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Citation de Partemps


Le monde des hommes.

A. Yen-Hoei, le disciple préféré, demanda un congé à son maître K’oung ni (Confucius). ... Pour aller où ? demanda celui-ci. — A Wei, dit le disciple. Le prince de ce pays est jeune et volontaire. Il gouverne mal, n’accepte aucune observation, et fait mourir ses sujets pour peu de chose. Sa principauté est jonchée de cadavres. Son peuple est plongé dans le désespoir... Or je vous ai entendu dire bien des fois, qu’il faut quitter le pays bien ordonné, pour aller donner ses soins à celui qui est mal gouverné. C’est aux malades que le médecin va. Je voudrais consacrer ce que j’ai appris de vous, au salut de la principauté de Wei. — N’y va pas ! dit K’oung ni. Tu irais à ta perte. Le grand principe est qu’on ne s’embarrasse pas de soucis multiples. Les sur-hommes de l’antiquité ne s’embarrassaient jamais d’autrui au point de se troubler eux-mêmes. Ils ne perdaient pas leur temps à vouloir amender un brutal tyran. ... Rien de plus dangereux, que de parler avec insistance de justice et de charité à un homme violent, qui se complaît dans le mal. Ses conseillers feront cause commune avec lui, et s’uniront pour t’intimider. Si tu hésites ou faiblis, ils triompheront, et le mal sera pire. Si tu les attaques avec force, le tyran te fera mettre à mort. C’est ainsi que périrent jadis le ministre Koan-loung-p’eng mis à mort par le tyran Kie, et le prince Pi-kan mis à mort par le tyran Tcheou. Tous deux, pour avoir pris le parti du peuple opprimé, contre des princes oppresseurs. Jadis les grands empereurs Yao et U ne réussirent pas à persuader des vassaux avides de gloire et de richesses ; ils durent en venir à les réduire par les armes. ... Or le prince actuel de Wei est un homme de la même espèce. Sur quel ton lui parleras-tu, pour le toucher ? — Je lui parlerai, dit Yen-Hoei, avec modestie et franchise. — Tu perdras ta peine, dit K’oung-ni. Cet homme est plein de lui-même. C’est de plus un fourbe consommé. Le mal ne lui répugne pas, la vertu ne lui fait aucun effet. Ou il te contredira ouvertement ; ou il feindra de t’écouter, mais sans te croire. — Alors, dit Yen-Hoei, conservant ma droiture intérieure, je m’accommoderai à lui extérieurement. Je lui exposerai la raison céleste, qui le touchera peut-être, puisqu’il est, comme moi, un fils du ciel. Sans chercher à lui plaire, je lui parlerai avec la simplicité d’un enfant, en disciple du ciel. Si respectueux que personne ne puisse m’accuser de lui avoir manqué le moins du monde, je lui exposerai doucement la doctrine des Anciens. Que cette doctrine condamne sa conduite, il ne pourra pas m’en vouloir, puisqu’elle n’est pas de moi. Ne pensez-vous pas, maître, que je puisse corriger ainsi le prince de Wei ? — Tu ne le corrigeras pas, dit K’oung-ni. Cela, c’est le procédé didactique, connu de tous les maîtres, et qui ne convertit personne. En parlant ainsi, tu n’encourras peut-être pas de représailles, mais c’est là tout ce que tu obtiendras. — Alors, demanda Yen-Hoei, comment arriver à convertir ? — En s’y préparant, dit K’oung-ni, par l’abstinence. — Oh ! dit Yen-Hoei, je connais cela. Ma famille est pauvre. Nous passons des mois, sans boire de vin, sans manger de viande. — C’est là, dit K’oung-ni, l’abstinence préparatoire aux sacrifices. Ce n’est pas de celle là qu’il s’agit, mais bien de l’abstinence du cœur. — Qu’est-ce que cela ? demanda Yen-Hoei. — Voici, dit K’oung-ni : Concentrer toute son énergie intellectuelle comme en une masse. Ne pas écouter par les oreilles, ni par le cœur, mais seulement par l’esprit. Intercepter la voie des sens, tenir pur le miroir du cœur ; ne laisser l’esprit s’occuper, dans le vide intérieur, que d’objets abstraits seulement. La vision du principe exige le vide. Se tenir vide, voilà l’abstinence du cœur. — Ah ! dit Yen-Hoei, je ne savais pas cela, c’est pourquoi je ne suis qu’un Yen-Hoei. Si j’atteignais là, je ne serais plus Yen-Hoei ; je deviendrais un homme supérieur. Mais, pratiquement, peut-on se vider à ce point ? — On le peut, dit K’oung-ni, et je vais t’apprendre comment. Il faut, pour cela, ne laisser entrer du dehors, dans le domaine du cœur, que des êtres qui n’aient plus de nom ; des idées abstraites, pas des cas concrets. Le cœur ne doit vibrer qu’à leur contact (notions objectives) ; jamais spontanément (émotions subjectives). Il faut se tenir fermé, simple, dans le pur naturel, sans mélange d’artificiel. On peut arriver ainsi à se conserver sans émotion, tandis qu’il est difficile de se calmer après s’être laissé émouvoir ; tout comme il est plus facile de ne pas marcher, que d’effacer les traces de ses pas après avoir marché. Tout ce qui est artificiel est faux et inefficace. Seul le naturel est vrai et efficace. Attendre un effet des procédés humains, c’est vouloir voler sans ailes ou comprendre sans intelligence. ... Vois comme la lumière qui entre du dehors par ce trou du mur s’étend dans le vide de cet appartement, et s’y éteint paisiblement, sans produire d’images. Ainsi les connaissances abstraites doivent s’étendre dans la paix, sans la troubler. Si les connaissances restées concrètes créent des images ou sont réfléchies, l’homme aura beau s’asseoir immobile, son cœur divaguera follement. Le cœur vidé attire les mânes, qui viennent y faire leur demeure. Il exerce sur les vivants une action toute-puissante. Lui seul est l’instrument des transformations morales, étant une pure parcelle du Principe, le transformateur universel. C’est ainsi qu’il faut expliquer l’action qu’exercèrent sur les hommes Yao et Chounn, après Fou-hi, Ki-kiu et beaucoup d’autres[1].


