Je ne me trouve pas intelligente, et je n'ai jamais trouvé les zèbres que j'ai rencontrés bien plus intelligents.
Empathique, hypersensible, créatif, curieux, la pensée en arborescence, cela suffit déjà amplement pour un zèbre.
Bien sûr, ceux qui arrivent à gérer tout cela peuvent en tirer un grand bénéfice et devenir bien vite des sortes de génies, mais je ne pense pas que cela soit le cas pour beaucoup. Je ne connais aucun génie, juste des zèbres.
Ma mère me dit que j'ai tendance à m'attacher aux gens bien trop vite. Je ne me méfie pas, je manque de discernement. Trois discussions, un éclat de rire et je les considère comme des gens extraordinaires, sans défauts. Je les considère comme des amis chers. Et quand je m'attache, je ne fais pas semblant. J'admire et estime énormément. Je me confie entièrement. Du coup, lorsqu'il m'apparaît qu'ils n'étaient pas aussi attachés à moi que je l'étais à eux, je me sens trahie et abusée. C'est arrivé un grand nombre de fois, et cela arrivera sans doute encore de nombreuses autres fois. Je tombe toujours dans le panneau.
Sur le moment, je ne me sentis pas particulièrement heureuse d'être surdouée. Si j'étais surdouée, je n'allais pas, juste parce que je l'apprenais, devenir soudainement un génie. Mais je ressentis un immense soulagement. Enfin, un nom était donné à mon mal-être. Un nom sous lequel je pouvais me reconnaître. On ne pataugeait plus dans le noir, on savait ce que j'avais, ce que j'étais, pourquoi je souffrais depuis tant d'années. Pourquoi je pense comme ça ? Pourquoi je suis différente ? Pourquoi je me sens si seule ? Toutes ces questions trouvaient enfin une réponse. Je n'étais plus l'incompréhensible boule de symptômes et d'angoisses qui rendait les médecins fous : j'étais surdouée. Et enfin il existait un univers dans lequel j'étais normale. Savoir que tant d'autres enfants étaient dans mon cas était rassurant. Je n'étais pas unique ou bizarre, il y en avait d'autres comme moi, des gens qui me comprenaient, des gens qui pensaient comme moi. La sensation d'appartenir à un groupe, à une minorité peut-être, mais d'appartenir à quelque chose. De là est venue ma véritable joie.
Mais ce n'est pas ce que je veux. Pourquoi toujours cette barrière? Pourquoi ne puis-je jamais être avec eux ? Tantôt je suis l'actrice et eux les spectateurs et tantôt c'est l'inverse ? Il y a toujours cette barrière invisible qui me sépare d'eux. Quelle est cette barrière ? Ils sont d'un côté et moi de l'autre, j'ai beau tout faire, je ne la franchis jamais. Il m'a fallu des années pour comprendre. Cette barrière, c'est la normalité.
Quand je regarde les jeunes de mon âge dans la cour du collège, je me dis que j'ai un problème. Ils sont tous là, à rire et à plaisanter, comme si de rien n'était. Ils sont simplement bien. Ils profitent du moment présent. Du prof absent, du soleil cet après-midi, de l'autorisation des parents de rentrer tard à la soirée de l'un, du nouveau petit ami d'une autre. C'est si naturel, si normal. Je me demande pourquoi moi, je n'en suis pas capable.
Alors, c'est quoi un surdoué ? C'est quelqu'un dont le cerveau pense différemment. Pas plus intelligent. Pas plus bête. Juste différent. Ce qui le mène à bien des malheurs, notamment la solitude et le rejets des autres sans même que ceux-ci en aient conscience.
Un décalage perpétuel avec tous les enfants de mon âge.
Enprimaire, cela restait léger malgré quelques souvenirs douloureux.
Cela s'est accentué au collège avec l'arrivée de la puberté et de l'adolescence quand les jeunes veulent tous se rassembler.
Tout le monde veut être différent, mais étrangement ceux qui le sont rêvent de devenir normaux. Sans doute vouloir être différent est un désir normal. Ce qui est vraiment différent, c'est de vouloir être normal.
J'ai rencontré beaucoup de personnes dans mon cas, plus jeunes même parfois, qui semblaient vivre davantage par automatisme que par envie. Ils vivaient parce qu'ils n'avaient rien de mieux à faire pour l'instant. Mon histoire est si banale en fait, c'est sans doute ce qui la rend effrayante.
Un surdoué est huypersensible ! Il ressent tout au centuple, ses sentiments débordent en lui pour des choses qui paraissent si dérisoires aux autres.