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Critiques de Achille-Jules Dalsème (1)
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Le mystère de Courvaillan

On sait peu de choses sur Achille-Jules Dalsème, sinon que c'était un homme qui avait bien des cordes à son arc : publicitaire de métier, il entra en littérature au début des années 1880 avec une série d'ouvrages historiques tout à fait sérieux et analytiques sur la guerre de 1870, le Siège de Paris et la Commune. Puis cette tâche accomplie, il se fit auteur de romans très positifs pour la jeunesse dont « Le Mystère de Courveillan » demeure l'oeuvre à la fois la plus célèbre et la plus emblêmatique, et qui eût l'honneur d'être publiée dans la célèbre "Bibliothèque du Petit Français".

On ne saurait mieux résumer « Le Mystère de Courveillan » qu'en disant qu'il s'agit d'un livre jailli de l'imagination d'un publicitaire, et qui représente les prémisses de ce qu'allait devenir la publicité au XXème siècle. L'intrigue en elle-même n'a rien de rare : une chronique provinciale dans une famille bourgeoise éclatée, suite à la ruine de leur village natal, et qu'un bienfaisant et richissime oncle d'Amérique va ramener sur la terre de leurs ancêtres en y implantant une nouvelle industrie qui fera renaître Courvaillan. Cette chronique pourrait être d'une grande banalité, et donc digne des romans de la Bibliothèque Rose écrits à la chaîne par des vieilles filles à la pédagogie puissamment chrétienne, si Achille-Jules Dalsème n'en faisait une sorte de spot publicitaire avant l'heure. Tout ici déborde de ce positivisme fadasse, mercantile et décérébré que l'on subit encore quotidiennement à la télévision, à la radio ou sur Internet. La famille des Méhot est une famille idéale, à l'image de tous ceux qui gravitent autour d'elle : les hommes y sont francs et travailleurs, les femmes sont mondaines, volontiers frivoles mais sages, et les enfants sont d'adorables galopins qui font des farces gentilles et des bourdes hilarantes. Tout va toujours très bien, personne ne se dispute, personne ne se jalouse, tout le monde s'adore sans y penser, et il y a même un domestique mollasson et neurasthénique dont on peut collectivement se payer la tête sans qu'il s'en offense, car les Méhot sont tous riches, puissants, on les adore quoi qu'ils fassent, car ils n'ont pas de problème ou si peu...

Une seule ombre à leur tableau : ce village du Vaucluse qu'ils ont tous laissé derrière eux pour faire fortune ailleurs, principalement à Paris. Courvaillan fut longtemps un village prospère grâce à ses usines de colorants naturels, tirés de la très riche végétation de la région. Mais un jour, les progrès de la technologie firent que l'on découvrit un colorant synthétique qui coûtait bien moins cher, et qui, lentement mais sûrement, amena les usines de Courvaillan à mettre la clef sous la porte, faute de pouvoir s'adapter. Et comme les environs n'offraient aucun autre débouché d'emploi, tous les habitants du village finirent par abandonner leurs maisons, et partirent refaire leur vie ailleurs.

Cela, l'oncle Méhot n'en a rien vu ni rien su, pendant presque vingt ans, car ce diable d'homme était parti depuis déjà bien des années aux quatre coins du monde pour y creuser des puits de pétrole et des mines d'argent. Mais au soir de sa vie, pris de nostalgie, il décide de confier ses affaires à ses successeurs et revient à Courvaillan, qu'il trouve aussi désert et abandonné que des ruines antiques. Il part à la recherche de ses deux nièces à Paris, mais celles-ci s'étant mariées, leur patronyme a changé et ses recherches se heurtent désespérément à cet obstacle. Heureusement pour lui, alors qu'il visite une exposition de peinture au Grand Palais pour se changer les idées, il reconnaît ses deux nièces sur des portraits signés par le peintre André Gérard (bien qu'elles soient trentenaires et qu'il ne les ait pas vues depuis leur plus tendre enfance, mais ne chipotons pas)...

Le peintre étant très ami avec ces deux modèles, il organise les retrouvailles familiales dans son atelier avec l'oncle Méhot venu le supplier de les lui présenter, et, commence alors à se déverser, sous les yeux du lecteur, un torrent d'amour filial au visage hilare qui ne va pas un seul instant cesser son tsunami de tendresse frénétique et perpétuellement crispée.

On s'étonne rapidement qu'il n'y ait pas un bon curé ou une brave rosière dans ce portrait de famille, mais l'une des choses les plus surprenantes de ce roman hautement "feel good" comme on dirait aujourd'hui, c'est que la religion en est totalement absente. En effet, il n'y a qu'un véritable Dieu pour la famille Méhot et ses proches : l'argent, et surtout l'argent qu'on investit. L'oncle Méhot profite d'ailleurs d'un surréaliste pique-nique familial pour annoncer son grand projet : ressusciter Courvaillan, en y implantant une usine fabriquant un nouveau colorant synthétique moins cher que celui qui a remplacé le colorant naturel des usines Méhot. Tout le monde est enthousiaste, sans que l'on sache exactement si c'est à l'idée de faire renaître un village ou de se lancer dans des affaires juteuses. Le reste du roman narre, non sans plusieurs ellipses qui en atténuent le réalisme déjà chancelant, la renaissance de Courvaillan et l'emménagement progressif de toute la famille Méhot dans ce village du Vaucluse, et même de celle du peintre André Gérard qui ne peut imaginer vivre sans ses amis.

