Au XIIe siècle, le paysan byzantin reste libre en droit : il circule à son gré, lègue et vend sa terre à sa guise, jouit des mêmes garanties juridiques que n'importe quel autre sujet des basileis. IL garde même en principe un statut privilégié, car la législation macédonienne, qui le protégeait des entreprises des riches, n'a jamais été abolie par les Comnènes. Pourtant, ce paysan se fait rare : épidémies, guerres, troubles intérieurs, pression des grands propriétaires entraînent à la fois exode rural et baisse démographique que ne compensent pas les replis d'Asie mineure occupée.
L’appartenance au Sénat n’est ni une fonction, ni une dignité, mais la conséquence induite de la dignité que l’on possède, la qualité sociale qui en découle.
L’empereur se définit par son titre, basileus, terme grec qui désigne le roi […]. Il est d’abord fidèle envers Dieu, qui lui confère son pouvoir, et orthodoxe, ce qui est le fondement de sa légitimité, et lui confère le pouvoir absolu d’autokratôr. Ce pouvoir s’exerce sur l’Empire par excellence, le seul légitime et universel, le seul qui corresponde à la terre entière ou oikoumène, l’Empire des Romains.
Soit on représente à la fois les deux natures [du Christ], on les confond pour pouvoir représenter le Christ-homme et l’on tombe dans le monophysisme. Soit on ne représente que la nature humaine ; on sépare les deux natures et l’on est taxé de nestorianisme.
Ainsi s’affirme l’identité de ce que nous appelons l’Empire Byzantin : un empire qui reste romain, qui se veut fondamentalement chrétien, qui reste à son corps défendant oriental et qui utilise la langue grecque. Cette définition restera valable durant les onze siècles de son existence.
L’Empire byzantin est d’abord la continuation de Rome : l’Empire est une magistrature dont l’empereur n’est que le détenteur provisoire. Les facteurs constituants de l’époque romaine subsistent, même s’ils deviennent de plus en plus formels. L’empereur est d’abord l’imperator : à la proclamation par l’armée fait suite l’élévation sur le pavois. Le Sénat, devenu un simple ordre social, n’intervient que dans les cas difficiles et, pour la dernière fois, à l’époque de Théodora (1055-1056) ; son approbation se manifeste par la présence des sénateurs lors de la cérémonie tenue à l’hippodrome de Constantinople où se déroule l’acclamation par le peuple. C’est cette procédure, plus ou moins respectée, qui fait de l’empereur le « pieux élu de Dieu », selon la formule consacrée.
Pour l'homme du XXe siècle, héritier d'une tradition qui précède les croisades, le nom même de Byzance évoque des idées moins flatteuses; sur un fond permanent de décadence, intrigues de palais, sordides assassinats et querelles religieuses incongrues réduisent son histoire à une sorte de long délire barbare. Pour nous en tenir à la France, il n'est pas sans intérêt de noter que, à l'exception remarquable de la période dite « absolutiste » des XVIe et XVIIe siècles, les piétistes les plus rigoureux et les esprits les plus ouverts partagent une même exécration de Byzance. Au Moyen Age, Byzance, qui gêne les ambitions des autres souverains chrétiens, est vite décrite comme une Babylone où la turpitude morale débouche sur le schisme et l'hérésie et où de faux chrétiens n'hésitent pas à tendre la main aux musulmans, sans cesse assoiffés du sang des vrais. Ces bons chrétiens peuvent dépecer l'Empire en 1204, les Byzantins ne disparaissent pas pour autant, et leur renom reste toujours aussi détestable : en plein siècle des Lumières, Montesquieu ne voit dans leur histoire qu'une suite d'intrigues sanglantes et sordides, et Voltaire, après avoir reconnu, dans son Essai sur les mœurs, la vigueur primi- tive de l'Empire byzantin, avoue qu'aucune « histoire d'obscurs brigands » ne le dégoûte autant que celle de Byzance après Justinien. Encore au XIXe siècle, Hegel considère que « la suite millénaire de crimes, de faiblesses, d'infamies » dont est faite l'histoire byzantine « compose une image horrible et inintéressante ». Le procès de Byzance est dès lors instruit : despotique mais chrétienne, elle n'intéresse aucun des maîtres à penser, aucun des grands écrivains qui, dans le même temps, contribuaient à populariser, bien ou mal, une certaine image de l'Égypte, de la Grèce, de Rome. Aussi Byzance, dont l'histoire est pourtant souvent si spectaculaire, n'excita-t-elle guère l'imagination romantique, pas plus que le cinéma hollywoodien, un de ses derniers avatars.
Dans la théorie byzantine, l’Eglise est un corps mystique dont le Christ est la tête et les cinq patriarches les cinq sens : c’est la pentarchie, qui manifeste la collégialité des cinq patriarcats, Rome, Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem.
On mesure ainsi l’évolution qui marque l’Empire byzantin à son apogée, de l’avènement des Macédoniens à la chute des Comnènes ; le succès repose sur un Etat fort assis, du plus haut fonctionnaire à l’humble soldat, sur la notion de service public, certes profitable pour celui qui l’exerce, mais ouvert. L’évolution conduit à une fermeture aristocratique qui remplace le service de l’Etat par la fidélité personnelle. Elle correspond à une évolution socio-économique qu’elle précipite.
Le système politique et social qui permet à l’Empire de survivre face aux invasions repose sur la petite paysannerie : elle nourrit la population et fournit l’essentiel des ressources de l’Etat par l’impôt, essentiellement foncier, par le gros des troupes des thèmes et même, pendant un certain temps, des tagmata.