B. Autre discours de Confucius sur l’apathie taoïste. ... Envoyé comme ambassadeur par son maître le roi de Tch’ou au prince de Ts’i, Tzeu-kao[2] demanda conseil à K’oung-ni. Mon roi, lui dit il, m’a confié une mission très importante. Ce sera fatigant ; et puis, réussirai-je ? Je crains pour ma santé, et pour ma tête. En vérité, je suis très inquiet. ... J’ai toujours vécu sobrement, le corps sain et le cœur tranquille. Or, dès le jour de ma nomination comme ambassadeur, j’ai eu tellement le feu aux entrailles, que le soir j’ai dû boire de l’eau glacée, pour calmer cet embrasement intérieur. Si j’en suis là avant de partir pour ma mission, que sera-ce après ? Pour réussir, il me faudra passer par des inquiétudes sans nombre. Et si je ne réussis pas, comment sauverai-je ma tête ? Maître, quel conseil pouvez-vous me donner ? — Voici, dit K’oung-ni. La piété envers les parents, et la fidélité à son prince, sont les deux devoirs naturels fondamentaux, dont rien ne peut jamais dispenser. Obéir à ses parents, servir son prince, voilà les devoirs de l’enfant et du ministre. Et cela, en toute chose, et quoi qu’il arrive. Il faut donc, en cette matière, bannir toute considération de peine ou de plaisir, pour n’envisager que le devoir en lui-même, non comme une chose facultative, mais comme une chose fatale, pour laquelle il faut se dévouer, au besoin jusqu’au sacrifice de la vie et à l’acceptation de la mort. Ceci posé, vous êtes tenu d’accepter votre mission, et de vous dévouer à son accomplissement. ... Il est vrai que le rôle d’un ambassadeur, d’un entremetteur diplomatique, est un rôle difficile et périlleux. Mais cela, le plus souvent, parce que le personnage y met du sien. Si le message est agréable, y ajouter des paroles agréables indiscrètes ; si le message est désagréable, y ajouter des paroles désagréables blessantes ; poser, hâbler, exagérer, outrepasser son mandat : voilà ce qui cause d’ordinaire le malheur des ambassadeurs. Tout excès est funeste. Aussi est-il dit, dans les Règles du parler : Transmettez le sens de ce que vous êtes chargé de dire, mais non les termes, si ces termes sont durs. A fortiori, n’ajoutez pas gratuitement des termes blessants. Si vous faites ainsi, votre vie sera probablement sauve. ... Généralement, c’est la passion, qui gâte les choses. Les lutteurs commencent par lutter d’après les règles ; puis, quand ils sont emballés, ils se portent de mauvais coups. Les buveurs commencent par boire modérément ; puis, échauffés, ils se soûlent. Le vulgaire commence par être poli ; puis, avec la familiarité viennent les incivilités. Beaucoup d’affaires, d’abord mises au point, sont ensuite exagérées. Tout cela, parce que la passion s’en est mêlée. Il peut en arriver de même aux porteurs de messages. Malheur ! s’ils s’échauffent pour leur sujet. Ils ajouteront du leur, et il leur en cuira. Il en est de l’orateur qui s’émeut, comme de l’eau et du vent ; les vagues s’élèvent aisément, les discours s’enflent facilement. Rien n’est dangereux comme les paroles produites par la passion. Elles peuvent en venir à ressembler aux fureurs de la bête aux abois. Elles provoquent la rupture des négociations, la haine et la vengeance. Aussi les Règles du parler disent-elles : N’outrepassez pas votre mandat. N’insistez pas trop fort, par désir de réussir. Ne tâchez pas d’obtenir plus que vous ne devez demander. Sans cela, vous ne ferez rien de bon, et vous vous mettrez en danger. Mais, toute passion étant évitée, faites votre devoir, le cœur dégagé. Advienne que pourra ! Aiguillonnez-vous sans cesse, en vous demandant : comment ferai je pour répondre aux bontés de mon prince ? Enfin soyez prêt à faire le sacrifice le plus difficile, celui de la vie, s’il le faut. Voilà mon conseil.
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