Dans "Le Courrier Recommandé" (BX1), David Courier reçoit le journaliste et romancier Alain Lallemand pour évoquer son dernier roman "L'homme qui dépeuplait les collines", publié chez JC Lattès.
Un véritable trafic d’enfants couvert par l’État et les journaux de l’époque. Mais à vingt ans de distance, semblait conclure Hugo, qui sommes-nous pour juger ?
- À moins de se jauger soi-même, de se poser la seule bonne question. Pourquoi vouloir un enfant ? Jusqu’où serais-je prête à me sacrifier ou me compromettre pour en tenir un dans mes bras ? Il n’y aurait sans doute pas de trafiquants sans couples en détresse.
- Tu oublies l’autre bonne question, Laura. Celle qui a traversé toutes nos correspondances de guerre : si demain un conflit éclatait en Europe de l’Ouest, à quelle condition donnerait-on nos enfants ? À qui pourrais-je les confier sans crainte ?
Laura connaissait trop bien ce métier pour le mépriser. L’info est le ciment de la planète, et si elle nous tourne la tête c’est que nous en consommons trop ou que nous l’achetons frelatée. Face aux trafiquants de la com’, dealers de réputations reliftées et fourgueurs de désinformations, elle savait que les journalistes à l’ancienne étaient des résistants, presque des artistes. Achetez un journal, et votre cerveau vous remerciera.
- Et ces enfants, il n’y a personne pour les adopter ?
- Les proposer à l’adoption ? Je ne suis pas certain qu’ils aient besoin de cette pitié. Le village est solidaire. Sous des motifs vertueux, des couples étrangers s’offrent parfois un enfant. Et, pour l’éternité, des jeunes mères africaines regrettent l’abandon de leur gosse. Parce que quelqu’un leur a dit que l’enfant irait à l’école, puis reviendrait ici à sa majorité. Et qu’elles l’ont cru.
- Tu exagères un peu, non ? Moi, quand mes parents ont été assassinés, il s’est trouvé quelqu’un pour m’adopter. J’ai un père, une mère. Pour ces enfants aussi, ça pourrait être le cas.
Xahra haussa les épaules.
- Ils ont presque tous de parents, Lucas. Tu veux les rencontrer ?
La mondialisation s’était emparée de ce coin d’Afrique, les sociétés minières du bout du monde y avaient débarqué pour exploiter de l’or qu’elles revendaient à l’autre bout du monde. L’instituteur, lui, semblait figé au milieu du siècle.
L’épopée de Juju prenait un tour amer. Il y dénonçait les vols de nouveau-nés justifiés par des motifs humanitaires : l’Occident voulait sauver les enfants de guerres qu’il avait lui-même déclenchées pour s’enrichir. Il aurait voulu rire du « droit à l’enfant » que les couples blancs s’inventaient, alors que les gamins comme leurs parents n’avaient même pas eu droit à une vie. L’Europe pillait à la fois les mines et les mineurs d’âge, avec la complicité de l’élite africaine.
- C’est là qu’est née notre rage, dit Juju en dévisageant Siméon puis Lucas.
Après tout , peut - être certains prêtres , certains rabbins et imams sont-ils des alliés fréquentables lorsqu'il s'agit de replacer l'homme au centre de la vie .
En enfer, de drôles de choses se produisent, on serait étonné de voir qui souffle sur les braises.
Il est des heures où le journaliste, submergé par le chaos qu’il est censé décrire, n’est plus qu’un être humain, ballotté comme les autres par les mouvements de troupes et la peur des balles.
Comment évoquer le pire sans exhumer, dans un même mouvement le meilleur ? Dans le lit de la rivière, il y avait des cailloux et des galets, secs et blancs au soleil, et l’eau était roide, et fuyait, rapide et bleue dans les courants. J’ai revisité ces pages ensoleillés jusqu’à brûler leur souvenir, et cependant : quel qu’en soit le jugement de l’Histoire, mai 2004 demeure à mes yeux le temps de l’adieu aux armes, un printemps de brocard faufilé des ors d’un amours neuf.
– T u m’aimes ?
La question-valise, sans objet pour les couples
sans histoires, mais toute une histoire pour les couples
devenus sans objet.