Un m'as-tu vu est un homme qui s'habille avec l'intention expresse de se distinguer de son milieu. Il en appellera tantôt à l'étique, tantôt à l'hygiène, tantôt à l'esthétique pour justifier son sot comportement.
Que celui qui n'a pas assez d'argent pour s'offrir un fauteuil de cuir se rabatte sur une chaise paillée. Je vois d'ici plus d'un se récrier : une chaise paillée, que cela est commun ! Mais mes chers amis viennois, une chaise paillée n'est pas plus "commune" que de ne pas posséder de diamants, ou d'avoir un simple col de drap à son pardessus. Ce qui est commun, en revanche, ce sont les diamants d'imitation, les fausses fourrures, et les fauteuils en simili-cuir.
Je prêche pour l'aristocrate, j'entends par là l'individu qui se tient à la pointe de l'humanité, tout en ayant la compréhension la plus profonde envers les pressions et les détresses de ceux d'en bas. Le Cafre qui inclut à un rythme déterminé des ornements dans les tissus, n'apparaissant que lorsqu'on les déplie, le Perse qui noue son tapis, la paysanne slovaque qui fabrique au crochet des splendeurs avec des perles de verre et de la soie, tous ceux-là, donc, cet aristocrate les comprend fort bien. Il les laisse faire, il n'ignore pas que c'est dans leurs saintes heures qu'ils travaillent. Le révolutionnaire irait voir et dirait : "Absurdité que tout cela." De même arracherait-il la petite vieille aux saintes images plantées sur le chemin et dirait : "Il n'y a pas de Dieu." Mais l'athée parmi les aristocrates soulève son chapeau quand il passe devant une église.
L'artiste n'est responsable envers personne. L'architecte est responsable envers tout le monde.
Mais il n'y a pas d'évolution en ce qui concerne les objets qui ont déjà trouvé leur solution. Ils permanent dans la même forme à travers des siècles, jusqu'à ce qu'une nouvelle invention les mette hors d'usage ou qu'une nouvelle forme de culture les transforme radicalement.
Être assis à table pendant qu'on mange, se servir de couverts, etc., cela n'a pas changé depuis deux siècles. Pas plus que n'a changé la façon de fixer ou d'enlever une vis à bois, raison pour laquelle nous n'avons pas à enregistrer de changement avec le tournevis. Depuis cent cinquante ans, nous avons les mêmes couverts. Depuis cent cinquante ans, nous avons le même siège. Et même si tout a changé autour de nous, même si nous avons le tapis à la place du parquet de santal, parce que nous nous y asseyons, et une surface blanche et lisse à la place d'un riche plafond couvert de peintures, parce que nous ne voulons pas regarder nos peintures au plafond, et à la place de la bougie, la lumière électrique, à la place de riches lambris, le bois lisse, mieux encore, le marbre - la copie du siège ancien (toute prestation artisanale est une copie, que le modèle date d'un mois ou d'un siècle) convient, elle, dans n'importe quelle pièce, tout comme le tapis persan. C'est seulement chez les fous que chacun exige d'avoir un bonnet à sa façon.
Or le meilleur dessinateur peut être un mauvais architecte, le meilleur architecte un mauvais dessinateur. (...). C'est une loi bien connue : l'existence de toute œuvre d'art est réglée par une nécessité interne si impérieuse, qu'elle ne supporte pas l'intrusion des formes d'un art étranger.
L'absence d'ornement est un signe de force spirituelle. L'homme moderne se sert comme bon lui semble des ornements de cultures antérieures et étrangères. Sa propre invention, il la concentre sur d'autres choses.
Chaque jour crée l'homme à neuf, et l'homme neuf n'est pas à même de façonner ce que l'ancien avait créé. Il croit refaire la même chose, et cela devient quelque chose de nouveau. Imperceptiblement nouveau, mais au bout d'un siècle, la différence se remarque tout de même.
N'y a-t-il pas de changements conscients?
Il y en a aussi. Mes élèves savent qu'un changement par rapport aux habitudes ancestrales n'est permis que s'il représente une amélioration. Et alors, les inventions nouvelles ouvrent de grandes brèches dans la tradition, dans le mode de construction traditionnel. Les inventions nouvelles, la lumière électrique, le toit en béton n'appartiennent pas à une contrée déterminée, ils appartiennent à la planète entière.
De même qu'appartiennent à tous les habitants de la terre les nouvelles orientations de l'esprit. Le mensonge de l'art régional était étranger aux architectes de la renaissance. Ils construisaient tous dans le style romain. En Espagne comme en Allemagne, en Angleterre comme en Russie. Et ils créaient ainsi le style de leur patrie, avec lequel les gens à présent veulent écraser toute nouvelle évolution.
VERRE ET TERRE ( 26 juin 1898)
Mais dans la section réservée à la céramique nous lisons cette fière déclaration : " Tous les décors et formes sont protégés en tous pays."
Seigneur Dieu ! Ne devrait-on pas plutôt protéger tous les pays de ces décors et formes ? Voilà les pensées qui vous viennent quand le manque de goût s'affiche à ce point.