Citations de A. B. Guthrie (56)
Le fusil se cabra contre l'épaule de Boon, lézardant le silence. La balle produisit un bruit sourd et un petit nuage de poussière s'échappa du bison comme s'il avait été frappé par un caillou. Pendant un instant, il resta immobile, inactif et triste, et on aurait pu croire qu'il ne s'était rien passé, puis il partit vers la sortie du ravin, dans un galop pataud. Boone l'observait. Il entendit un autre claquement à côté de lui et vit l'animal plier les genoux et tomber en avant, sur le museau. Il bascula sur le côté en agitant les pattes, son souffle ressemblait à un ronflement.
Boone se rapprocha.
-C'est un sacré beau pays, là-haut, il paraît.
Summers le regarda et sa bouche esquissa un sourire.
-Sauvage. Sauvage et beau, comme une vierge. Quoi que tu fasses, tu as le sentiment d'être le premier à le faire.
Les trois vieux étaient assis, fumaient, lâchaient un mot, puis se taisaient pour entendre ses échos, comme s’ils possédaient l’éternité pour dire ce qu’ils avaient à dire.
-En route vers l'ouest?
-Je me tâte, j'ai l'esprit qui va et vient, comme le chien qui court aboyer d'un côté et fait demi-tour pour aboyer de l'autre, sans plus savoir ce qui lui fait peur.
La Teton était un cours d'eau rapide, comme si elle était impatiente de rejoindre la Marias et de se jeter dans le Missouri, elle aimait aller vite pour le plaisir de filer et de confluer. Elle était comme un être jeune, plein de fantaisie et d'énergie, attiré par l'ailleurs, mais son flot limpide se chargerait de boue et finirait par grossir des eaux plus lourdes, qui serpenteraient paresseusement jusqu'à la mer.
Le vent joua avec les franges usées du vêtement de peau de l'homme, puis l'abandonna pour aller tournoyer dans l'herbe, faisant naître une spirale de poussière.
Summer pulled up and swung his leg from across his horse and stood looking down at the plains, which seemed close but would take a spell to get to with the going like it was. Though spring was coming on, Summers still wore his old capote with the Hood that came up from it and went over his head. He reached inside and got out a piece of roasted liver and began to munch while his eye traveled north and south and back again.
Dick Summers songeait avec ennui que tous ces gens qu'il avait à conduire étaient bien différents des hommes de la montagne. Aucun d'eux ne savaient jouir paisiblement du temps présent. Ils s'acharnaient à vouloir tirer quelque chose de la vie, comme si l'on pouvait la saisir à pleines mains et la modeler à sa convenance à force de calculs et de combinaisons. Ils ne parlaient jamais de castors, de whisky ni de squaws en s'abandonnant à la douceur du soir. Ils ne parlaient que de récoltes, de force hydraulique et de bénéfices, sans accorder autrement d'importance au soleil et au verdoiement des jeunes pousses qu'à un décor vague et imprécis sur le chemin de ce qu'ils voulaient être ou avoir. Plus tard, certains d'entre eux regarderont peut-être en arrière et se demanderont comment toutes ces choses merveilleuses ont pu leur échapper (...).
Mais c'est toujours l'insouciance passée qui fait l'amertume des souvenirs. On ne peut pas revenir sur ses pas.
Tout bien considéré, il ne partirait pas pour l’Oregon. et pourtant, il aurait été fier de participer à l’aventure, d’agrandir le territoire des États-Unis et aussi de barrer la route aux Anglais. Mais, somme toute, le Missouri était un bon pays. Si l’on n’y engraissait guère, du moins pouvait-on y vivre, à condition de travailler.
- Saveurs délicates et odeurs de cul ne font pas bon ménage. C'est même carrément dégoutant.
- Et pourtant, c'est naturel. Summers prit le temps de réfléchir pour bien dire ce qu'il voulait dire: Qu'Est-ce que tu préfères, Hig, quelques rares péteurs ou beaucoup de culs serrés?
