Quel étonnant roman ! quelle magnifique histoire et, plus encore peut-être, quel beau travail sur la forme et sur le style ! Plusieurs narrateurs se succèdent irrégulièrement. le premier chapitre du roman le Champ des cris est la transcription d'une cassette : un historien interviewe Onésime Sanzach, ancien résistant, ancien d'Indochine, qui habite, avec sa femme Simone, impasse du Champ-des-cris, dans un village des environs de Nevers. Un narrateur à la première personne prend la suite et nous apprend que, très déprimé à la suite d'une rupture avec sa compagne, il est venu s'installer momentanément dans la maison où il a passé son enfance. Ensuite, un narrateur à la troisième personne nous parle d'Onésime enfant. Il vit dans cette même maison, chez ses grands-parents Bernard et Blanche Naudet, qui l'ont élevé. Onésime prend souvent soin du vieux Naudet, traumatisé par la Première Guerre mondiale : il y a laissé la moitié d'un jambe et une partie de sa raison. La vieille voisine de 90 ans aujourd'hui, Nicole, amoureuse d'Onésime dès la sortie de l'enfance, se confie au narrateur pour lui raconter leur jeunesse, une partie de leur passé dans la Résistance, lui rappeler l'incroyable jeunesse de tous ces gamins qui ont pris le maquis. Mais il en reste, des choses à raconter, difficiles à dire, difficiles à avouer, à s'avouer même… et la terrible histoire d'une canne et celle d'une veste de cuir.
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Le lecteur va de surprise en surprise et se trouve toujours sollicité. Dans la transcription de l'entrevue, dans les longs dialogues et les monologues, les silences sont représentés par des traits parfois courts, parfois de plusieurs lignes, et ce procédé, au lieu d'aérer le texte, en rend le contenu plus dense et impose au lecteur silencieux le rythme de l'oral. Je n'ai pas mis plus de deux pages à en apprécier l'effet... le vocabulaire employé, extrêmement précis, puise dans un lexique parfois rare, voire spécialisé (le moignon de Naudet), ou encore recourt à certains mots qui paraissent d'abord inopportuns (par exemple « un oeil de verre bovin destiné à gémir »), mais résonnent puissamment et enrichissent le texte (l'affrontement avec le corbeau). le plus original et le plus personnel, à mon avis, c'est le rythme du texte. J'ai déjà parlé de la représentation graphique des silences, mais je me suis laissé envahir par les rythmes ternaires, ou plus longs encore, comme par les énumérations et les fréquentes accumulations, pas seulement d'adjectifs, mais aussi de noms, de relatives, d'adverbes, etc. ou encore de sortes de refrains. Les phrases sont longues et claires, et j'ai eu l'impression de vivre la réhabilitation du point-virgule ! (Voir la citation.) On trouve partout des échos poétiques et surprenants. J'ai souri à l'évocation de certains surnoms qu'on donne aux gens dans les villages, souvent un peu vachards, mais rarement malveillants. La superbe explication du titre, sans les traits d'union de l'odonyme, ne viendra qu'au dernier chapitre. Je me rends compte que j'ai surtout parlé de la forme et bien peu de l'histoire. Tant pis ! Je lirai assurément le prochain roman d'Adrien Genoudet !
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Merci à Babelio et aux éditions du Seuil pour ce beau moment de lecture.
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Je remercie Masse critique et les Editions du Seuil pour l'envoi de cet excellent roman.
Je ne connaissais pas cet auteur, Adrien Genoudet, et ce fut vraiment une belle découverte.
Quel talent !
Magnifique écriture littéraire avec des descriptions extrêmement fines (la canne d'Onésime, le corbeau, le goût de l'omelette à l'eau, l'odeur du gras de la cuisine etc..).
Tout est relaté avec une précision des détails à la mesure de son immense sensibilité et ce, jusqu'à la dernière page, dont on ne ressort pas indemne.
Le narrateur revient, de nos jours, dans la maison familiale et nous distille avec beaucoup de soin cette histoire qui se situe dans la région de Nevers.
Blanche et Naudet sont racontés à travers le ressenti de leur petit fils (parents introuvables...) Onésime 6,7,8, 9 ans etc.. durant la première guerre mondiale, ou le pauvre Naudet va revenir avec une jambe en moins...
Puis c'est le tour d'Onésime dès 16, 17 ans, qui va s'engager dans la Résistance.
Et enfin Nicole, 90 ans de nos jours, la voisine qui va petit à petit "se raconter".
Elle, qui avait été la petite amie d'Onésime par le passé, reste l'unique mémoire de cette époque si tourmentée dans cette impasse du Champ-des-Cris.
Elle va réussir à dévoiler non sans difficulté, au narrateur , tout ce dont elle a été témoin, et son récit final est totalement glaçant.
Une forme de puzzle intense, remplit d'émotion et de vécu enfouis, qui va être salutaire pour Nicole tout d'abord, mais surtout aussi pour le narrateur.
La psychologie des personnages illumine le récit, Onésime en tête, suivi de Nicole.
Tout est si parfaitement bien décrit, qu'on est avec eux, on les touche presque dans cette maison, grâce à l'incommensurable sensibilité de l'auteur, et cela nous bouleverse totalement.
Vous l'aurez compris, j'ai adoré "Le Champ des Cris", et je vous invite vivement à le lire.
Pour parfaire ce récit si émouvant, j'ai eu besoin de suite d'effectuer quelques petites recherches succinctes sur cette époque à Nevers que je partage volontiers avec les futurs lecteurs (source Jean Vigreux, Historien, Maitre de conférences et Directeur du musée de la Résistance à St Brisson (Nièvre).
J'ai découvert que la ville de Nevers avait été choisie par les Allemands dès 1940.