Quelques anecdotes annexes permettent d'apporter un peu de frivolité à cette histoire de tendresse et d'argent, car, et ce n'est d'ailleurs pas pour rien dans la bizarrerie de ce roman, « Le Mystère de Courveillan » ne manque pas d'humour. On y rit à gorge déployée d'un comique pourtant gentillet et affligant de publicitaire, qui n'était déjà pas bien drôle en 1901. le point d'orgue se trouve dans les "spectacles" préparés par les enfants lors de ce fameux pique-nique, où l'ainée des enfants plonge toute l'audience dans une hilarité hystérique en récitant une fable de La Fontaine avec l'accent anglais. L'auteur s'étale sur bien des pages pour tenter de nous persuader qu'il n'existe rien de plus drôle au monde que de réciter La Fontaine avec l'accent anglais. Un sketch puissamment lamentable, joué par le frêre aîné, qui imagine un dialogue entre un enfant et son père, en imitant alternativement les deux voix, rencontre la même hilarité impossible à lasser ou à rassasier, et tout cela s'étale également sur une trentaine de pages parfaitement inutiles.

Aute exemple, un peu plus tard, à Courvaillan : le benjamin des Hénot se retrouve poursuivi par un essaim d'abeilles dont il a dérangé la ruche. Parvenant à se dissimuler dans une cabane de jardin dont les abeilles font le siège, il y est rejoint et sauvé par le médecin des Hénot personnage original et fantasque, qui pénètre dans la cabane et met le feu à son chapeau de paille afin de créer de la fumée, puis, quand la cabane est bien enfumée, il fait rentrer à l'intérieur les abeilles qui, les unes après les autres, s'effondrent au sol intoxiquées par la fumée. Mais évidemment, l'enfant et le docteur, eux, ne sont pas du tout intoxiqués, puisque ces choses n'arrivent pas dans le monde de la publicité. Mieux encore, en sortant de la cabane, le docteur oublie d'éteindre son chapeau, lequel continue à se consumer sur sa tête pour le plus grand amusement du petit garçon, pas inquiet pour deux sous. Mais évidemment, le docteur n'est pas brûlé, puisque ces choses-là n'arrivent pas non plus dans le monde de la publicité...

On le voit, cette histoire très terre à terre ne manque parfois pas d'absurde, mais il s'agit d'un absurde rassurant, caressant, onctueux, qui place le client... pardon, le lecteur... dans un bon fauteuil afin qu'il dispose de toute son attention.

Plus d'un siècle plus tard, tout cela ressemble diablement à une parodie poussive et hypocrite, alors que, cependant, le premier degré semble total. « Le Mystère de Courveillan » a pourtant fait rêver toute une génération de préadolescents, sans que l'on parvienne à saisir ce qu'il pouvait y avoir de si passionnant pour eux dans cette intrigue qui plaide pour la facticité du bonheur et pour le libéralisme décomplexé.

S'il n'est plus véritablement possible d'apprécier ce livre avec toute la candeur avec laquelle il fut accueilli, il faut bien admettre que le contraste très marqué, entre le caractère parfaitement désuet de l'intrigue et l'étonnante modernité du propos, conserve quelque chose de fascinant et de presque cynique. En effet s'inscrivant dans un contexte totalement balisé, - le roman pour la jeunesse, qui était à cette époque très préoccupé de morale chrétienne et/ou de devoir patriotique -, l'atmosphère totalement décomplexée du roman d'Achille-Jules Dalsème tranche de manière brutale avec tout ce que l'on peut connaître de cette littérature. Certes, il y a des bons sentiments, mais ils sont innés, forcément réciproques et font la part belle à la moquerie et la dérision. Il n'y a aucune rélle situation où un problème est posé de manière à en dégager un jugement moral, il n'y a rien à conquérir, rien à apprendre, rien à déduire. Tout baigne dans l'huile, on s'aime, on se comprend, et donc on va faire des affaires ensemble. Point final, pour le message pédagogique.

Mieux encore, un procès local dans Courvaillan reconstruit, visant à situer la responsabilité d'une femme dans l'accident au cours duquel le cocher de l'oncle Hénot s'est cassé le bras, finit par se conclure par une sorte de parodie de condamnation, qui cache en fait un non-lieu général, décidé par l'oncle Hénot dans le dos des responsables judiciaires, avec à la clé le message totalement édifiant suggérant qu'il est important de rendre la justice au grand jour, mais tout aussi important de s'arranger en secret, à l'abri des regards, pour couper court à des peines bien inutiles, étant donné que Courvaillan a besoin de bras actifs - même cassés - pour faire vivre son économie.

Bref, même si l'on est plutôt libéral idéologiquement, on sort assez ébahi de la lecture de ce livre à la morale si particulière, qui célèbre la joie universelle de l'union de l'amitié franche et d'un capitalisme combatif et dénué de scrupules. Il reste difficile de savoir si Dalsème était un matérialiste candide ou un corrompu fin stratège, car rien ici n'est ouvertement litigieux. Il y a une maîtrise totale d'un récit succinct mais vivant, dont l'indolence morale semble en apparence n'être que le fruit bien naturel d'une entente familiale sans nuages. Je dis bien en apparence, car Achille-Jules Dalsème n'en démontre pas moins par ce roman très (trop ?) convivial que la puissance de l'argent doit être le seul moteur de l'existence pour une famille qui est d'abord - et avant tout - la base nécessaire pour fonder un empire commercial.

Indéniablement, Dalsème était un visionnaire dans sa partie, mais il y aurait gros à parier que le monde se passerait bien de visionnaires aussi prosélytes, qui prévoient sans doute moins les choses qu'il ne les préparent subrepticement...
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