Perdus en terre
Hommes parmi la nuit, hommes au fond du temps,
Hommes dont le passé comme un ressort se tend
Sur lui-même et s’écrase, ô hommes de mon temps
Qui rêvez d’une lampe au soir si tendrement
Eclairant le visage et les mains de la femme
Et les yeux des enfants et tout ce qui affame
Votre cœur, dans le vent la vie à pas de loup
S’avance. Image austère et froide, tout à coup,
Elle va dans le ciel sanglant d’étoiles rouges
Sur la terre étrangère, et sur les corps qui bougent
Elle poursuit sa route et vous cherchez à voir
Ses traits. Mais sa figure est dans l’espace noir,
Ses pieds foulent sans bruit votre ombre qui s’enlise
Dans la boue. Et l’aube fraîche qui vous dégrise
Redeviendra ténèbre avant que le secret
Ne se déchire. En vain la musique tout près
Jouait un chant d’espoir ranimant votre rêve.
La lumière glacée qui durement s’élève
Tranche dans votre chair, étincelant couteau.
La mémoire est un sang qui se caille aussitôt.
La nuit revient, le rêve s’éteint. Insensible
Le monde dort, qui ne se lasse d’être cible.
… Hors de la nuit, crevant la mauvaise saison ;
Hommes, le beau soleil humain de la raison.
Pierre Unik 1909-1945, p.125
Messages personnels sur la BBC
"le manchot la serre dans ses bras"
"La bibliothèque est en feu"
"Nous sommes sans nouvelle de la cigogne et nous voudrions qu'elle joue d piano"
- Monsieur Seguin-
Loup y es-tu ? M'entends-tu ?
Je parle au pays
Loup y es-tu ? M'entends-tu ?
je place mes amis
Loup y es-tu ? M'entends-tu ?
je prends la Russie
Loup y es-tu ? M'entends-tu ?
Attends j'ai fini.
Loup y es-tu ? M'entends-tu ?
Loup y es-tu ? Loup-Loup-Loup
Loup y es-tu Où es-tu loup
Il a lutté toute la nuit
et puis au matin les brebis
l'ont pris.
(Lise Deharme 1901-1980 / p.170)
-Les commandements - par Raymond Burgard
arrêté par l'Abwher le 2 avril 1942, et décapité à Cologne, le 15 juin 1944, à l'âgede cinquante-deux ans, Raymond burgard est une des figures les plus méconnus de la toute première Résistance....
La BBC écouteras
Chaque jour avidement.
Radio-Paris laisseras
Car il est boche, assurément.
Avec De Gaulle te battras
Au grand jour du débarquement
Ceux de Vichy mépriseras
Et leurs propos avilissants.
Laval, Déat, tu châtieras
Et leurs complices mêmement.
Et quand leur tête on coupera
Tu danseras joyeusement
La Carmagnole chanteras
Quand crèveront tous les tyrans. (p.129)
Meunier ne suis que de mes meules
Pour mieux résoudre le dilemme
L’écraseur peut-il s’écraser
Le broyeur peut-il se broyer
Le moulin se moudre lui-même ?
Mais le dilemme est insoluble
Et tout continue de tourner.
Meunier ne suis que du langage
Quand je broie je mouds et j’écrase
Tous les mots pour en obtenir
La forte farine de phrases
Meunier ne suis que des chanteurs
Le ronronnement du moulin
Parfois en attire certains
Sitôt nous nous en saisissons
C’est vivants que nous les broyons
Car il faut qu’ils restent vivants
Pour distinguer le cri du chant
Oui il faut qu’ils restent en vie
Pour choisir entre chant et cri.