[I]l existe dans les rédactions de l'ensemble des médias une méconnaissance profonde du monde populaire, encore perçu pour l'essentiel à travers les clichés réducteurs hérités de la tradition romantique : alternativement le « bon peuple », pittoresque et rassurant ; et le mauvais peuple menaçant, celui de la « plèbe grondante », de la « canaille hurlante », de la « populace déchaînée » qui donnait des cauchemars à la bourgeoisie louis-philliparde. Le vocabulaire a changé (un peu) ; mais le concept persiste. Les classes populaires qui apparaissent dans les reportages sont réduites à une collection de cas singuliers, d'individus atomisés – ce qu'il est convenu d'appeler des « braves gens », des « petites gens » – placés dans une situation plus ou moins spectaculaire, dramatique, émouvante, à qui on essaie de faire dire des choses « fortes », touchantes, cocasses, génératrices d'émotion ; et les journalistes du « social » trouvent des accents presque hugoliens pour parler des « misérables », par excellence les SDF. En revanche, les événements et les situations faisant intervenir des collectifs populaires engagés dans des actions organisées – telles que des grèves (surtout en milieu ouvrier ou dans la fonction publique), avec des revendications et des analyses politiques et/ou sociales explicites – ne sont abordées qu'avec réticence et circonspection, ou avec une agressivité à peine contenue (qui peut aller jusqu'à mettre explicitement en question le droit de grève), quand ils ne sont pas purement et simplement passés sous silence.