Vendredi 8 mai 2009
Abdelkader Djemaï, romancier franco-algérien, vivant en France depuis 1993 après avoir dû fuir la guerre civile en Algérie, évoque l'exil contraint de l'écrivain, à travers la figure d'Albert Camus et sa propre existence. Il est l'auteur de Camus à Oran (1995) ; dernier roman paru : Un moment d'oubli (Seuil, 2009) dans le cadre du banquet de printemps 2009 intitulé " Exils et frontières"
Abdelkader Djemaï : Né à Oran en1948, Abdelkader Djemaï a été enseignant, journaliste et écrivain en Algérie.
Il arrive en France en 1992, devant fuir la guerre civile algérienne, car il est menacé de mort.
Son expérience lui inspire ses nombreux romans et récits.
Son enfance et la guerre civile en Algérie constituent les thématiques de plusieurs de ses romans ; Eté de cendres (1995), Sable rouge (1996), 31, rue de l'Aigle (1998) qui forment une trilogie autour de la tragédie algérienne, ou encore Camping (2002). de même, le roman-photo : Un taxi vers la mer (2007) sur l'enfance en Algérie.
Ensuite le déracinement, lexil et l'errance inspirent : Gare du Nord (2003), le Nez sur la vitre (2005) et enfin Un moment d'oubli (paru au Seuil cette année).
La littérature française constitue pour lui un point d'appui essentiel. Et notamment la figure d'Albert Camus qui a lui-même vécu à Oran, est déterminante. Il a écrit Camus à Oran.
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À partir de ce jour-là, une sorte de pacte silencieux s’établit entre eux. C’était comme si ces huit lettres semées, graine après graine, par la main de sa mère le mettaient dans l’obligation d’ajouter, pour elle, d’autres lettres, d’autres mots, d’autres phrases qu’elle ne pouvait pas écrire, elle qui ne s’exprimait qu’en darija, l’arabe populaire. Comme si elle lui demandait de continuer à bien apprendre à lire et à écrire à l’école pour, qui sait, plus tard, raconter ce livre invisible écrit par les petites gens, les analphabètes, les pauvres et les sans-voix. Un livre auquel, comme ses voisines et tous les siens, elle appartenait modestement.
Dans la rumeur bourdonnante du port et la brise rafraîchissante qui, ce matin-là, venait du large, l’horizon, derrière la longue jetée de pierre, se présentait à lui telle la ligne de chance de la paume d’une main fertile. Il était une invitation au voyage, une porte ouverte à l’aventure. C’était comme si ce paysage d’eau, de ciel et de soleil ressemblait à la couverture d’un livre, un livre nouveau qu’il lui faudrait un jour ouvrir.
Tôt, chaque matin, son père se rendait sur les chantiers de terrassement ou de construction. Sa mère lui servait du café moulu qu’elle avait, pour la première fois acheté en paquet. Jusque-là, elle faisait griller les grains dans une poêle à frire avant de les écraser dans le mortier à l’aide du pilon en fonte.
Pour les fellahs,le plus dur, c’était l’hiver, qui les trouvait encore plus démunis, encore plus vulnérables. Il leur fallait affronter l’air glacial qui brûlait leurs visages et leurs mains, résister aux pluies qui s’abattaient en trombes en ruinant souvent leurs gourbis. Dans cette lutte inégale, ils devaient surtout faire face à la boue épaisse et grasse qui clapotait sous leurs pieds mal chaussés. Parfois, ils les enveloppaient de chiffons ou d’herbe desséchée.
Dans le pays tout entier, il n’y avait pas de fleuves et les oueds n’étaient pas nombreux, mais le vent ne se faisait jamais oublier. Violent et invincible, il menaçait les masures, soulevait, dans la plaine et sur les coteaux, des nappes de poussière jaune ou rouge.
Il s 'était fait ecrire des lettres auxquelles , depuis longtemps .le fils ne répondait pas .Des mots arrachés a sa peine , a sa chair .C ' etait sa fille, la plus jeune de ses quatre enfants , qui les alignait précieusement sur le papier.
Il prendra donc demain l 'autocar pour voir le fils qui ne répond pas à ses lettres , des lettres qu 'il tenait lui-même à glisser dans la boîte ,la main confiante et le cœur serré .
Il n 'y a que les pères et les mères qui s 'affligent véritablement de la maladie de leurs enfants .
À son réveil, il retrouva une partie du décor qu'il avait quitté la veille: le kanoun, le soufflet en cuir, le mortier, les seaux, les bassines et les marmites. Mais il n'y avait pas le four d'Aïchouche, le poulailler grillagé et le petit enclos aux moutonx. Le puits à la margelle en pierres grises était, quant à lui, remplacé par une fontaine à la bouche étroite qui donnait, près des toilettes communes à la turque, une eau saumâtre. Mais surtout, il manquait le figuier et son ombre verte.
Nous ne pouvons pas dire avoir totalement oublié ce que nous nous souvenons d'avoir oublié
Saint Augustin, les confessions
Exergue du roman