PREMIER BANQUIER : C'est foutu. Un gouvernement de traîtres nous brade notre Empire.
DEUXIÈME BANQUIER : Ainsi, de l'Indépendance ils ont fixé la date !
TROISIÈME BANQUIER : Hélas ! ils ont de ce macaque, accepté le diktat !
QUATRIÈME BANQUIER : Du cran, messieurs, du cran, toujours du cran que diable !
Il faut épouser son temps ! Je ne dis pas l'aimer, il suffit d'épouser !
Cette indépendance n'a rien qui me déroute.
PREMIER BANQUIER : De ce qui constitue une calamité vraie
ruine l'État, assèche nos finances
ravale ce pays au rang d'infime puissance
c'est prendre son parti de manière longanime.
DEUXIÈME BANQUIER : Inquiétant paradoxe ou dangereuse maxime
Les deux sans doute ! Collègue, je le dis tout à trac
Je ne sais ce qu'il a au fond de votre sac !
Mais quand dans un vaste empire se propage le mal,
C'est mal choisir son temps pour faire le libéral !
QUATRIÈME BANQUIER : Quand dans un vaste empire se propage le mal
Les solutions hardies sont aussi les seules sages !
PREMIER BANQUIER : Rien de plus irritant, monsieur que ces obscurités !
Au fait ! pour sortir de nos difficultés,
Si vous avez un plan, dites, parlez, proposez
Au lieu de finasser.
DEUXIÈME BANQUIER : Oui-da ! Avez-vous ce qu'on appelle une politique ?
QUATRIÈME BANQUIER : Une politique ? Le mot est gros, mais un peu de jugeote,
çà et là des idées qui, par ma cervelle trottent ;
à cela nul mérite. Vingt ans de tropiques :
Pensez, je les connais. Axiome :
pour rendre traitable le Sauvage, il n'est que deux pratiques :
La trique, mon cher, ou bien le matabich !
PREMIER BANQUIER : Eh bien ?
QUATRIÈME BANQUIER : Eh ! bien tant pis, je vous croyais plus vifs.
Suivez l'idée. Que veulent-ils ? Des postes, des titres,
Présidents, députés, sénateurs, ministres !
Enfin le matabich ! Bon ! Auto, compte en banque
Villas, gros traitements, je ne lésine point.
Axiome, et c'est là l'important : qu'on les gave !
Résultat : leur cœur s'attendrit, leur humeur devient suave.
Vous voyez peu à peu où le système nous porte :
Entre leur peuple et nous, se dresse leur cohorte.
Si du moins avec eux, à défaut d'amitié
En ce siècle ingrat sentiment périmé
Nous savons nouer les nœuds de la complicité.
PREMIER BANQUIER : Il suffit ; bravo collègue ! Accord sans réticence !
CHŒUR DES BANQUIERS : Hurrah ! Hurrah ! Vive l'Indépendance !
Acte I, Scène 4.