Alain Absire, Président de la SOFIA (Société française des intérêts des auteurs de l'écrit).
Si mon imagination ne produit ni ne rapporte rien, elle est néanmoins essentiellement active. Grâce à elle, j'atteins souvent l'équilibre, la plénitude, l'épanouissement absolu de l'artiste et du créateur.
(p. 247)

On y projetait un film polonais doublé en roumain : « la Terre de la grande promesse », elle tenait absolument à le voir.
[...]
« Il faut considérer cette projection comme un événement, ajouta-t-elle, les films de Wajda passent rarement les frontières roumaines. Je crois qu'on ne l'aime pas trop ici. On ne tolère ses œuvres que lorsqu'elles s'en prennent ouvertement au capitalisme. »
Elle marqua un petit temps.
« Allez-vous parfois au cinéma ? J'ai vu plusieurs films roumains. Je les trouve vraiment très… conformistes, plutôt ennuyeux : « la Forêt des pendus », « la colonne Trajan », « les Daces », que des films historiques, on ne fait rien d'autre. J'ai vu « les Flots du Danube » aussi, de Liviu Ciulei. Celui-là n'est pas trop mal fait. Mais tout de même, les histoires d'espions clandestins avec des odieux fascistes et les militants communistes sans peur et sans reproche, on en a vite assez. Croyez-moi, Wajda, c'est quand même autre chose ! Venez, vous ne le regretterez pas. »
(p. 124-125)
Un beau texte est une fenêtre ouverte par laquelle je m'évade.
(p. 101-102)

page 64
[...] Ainsi que je le devais, ignorant le poids des vêtements de guerre froids qui, collés, pesaient sur mes épaules et ma poitrine, avant de m'occuper de moi-même, vide de toute pensée, j'aidais Liébaut à ôter son haubert et son gambais alourdis par la pluie. Seul avec lui pour la première fois, je le découvris dans sa nudité et comme si mon esprit engourdi reprenait vie, je me mis aussitôt à admirer la robustesse de sa poitrine, la largeur de ses épaules, la force de ses bras. "Essuie-moi Odilon, me demanda-t-il, car j'ai froid." Ignorant sa plainte qui dans le trouble de ma raison aurait dû me déplaire, je pris immédiatement le drap le plus épais et commençait à frotter son dos vaste, son ventre dur, ses jambes longues. Comment écrire aujourd'hui ce que j'éprouvai à ce moment ? Ce fut, alors que je me tenais si près de lui, comme si une force brûlante (sa force) pénétrait en moi. Malgré le froid qui me paralysait et me faisait trembler, une chaleur inconnue m'enveloppa, une chaleur si vive, si puissante, qu'elle m'embrasa telle une branche sèche atteinte par la flamme. [...] J'étais devenu moi aussi brusquement, sans avoir accompli aucun exploit, l'un des plus vertueux seigneurs de Normandie. [...]
Il y eut d'autres découvertes, les jours suivants : « L'Alibi » de Maria Banuș, poème de la course, la fuite éperdue ; « Ardeur », de Miron Radu Paraschivescu, hymne de l'amour ardent, du désir, de la passion charnelle ; « J'attends », d'Eugen Jebeleanu, deux strophes brèves sur l'impatience et la soif de mourir, sur la peur de la hache qui fend la tempe, en plein sommeil.
Tant de nouveautés le comblaient de joie. Chacune révélait une sensibilité, une écriture, un univers particulier qu'il s'efforçait de comprendre, de pénétrer, de partager. Des mondes peuplés d'images inconnues s'offraient à lui, le temps d'une lecture, d'une copie, d'une répétition, de mémoire et à voix haute.
(p. 82-83)
Il passa un disque de flûte de pan et de chants populaires roumains, il s'obligea à relire quelques poèmes de George Bacovia.
Ô, soleil que je vois luire,
Marque de ton feu ardent
Tout ce corps qui me déchire
Foulé aux pieds par le temps.
(p. 234)
Il aimait ainsi, passionnément, les vers de George Bacovia qui parlait si simplement de pluie et de banlieue. À qui il suffisait d'éléments simples : métaux sombres tels que le plomb, ciel noirci par la fumée, ou de couleurs répétées de façon obsédante, pour recréer un monde d'hiver bien connu, saturé de tristesse, de brouillard, de bruine poisseuse et de pluie.
(p. 60)
Chaque après-midi, il se rendait à la bibliothèque publique où l'on proposait plus de cent livres de poèmes. L'allure dépenaillée des ouvrages en rayon donnait à croire qu'ils avaient été maintes fois feuilletés, empruntés, lus et relus. Il constatait avec joie que d'autres aussi aimaient la poésie.
(p. 59-60)
Vasile Evănescu était né en 1958 au pied des Carpates, près de Brașov, deuxième ville de Roumanie. Sa vraie patrie était celle des forêts, des églises, des châteaux fortifiés de Transylvanie, des rideaux de saules, des croix peintes et sculptées au bord des sentiers, des palissades blanches, des haies de branches tressées. Il garda ces paysages en lui, et, plus tard, ces montagnes et ces plaines, ces bastions, ces ruines et ces défilés, firent grandir encore son sentiment d'immense solitude.
(incipit)

Vers huit heures et quart, les haut-parleurs crachèrent une information : le président de la République, président du conseil d'État, président du conseil de Défense, président du conseil de l'Économie et secrétaire du Comité central, Nicolae Ceaușescu, viendrait en personne, ce matin même, réconforter les victimes de « ce terrible séisme qui mettait à l'épreuve le courage et la force du peuple roumain ». Il s'avérait donc nécessaire d'évacuer les gravats qui obstruaient les rues de Bucarest, afin que le cortège présidentiel puisse circuler. Tous, policiers, soldats, miliciens et sauveteurs civils, se devaient d'accomplir cette tâche en priorité.
Les hommes au travail autour de Vasile, cessèrent aussitôt de creuser, soulever, écarter, déplacer. Ils se rassemblèrent, avec leurs outils, près de ces corps allongés que personne ne songeait encore à évacuer, alignés sur le trottoir, le visage caché, entièrement dissimulés sous des draps ou des couvertures.
L'une des extrémités de la rue restait en partie obstruée par des arbres déracinés, les voitures écrasées, des pans de murs affaissés, abattus. Ils s'y précipitèrent, tous.
Qu'importait leur obéissance servile ! Vasile continuerait, seul, à chercher son ami qui, il en gardait la certitude, se trouvait là, quelque part sous cet amas informe.
(p. 177-178)