C'était un lieu stratégique, proche de Vichy et de la ligne de démarcation, et qui permettait aussi de contrôler la Loire, la ligne de chemin de fer Paris-Clermont-Ferrand, ainsi que les aciéries et les mines qui se trouvaient dans les bourgs voisins.
Un appareil productif dont l'Allemagne a absolument besoin pour son industrie de guerre.
Ville abandonnée par les Allemands le 6.9.1944, et 3 jours plus tard, les Résistants de toute la Nièvre entrent dans la ville.
Ils défilent dans les rues noires de monde et pour certains groupes, c'est le moment de se venger des collaborateurs notoires et sur les Françaises qui ont eu des relations avec les Allemands.
Ce sont ces fameuses "Tondues" dont Marguerite Duras a immortalisé la mémoire dans "Hiroshima mon amour" en imaginant la vie d'une tondue de Nevers.
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Quelle surprise ! Un grand roman qui mêle faits historiques et particuliers engagés dans ces évènements, qui distille émotion, grâce, manipulation - heureuse - du vocabulaire et une surprenante structure du récit, à quatre voix.
Le narrateur est un parent du principal protagoniste, Onésime Sanzach. Suite à une désillusion amoureuse et quelques mois après la mort d’Onésime, il s’installe dans la maison de l’impasse du Champ-des-cris, là où il a déjà vécu, là où Onésime vivait avant de mourir, à 93 ans.
Onésime est un ancien maquisard. Après avoir été résistant pendant la Deuxième Guerre Mondiale, il a intégré l’armée française, s’est battu en Indochine, en Algérie, a été colonel.
Au début, on suit le héros à partir d’un enregistrement ancien au magnétophone où il raconte son épopée à un historien, qui consiste en un épisode de Résistance dans la Nièvre. Le relais est pris par le narrateur à la première personne, puis par un narrateur extérieur, à la troisième personne, puis par Nicole, premier amour d’Onésime, restée une amie fidèle, en même temps qu’une voisine chargée d’arroser les plantes du domaine du Champ-des-Cris, dont elle détient les clés.
Onésime a été élevé par ses grands parents, Bernard Naudet, mutilé de la Grande Guerre (il a perdu une jambe et un peu la tête) et Blanche. L’auteur s’attarde sur son enfance et ses liens avec eux. Onésime ignore ce qu’est devenue sa mère, qu’il pense avoir perdu dans l’accident d’octobre 1921, dans le tunnel de Batignoles, région parisienne, où des wagons ont pris feu après la collision entre deux trains et l’explosion d’un réservoir à gaz. Son père a trouvé la mort dans l’accident. Onésime à qui on a dit que sa mère était vivante, part à sa recherche en se rendant à Paris en vélo, complètement démuni et sans indice ; il a 19 ans, il part sous les yeux de Nicole et reviendra bredouille.
Au long des chapitres, Onésime raconte sa guerre, sa résistance, Nicole apporte son témoignage, ce qu’elle a fait par amour, mais aussi pour l’ambiance et pour la lutte contre l’occupant. Elle était mobile sur son vélo, elle faisait du renseignement, épaulait les trois cent cinquante maquisards qui vivaient dans la forêt.
Logé chez la Mémène, sympathisante de la Résistance, Onésime, embauché à l’usine de construction d’avions pour la Luftwaffe, et sous les ordres d’Alias, chef de réseau FTP, fait exploser les transformateurs de l’usine avec ses amis, Matriolet et Jus de Chique. Les sabotages se poursuivent, laminoir, pylônes de lignes à haute tension, fraiseuse, tout pour entraver le fonctionnement de l’usine.
Onésime se retrouve ensuite dans la forêt : sous la férule d’Alias, il prend le commandement d’une cinquantaine de maquisards, chiffre qui ne cessera de gonfler. Destructions, dégradations, trains qui déraillent, exactions diverses sont le tribut du groupe.
Et puis, en septembre 1944, c’est le massacre d’Ariot, hameau où les maquisards ont caché les armes et les ravitaillements qu’ils venaient de recevoir : probablement dénoncés, ils ont dû affronter une colonne allemande qui a exécuté quatorze villageois pour l’exemple et brûlé le hameau. Cuisant échec pour Onésime qui n’oubliera pas l’image de cette femme carbonisée, lui qui imagine ses parents brûlés vifs dans le tunnel de Batignoles en 1921.
Et puis c’est la Libération, celle de Nevers et en particulier de l’École normale où Onésime s’est acharné, comme un dément assoiffé d’une vengeance irrépressible, sur un soldat allemand coincé sous les décombres.
C’est la fin de la guerre et Nicole fera les frais d’une méprise qui l’humiliera au plus haut, prix de son amitié avec une aristocrate ambivalente.
Un roman étonnant où la pluralité des voix se double pour chacune d’un style propre : Onésime raconte, mode verbal brut, Nicole multiplie les hésitations, les silences, les expressions rudimentaires, la connivence, le narrateur impliqué s’exalte dans ses souvenirs visuels, auditifs, olfactifs dans cette maison qu’il connue enfant, le narrateur extérieur déploie une phrase d’une grande beauté, d’une immense sensibilité, d’une poésie faiseuse de mots rares, façonnés maison, de tournures déconcertantes, insolites, voire troublantes.
Un enchantement, un roman flamboyant, un livre inoubliable.
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Un roman qui m'a complètement convaincue sur la forme, mais beaucoup moins sur la forme. J'ai eu beaucoup de mal à trouver le fil narratif de cette histoire et à comprendre les liens entre les différents personnages, et la structure assez particulière du récit m'a déstabilisée par moment. En revanche, j'ai beaucoup aimé le contexte historique développé, et les réflexions qui en sont tirées.
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