« Les deux bouts de sa large ceinture alourdie d'une rangée de blancs cauris immaculés lui battent les mollets à la cadence de ses pas amples et réguliers. Ses grands pieds nus s'enfoncent profondément dans le sable chaud, soulevant une nuée d'insectes de toutes tailles et de toutes les couleurs.
Quand Baka apprit que des Blancs avaient envahi la terre des Noirs et qu'après avoir dévasté le pays des Djermas et mis à sac l'Arewa, ils se préparaient à marcher sur la terre des Aznas, il vendit précipitamment tout son stock de kolas et acheta un arc et un carquois bourré de flèches empoisonnées. Depuis, il marche, il marche jour et nuit pour arriver à temps à Lougou et avoir la joie et l'honneur de se battre aux côtés de la Sarraounia comme au bon vieux temps de leurs grandes amitiés. »
« Quand le père de la Sarraounia, qui fut son ami d'enfance, s'imposa aux Aznas par ses actions d'éclat contre les multiples rezzous touaregs venus du Nord, Dawa devint naturellement son confident, son guérisseur et son conseiller le plus écouté. Un soir de grande tornade, malgré toutes les vertus des herbes et la science de Dawa, la mère de Sarraounia, une belle et indomptable fille du kawar drainée par les vicissitudes de la guerre, mourut en couches laissant entre ses mains une minuscule enfant aux yeux de biche. »

« L'azawak est en effervescence. Un moutonnement de dunes rousses où naissent et meurent les mirages. Le lent roulement du vent de sable propage l'écho à l'infini. Chaque nouvelle galope, mille fois amplifiée par le téléphone targui. Sous une vaste tente de peaux de chèvres solidement fixée au sol par d'énormes clous de fer forgé, l'amenokal, guide incontesté des Aouellimidiens fiers et belliqueux, repose sur le flanc, langoureusement accoudé à la selle somptueuse de son méhari. Dans un geste d'une infinie douceur, il soulève son litham pour absorber une lampée sonore de thé vert à la menthe. Ce nectar, habituellement aussi doux que le miel, laisse aujourd'hui un goût amer qui râpe le palais et irrite la gorge. Il ne dissipe plus le tourment et l'angoisse. Une rumeur persistance court les dunes troublant la quiétude des 'hommes bleus'. Des hommes blancs, autres que leurs lointains cousins arabes sillonnent le pays des Noirs. Ils dévastent les hameaux et les villages, massacrent hommes et bêtes, tarissant ainsi leur principale source de ravitaillement. Ils marcheraient déjà sur la cité de la femme. »
« Malgré vos longs mois de colonie, vous ne savez pas encore que si ces gens nous respectent et nous obéissent au doigt et à l'œil, c'est parce qu'ils sont convaincus de notre supériorité morale et physique. Pour eux, nous sommes des petits dieux invulnérables. Nous n'avons peur de rien et rien ne nous atteint. Ils nous considèrent comme des êtres surnaturels, des êtres insensibles à la souffrance. »
« Cette nuit-là une forte tempête de sable souffla sur le petit hameau où campaient les Blancs et leur horde de mercenaires. Les zébrures infernales des éclairs et les grondements assourdissants du tonnerre ébranlèrent le ciel et la terre. D'énormes branches de tamaris arrachées par le vent s'abattirent sur les tentes qui s'effondraient comme des ballons privés d'oxygène. Le sable et la poussière envahirent les cases et les tentes. Ils s'acharnèrent sur les hommes hébétés et impuissants devant les éléments déchaînés de la nature. Ils emplirent les bouches, les oreilles, les yeux et les nez. Hommes et bêtes étouffaient, éternuant, toussant et crachant une poussière âcre et nauséabonde. Dans une obsédante obscurité, les yeux, remplis de sable impalpable, larmoyaient à torrent. Des bourrasques successives arrachaient les turbans, les chéchias et les pagnes, exposant les têtes aux rafales d'une extrême violence. »
« Loin des regards indiscrets des hommes, un groupe de femmes devise autour d'une grosse calebasse de riz à sauce de gombo parfumée au soumbala et rouge de piment si fort qu'à chaque bouchée une gorgée d'eau vient éteindre le feu de la langue. Ce sont les moussos des tirailleurs. »
« Une dizaine de Blancs fortement armés, traînant avec eux plusieurs centaines de sbires noirs qui ont trahi leurs rois et leurs tribus, assoiffés de sang et avides de richesses, investissent systématiquement et sans sommation les hameaux et les villages qu'ils brûlent sans pitié après avoir massacré les vieillards et les enfants. »
« Nous n'avons pas le même parler, nous n'avons pas les mêmes croyances, mais nous avons la même volonté : celle de vivre libre. [...] La terre azna est riche. […] Nos rivières sont poissonneuses. Vous pêcherez dans nos goulbis et vous ferez le maïs, l'igname et le manioc dans la tourbe fertile de nos cuvettes ».
« Elle usa plus d'une fois de l'arc et de la flèche pour se défendre ou assurer sa subsistance. Elle apprit le maniement de toutes les armes de guerre et de chasse. Elle connut le secret de la flèche à soufflet, du sabre courbe d'acier trempé et de la fronde à silex aussi terrible que la foudre du ciel. »
« Sarraounia, terrible, au bord de la transe, scande ces mots flamboyants qui retentissent comme un coup de tonnerre dans l'air serein du matin. Ses guerriers, galvanisés et surexcités jusqu'à la démence, répondent par une énorme clameur qui se répercute loin dans la brousse. »