Pour ne pas lui attirer des ennuis avec la police de sûreté, Salim al-Kateb, 27 ans, n'a pas donné de nouvelles à sa fiancée depuis deux longues années. Aussi, lorsqu'il apprend l'existence d'un réseau clandestin d'envoi de courrier, il n'hésite plus…
Parti d'Irak vers la Libye pour fuir le régime de Saddam Hussein, car coupable d'avoir lu des livres interdits durant ses études, le jeune homme a tout laissé derrière lui. du jour au lendemain, il s'est retrouvé emprisonné, torturé. Pour éviter le pire, l'exil est apparu comme la seule issue possible. C'est depuis « Khadafi City » que sa voix s'élève, avec en écho celles d'autres personnages qui, sans le connaitre, ont tous un rôle crucial à jouer dans son histoire. Comme autant de réponses à sa lettre, un chauffeur de taxi, le directeur d'une agence de voyage, un policier ou encore une femme au foyer prennent tour à tour la parole. Ils dessinent, chacun à leur mesure, le portrait de l'Irak, de la Libye, de la Jordanie, de l'Egypte, à travers des anecdotes tour à tour drôles, tragiques ou rocambolesques.
Je ne connaissais ni la maison d'édition Piranha, ni l'auteur et n'avais lu qu'un seul livre se passant en Irak (le magnifique Yellow Birds, de Kevin Powell). D'où ma sélection de ce roman pour l'opération Masse Critique de Babelio. Le bilan est plutôt positif ; j'ai apprécié la mise en page de l'éditeur, épurée et claire. La couverture, avec son aubergine « tatouée », ne manque pas d'accrocher l'oeil. J'ai passé un agréable moment, car l'humour est présent de manière discrète, mais constante, dans chaque récit. Un humour souvent noir, irrévérencieux, un pied de nez aux bourreaux de tous ordres. A ce titre, la scène du « putois religieux » est édifiante. Tout en gardant beaucoup de sérieux dans ses propos, l'auteur colore son récit de ces petites piques, drôles et cyniques. Cet humour, un tantinet fataliste, joyeusement désespéré, m'a surprise, car il m'était assez inconnu. C'est, à mon sens, la vraie force de ce roman qui se lit bien vite (133 pages). L'autre aspect marquant de la Lettre à la république des aubergines réside dans une description sans concessions des maux du Moyen-Orient. La guerre Iran-Irak, puis celle avec les Etats-Unis, les tensions entre chiites et sunnites, la figure des dictateurs « locaux » (Saddam Hussein, Khadafi ou el-Assad) et les dérives d'un système globalement corrompu sont évoqués au fil des sept chapitres (chiffre hautement symbolique).
Il m'a cependant manqué quelques clés pour mieux comprendre ; Abbas Khider s'adresse à un public dont il semble supposer des connaissances géopolitiques plus grandes que les miennes… C'est peut-être d'ailleurs la seule chose qui m'a gênée, cette impression de rester un peu sur ma fin. Je n'aurais pas dit non à une centaine de pages en plus. J'ai parfois eu le sentiment que l'auteur oubliait de nous raconter une histoire, plus préoccupé par le souci de donner à voir son pays et ses voisins. En prenant le prétexte littéraire de la lettre et en donnant la parole aux acteurs de l'acheminement de cette dernière, il y avait, me semble-t-il, matière à beaucoup plus. Cependant, je garderais en mémoire le souvenir de ces personnages qui disent toute la complexité de l'être humain. A l'image de ce colonel corrompu, à la solde du régime, qui se désole de ne pas passer assez de temps avec sa femme et ses petites filles, « les trois femmes de sa vie ». Comme quoi, on peut être surnommé « Ahmed le Loup » (pour sa capacité à faire avouer des suspects lors d'interrogatoires) et n'être qu'un agneau chez soi…
Lettre à la république des aubergines est un roman court, qui tente d'embrasser des questions vastes. Un léger déséquilibre entre l'intention visible de l'auteur et le résultat final pourrait frustrer certains lecteurs, avides d'en savoir plus. Il constitue néanmoins un bon préambule pour approcher les questions fondamentales du Moyen-Orient d'avant l'an 2000.
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