Les entrevues Entre les lignes: Alain Beaulieu
Je suis né Antoine Béraud dans une maison du quartier Saint-Roch à Québec qu'on a démolie deux ans plus tard pour y faire passer une autoroute. Issus d'un milieu ouvrier, mes parents ont connu leur lot de misère avant qu'un emploi dans la fonction publique n'offre à mon père l'occasion de se glisser lentement sous les jupes de la classe moyenne. Après l'entrée de ma sœur cadette à l'école primaire de notre quartier, ma mère a mis à contribution ses compétences en relations interpersonnelles pour se dénicher un emploi de secrétaire à l'université. Tout ça pour dire que je n'ai jamais manqué de rien, passant même mes étés d'adolescence à la campagne dans un chalet rudimentaire mais chaleureux situé dans le haut d'une avenue donnant directement sur un lac.
Cette entrée en matière me semble convenue, voire réductrice, car mon mari aurait bien des choses à dire sur sa jeunesse en dehors de ces lieux communs. Mais comme je ne suis pas que “la femme de”, je parlerai pour moi et lui laisserai le monopole de ses révélations personnelles, m'octroyant cependant le droit de rectifier au besoin ce qui, dans sa version de ce qui nous est arrivé, me semble fautif.
Je prends ici une grande respiration, car c'est un peu ce qui s'est produit dans les jours et les semaines qui ont suivi, comme si le temps s'était arrêté sur cet été splendide, le soleil faisant valoir son droit d'aînesse sur des nuages toujours éphémères. Nos enfants étaient partis pour l'été, notre fille chez une amie installée à Toronto et notre fils à Copenhague avec sa conjointe pour son projet de recherche en santé internationale - auquel nous ne comprenions pas grand-chose.
Vous excuserez le ton, et la volatilité de ma pensée. J'ai un peu perdu la main, et mon cerveau s'égare souvent dans des digressions que je n'arrive à réfréner que lorsqu'on me rappelle à l'ordre. Or, seul devant la feuille de papier sur laquelle je m'échine à écrire à la main, je perds mes moyens et laisse libre cours à ce que mon esprit choisit d'exprimer.
Je garde un souvenir ému de cette journée avec les étudiants d'Antoine et leurs familles, comme si la vie avait voulu appliquer un baume sur notre détresse. Un dôme d'allégresse avait recouvert le terrain, et rien n'était venu altérer l'état de béatitude dans lequel nous avait plongés l'initiative de Martin.
Ce vieux m’était de plus en plus sympathique. Il avait l’âge et les manières de ceux qui connaissent la valeur du temps et n’en ont plus beaucoup à perdre, et cela me plaisait. Il y allait directement sans détour, sans courbettes superflues.
Je n'aimais pas les surprises. Souvent, on espère une chose extraordinaire et on se retrouve déçu de ce qui nous est finalement offert.
La vie est un combat perdu d’avance, mais nous allions nous battre jusqu’à la fin, en choisissant cependant le champ de bataille de nos dernières querelles.
Bien qu’en bonne forme physique, nous sentions les années que nos corps avaient traversées dans nos muscles moins fermes et nos articulations parfois douloureuses.
Antoine avait pris un coup de vieux au cours de la dernière année, et je m’inquiétais davantage pour lui que pour moi. Je surestimais sans doute ma capacité à contrôler mon stress, mais j’étais celle qui, de nous deux, savait le mieux réagir à l’adversité.
Avec novembre sont venues les premières gelées et la bordée de neige inaugurale de l'hiver. Trente centimètres de flocons mouillés, tombés du ciel en quelques heures à peine et qui n'allaient fondre qu'en avril ou en mai.
J'assistais au spectacle derrière notre fenêtre, alors qu'on diffusait à la radio l'Andantino de la Sonate no 20 pour piano de Schubert, et la neige qui fondait sur la vitre répondait aux larmes qui embuaient mon regard.
La littérature – et plus spécifiquement le roman – permet de circonscrire ce qui dans la vie passe souvent trop rapidement, en nous ou autour de nous, pour que nous réussissions à le reconnaître. Avec sa capacité de jouer avec le temps en l’étirant ou en le compressant, le romancier permet au lecteur de prendre du recul pour donner du sens à ce qui demeure souvent insensé dans sa vie courante. (p. 79)