secondes d’hésitation parce que tes cheveux sont plus pâles que les siens et aussi parce que tu as l’air un peu plus jeune que l’âge que je savais que tu avais. Mais de toute façon, dès que j’ai perçu ton sale caractère, j’ai eu la confirmation que tu étais bien la fille de Jack.
— Pardon ! s’offense-t-elle.
— Jack disait souvent que sa fille Charlie avait hérité de la beauté de sa mère, mais qu’elle avait récolté son sale tempérament à lui !
Charlie ne peut s’empêcher de sourire. Elle a souvent entendu son père le lui dire. Christopher est debout devant elle à lui parler de son défunt père et soudainement ce policier arrogant ne lui semble plus être un étranger.
— Mon père avait de bons mots pour toi, je cherche à comprendre pourquoi.
Christopher ne sourit pas, mais ses yeux, eux, semblent le faire.
— Va te coucher au lieu de m’insulter !
Charlie se retourne pour se rendre dans la salle de bain pour faire un brin de toilette. Quand elle en sort, Christopher est au téléphone. Il lui jette un petit coup d’œil en souhaitant bonne nuit à la personne à qui il s’adresse. Charlie se dirige vers sa chambre, appuie sur l’interrupteur de la lumière et referme sa porte. Elle se glisse rapidement sous ses couvertures. Tout en retirant ses vêtements, elle repasse sa soirée en boucle. Elle qui pensait se retrouver dans les bras de Dylan a maintenant un invité sur son canapé. Et quel invité !
Étant donné que les deux victimes étaient connues pour être très actives sexuellement, il pense que Katriana les a attrapées dans son filet en utilisant sa meilleure arme, son sex-appeal. Jonathan connaît bien ce genre de femme, celle qui balance la tête pour vous obliger à respirer son parfum, qui cambre les reins pour exhiber sa poitrine, qui se tortille sur sa chaise pour que vous puissiez l’imaginer se mouvoir sur vous. Katriana agit exactement de cette façon sur le film. Le visage illuminé de Collins ne laisse aucun doute, il est excité par elle, il veut la posséder et il la suivra n’importe où pour qu’elle se donne à lui. Même sur un chemin de campagne, à l’abri de tous les regards. Surtout sur un chemin de campagne, à l’abri de tous les regards.