Higgins bondit sur ses pieds et fit e salut militaire.
- Oui mon général, j'ai parfaitement compris,, mais il est de mon devoir de vous avertir que nous n'avons ni les hommes ni le matériel pour riposter.
Summers ne put s'empêcher de rire.
- Soldat, vous pouvez vous rasseoir. Il n'est pas question de les combattre. L'idée est juste d'aller là où ils ne sont pas.
- Juste pour y gouter avant que le pays soit submergé,, hein?
- Avant qu'il soit domestiqué.
- Ca me va.
Un pays libre s'achète, très cher quelquefois. Une chance de mieux vivre se gagne, et se gagne avec peine. Une nation ne saurait grandir si personne n'ose. Certes le prix était élevé, mais qui le trouverait excessif, en dehors de ceux qui en ont fait l'appoint de leur cœur et de leur chair?
Il s'appelait Brownie Evans, il avait dix-sept ans et il partait pour l'oregon. Ces mains qui tenaient les rênes étaient ses mains, ce mécanisme d'os, ce mécanisme d'os, de nerfs et d'ongles cassés était fait pour obéir aux ordres de son cerveau, comme ces pieds dans leurs bottes Nelson, ces bras dans les manches de la chemise et ces jambes dans leur culotte de droguet. Dans sa poitrine et dans sa tête palpitait une vie secrète, une vie à lui tout seul, pétrie de pensées que personne n'avait sans doute jamais eues et de sensations que personne n'avait peut-être jamais éprouvées, tant elles étaient folles...
Non, pensa Summers, on n'aime pas recevoir moins que ce qu'on attendait, mais on est bien obligé de l'accepter et de le prendre. C'est sans doute là qu'est la grande leçon de la vie. S'attendre toujours à la moitié de ce que l'on espère.
-Je t'ai déjà parlé du vieux Doc Longeway là-bas en Iowa? demanda-t-il. Pendant une bagarre, le Doc met un type à terre, se met à cheval sur lui et lui colle sa raclée, sans se préoccuper des suppliques de l'homme. Alors un témoin dit à Doc: "Arrête! il a dit -assez-." Doc s'arrête, mais juste le temps de répondre: "Je sais, mais c'est un sale menteur, faut pas croire un mot de ce qu'il dit."
— Je ne m'intéresse pas aux castors. Je vous l'ai dit. Ce qui m'intéresse, c'est le développement, l'avenir. Vous semblez penser, parce que les Indiens n'ont pas su tirer profit de ces immenses territoires de l'Ouest, que personne ne peut y arriver.
— Ils vivent dans ce pays. Ils en vivent et ils s'amusent, répondit Boone. Alors, qu'est-ce que vous voulez, nom de Dieu ?
Peabody prit une profonde inspiration, comme s'il voulait être sûr d'avoir assez de souffle pour soutenir son argument :
— Quand un pays qui pourrait subvenir aux besoins d'un grand nombre de personnes subvient aux besoins d'un si petit nombre, bon sang, c'est que ses habitants n'ont pas bien utilisé ses ressources naturelles.
Ses yeux écarquillés se posèrent sur Boone, enthousiastes et polis, mais nullement effrayés.
— Cet échec, reprit-il, justifie une invasion, pacifique si possible, brutale si nécessaire, par des gens qui peuvent et sauront mettre à profit cette opportunité.
— Et moi, je dis que c'est des foutaises.
— Si vous vivez assez longtemps, vous découvrirez que vous avez tort. Vous ne le voyez donc pas ? Nous nous développons. Cette nation grandit. De nouvelles occasions vont se présenter, sans commune mesure avec tout ce qui a pu exister dans le commerce des fourrures. Le transport, le commerce, l'agriculture, l'exploitation forestière, la pêche, la terre ! Je ne peux même pas tout imaginer.
