Et vivaient ma haine et mon angoisse, plus précieuses que le sang. Il y avait assez de haine en moi pour décimer le monde entier ; j'avais vécu dans l'injustice et j'avais appris à etre injuste à mon tour. En me portant sur ses épaules le père m'avait enseigné la misogynie. En me portant sur son dos ma mère m'avait prodigué le mépris du mâle. Tiraillé entre ces sentiments ambivalents, j'étais devenu misanthrope malgré moi.
«L'amour n'est pas un péché, dit-on. Mais il faut aimer au grand jour et dans la joie. Ce n'est un péché que lorsqu'on se cache et qu'on est malheureux.»
"Chez nous le mâle respire, la femelle transpire et les enfants expirent. C'est une loi de notre nature ; la loi de l'inégalité et de l'injustice."
Le père n'aimait plus Mi [son épouse]. D'ailleurs, l'avait-t-il jamais aimé? L'amour pour lui était une faiblesse, c'est pourquoi il n'aimait pas ses enfants, il n'aimait pas les autres, il n'aimait rien de ce qui valait la peine d'être aimé ni de ce qui pouvait être aimé. Il aimât son singe ; passe-droit grotesque mais futé, inventé à dessin pour gruger davantage.
Je suis toujours surpris d'entendre certaines personnes parler du «bon vieux temps» et se rappeler avec nostalgie les jours heureux de leur enfance à l'école. Il n'y a pas d'école heureuse. Le «bon vieux temps», si on se le rappelait avec sincérité, on s'apercevrait que c'était un enfer.
La liberté coutait cher. Mais rien ne pouvait faire reculer ces hommes [les Marocains] qui avaient cessé de penser à eux le jour où leur décision avait été prise. Leur espoir? Permettre à leurs enfants de voir le jour dans un monde où le soleil se lèverait pour eux, où les oiseaux chanteraient, où les étoiles vrilleraient pour eux. Avec leur foi et leur courage, ils avaient dit «ça suffit» au Pouvoir colonialiste. Et le pouvoir avait répondu par un des crimes les plus sanglants de toute l'histoire coloniale. «Ce n'était pas aussi grave qu'en Algérie, répétaient des voix. Il ne fallait tout de même pas exagérer.» Et moi, je demande : centaines ou milliers de morts, où est la différence?
Je suis de ce voyage
le tien
à vivre en errance
en avance de mon temps
de mon lieu
de ma naissance
enroulé dans la nacre du silence
je suis de ce rêve
à rêver de vide et d'inconnu
d'écriture en promesse de Désert
que j'écoute
dans la béatitude des mots
ces signes que nul n'efface
le doigt pointé
dans la direction de nos traces
de nos cris
nos oublis
Toute page de sable
Ecrite à l'eau des ruisseaux
Entre dunes
Et mirages
Plus loin que le soir
En signe de rites magiques
Dans la pénombre masquée des saisons
Ton père avait onze ans à l'époque et aucune possibilité de penser à son avenir. Anticiper est d'ailleurs un blasphème. L'avenir appartient à Dieu seul. "Tu n'iras que là où Allah voudras bien que tu ailles."

- Il est des jours où je ne sais pas parler, où je ne sais pas penser non plus. Je ne suis qu'une parole, pas un faiseur de miracles. J'ai, au fond de moi, des mots pour dire l'exil et la nostalgie, pour raconter les blessures dites ou non dites d'une histoire sombre, sans visage. La mort n'est pas mon domaine. Votre problème est compliqué, car c'est le problème de tout le monde. Et vous refusez de ressembler au commun des mortels. La peur bleue du lendemain hante les esprits fermés au sourire. Je suis une parole dans un corps multiple, à la mémoire absente et à l'histoire déchirée. Votre problème! Supprimez tout le monde : comme ça, il n'y aura personne pour vous rappeler votre propre mort. Rester seul. Oublier la mort puisqu'il n'y aura plus de morts à attendre. Resteront l'angoisse, la solitude et la culpabilité! Je suis une blessure dans les mémoires, le regard chargé de haine et de quelques images flottantes. Mon corps usé, enfermé dans une peau étroite, devine l'avenir tracé en pointillés sur une terre sans visage, sans nom et sans histoire...