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Citation de MegGomar


Elle avait seulement trois ans de plus que lui. Il se souvenait d’elle
lorsqu’elle était une belle et douce jeune fille, vêtue de l’uniforme bleu
marine et jaune de La Mère de Dieu(27), apprenant par cœur des fables de
La Fontaine et, dans les soirées d’été, jouant du piano dans le salon de leur
vieille maison de Zamalek (que le pacha avait vendue après la révolution).
Elle jouait si merveilleusement que Mme Chédid, son professeur de
musique, s’était ouverte au pacha de la possibilité de la présenter au
concours international des jeunes talents à Paris, mais le pacha avait refusé.
Elle se maria très vite avec le capitaine d’aviation Hassan Chawket dont
elle eut un garçon et une fille (Hanna et Dounia). Puis survint la révolution.
Chawket fut mis à la retraite à cause de ses liens étroits avec la famille
royale et il mourut rapidement, avant d’avoir atteint ses quarante-cinq ans.
Ensuite, Daoulet se maria encore deux fois sans avoir d’enfant. Deux
mariages ratés qui ne lui apportèrent que de l’amertume, de la nervosité et
l’incapacité à se passer du tabac. Sa fille grandit, se maria et émigra au
Canada puis, quand son fils eut terminé avec succès ses études de
médecine, elle lui livra une bataille acharnée pour l’empêcher de s’exiler.
Elle pleura, cria, supplia tous ses proches de le convaincre de rester avec
elle, mais le jeune médecin (comme la plupart de ceux de sa génération)
était désespéré par l’état dans lequel se trouvait l’Égypte et il persista dans
sa volonté d’émigrer. Il proposa à sa mère de l’accompagner mais elle
refusa et resta seule. Elle loua en meublé son appartement de Garden City et
alla s’installer chez Zaki dans le centre-ville.
Dès le premier jour, les deux vieillards ne cessèrent de se chamailler et
de se quereller comme s’ils étaient les pires ennemis. Zaki était habitué à
son indépendance et à sa liberté et il lui fut difficile d’accepter de partager
sa vie avec une autre personne, d’être obligé d’accepter des horaires pour le
sommeil et les repas, d’informer Daoulet à l’avance s’il voulait rentrer tard
le soir. Sa présence lui interdisait d’inviter ses maîtresses à la maison et ce
qui ajouta à ses tourments, ce fut son ingérence sans retenue dans ses
affaires les plus intimes et ses perpétuelles tentatives de le gouverner. De
son côté, Daoulet souffrait de sa solitude. Elle était malheureuse. Cela
l’attristait de terminer sa vie sans avoir rien acquis ni réalisé, après avoir
échoué dans ses mariages et avoir été abandonnée dans sa vieillesse par ses
enfants. Ce qui l’irritait au plus haut point, c’était que Zaki, lui, n’avait
absolument pas l’allure d’un vieillard décrépit attendant la mort. Il
continuait à se parfumer, à se faire beau et à courir les femmes. Dès qu’elle
le voyait soigner sa tenue, rire et chantonner devant son miroir, dès qu’elle
remarquait qu’il était heureux, elle se sentait pleine de rage et ne se calmait
pas avant de l’avoir agressé et fustigé par ses propos. Elle attaquait son
comportement puéril et ses incartades, non par sens moral mais parce que sa
rage de vivre exacerbée n’était pas en harmonie avec le désespoir qu’elle-
même ressentait. Son irritation contre lui ressemblait à la colère de ceux qui
viennent tristement présenter leurs condoléances à un homme qui éclate de
rire en pleine cérémonie. Entre les deux vieillards, il y avait aussi toute la
morosité, l’impatience, l’opiniâtreté qui accompagnent la vieillesse, en plus
de cette tension que suscite toujours le rapprochement de deux
personnalités plus longtemps que nécessaire. L’un des deux occupe
longtemps la salle de bains alors que l’autre veut l’utiliser, l’un voit le
visage renfrogné de l’autre au moment du réveil, l’un a besoin de silence
tandis que l’autre s’obstine à parler... Il suffit même de la simple présence
d’une autre personne qui ne vous quitte ni le jour ni la nuit, dont le regard
vous fixe, qui vous prend à partie, qui reprend ce que vous dites, qui
s’assoit pour manger avec vous alors que le bruit de ses molaires lorsqu’elle
mastique vous irrite et que vous devient insupportable jusqu’au bruit que
produit sa cuillère heurtant l’assiette.
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