[...] ... C'était une vie agréable, la vie des Piegans. Il y avait la chasse au bison et parfois des escarmouches avec les Crows et les Sioux, ou les Nez-Percies, les Nez-Percés, qui traversaient les montagnes pour chasser les bisons des Blackfeet car il n'y en avait pas chez eux. L'été, le sommeil réchauffait un homme et l'hiver lui glaçait les os. Alors il restait près du feu, il mangeait de la viande séchée et du pemmican en cas de besoin, et il regardait souvent le ciel à l'Ouest pour guetter les bancs de nuages bas indiquant l'arrivée du vent chaud. La vie s'écoulait, jour après jour, depuis cinq saisons maintenant, et les journées s'enchaînaient, se fondaient les unes dans les autres. Quand on regardait en arrière, c'était comme si le temps se mordait la queue et continuait à aller de l'avant en venant du passé et à revenir en arrière, si bien que la veille ressemblait au lendemain. Ou peut-être que le temps n'avançait pas du tout et qu'il demeurait au contraire immobile pendant que le corps s'y déplaçait. Un homme chassait ou se battait, puis il s'asseyait pour fumer et parler le soir, et au bout d'un moment le silence s'abattait sur le campement, à l'exception des chiens qui se mettaient en tête de répondre aux loups, alors il rentrait dans sa hutte pour se coucher auprès de sa femme, et il ne pouvait rien demander de plus. Il était heureux de vivre ainsi, le ventre plein, libre, l'esprit en paix, avec une femme qui lui convenait.
Bonne ne croyait pas que Jim pourrait cesser de se ronger les sangs comme lui, car il n'avait jamais trouvé une squaw qui était bonne avec lui. Jim voulait toujours partir pour aller quelque part, à Union, à Pierre ou Saint-Louis. Boone avait énormément voyagé, mais pas pour aller dans des endroits où il y avait beaucoup de gens, il allait dans les montagnes ou il traversait le territoire britannique pour atteindre le Canada, où vivaient les Gros-Ventres quand ils étaient sédentaires. Il aimait les régions inhabitées, avec juste quelques Indiens et sa squaw.
Quand Jim revenait d'un voyage, il avait la bouche pleine de ces nouveaux forts qui se construisaient le long de la rivière, des nouveaux colons et des fermiers du Missouri qui vantaient les mérites de l'Oregon et de la Californie, comme si les montagnes étaient un endroit idéal pour les charrues, les cochons ou le maïs. Quand Jim se lançait dans ses tirades, Boone l'interrompait, il ne voulait pas perdre son temps avec ces idioties qui vous excitaient intérieurement.
Jim semblait toujours content de revenir, même s'il repartait toujours. ... [...]
- C’est pas au veau de beugler comme un bœuf. Fourre pas ton long nez dans cette histoire, vieille femme.
But except for one goddam blind-streaming, blind-screaming, goddam ground-blizzard day when a man had to feel his way back from taking a leak, the Indians kept going, the older ones hunched deep in their loose fittings of blankets and skins and two little ones riding in a skin hammock hung between skid poles hitched to a poor-as-dirt pony. Now and then the two nites that would make lice if they lived long enough poked their heads from under the Buffalo robes, silent and round-eyed, and ducked back under cover at the slash of the wind.
En haut, il y avait le ciel, peint en bleu, en dessous de lui, la terre brune qui ondulait, et lui se trouvait entre les deux, avec un sentiment de liberté sauvage dans la poitrine, comme si c’étaient le plafond et le plancher d’une maison qui n’appartenait qu’à lui.
- Par moments j'ai plus envie de les voir. Il y a des choses qu'ils démolissent.
- Quoi par exemple ?
- Par exemple la manière de vivre. Regarde. Les Indiens, ils s'étaient organisés plutôt bien. Ils ne tuaient que pour le nécessaire. Ils ne comptabilisaient pas ce qu'ils possédaient, à l'exception des chevaux volés, et tous volaient des chevaux quand ils le pouvaient. Cela ne leur venait pas à l'esprit de délimiter un morceau de terrain et de dire "c'est à moi". La terre appartenait à tous
P. 45 (édition Babel)