Nous continuons notre rentrée littéraire de printemps avec Gilles Moraton, pour "Marconi en personne", roman paru aux éditions Piranha.
Modération Alain Monnier, auteur
Merci à la librairie Sauramps pour son accueil.
Il ne lui parlait presque pas, et les gestes de tendresse lui étaient aussi familiers que la psychologie du mérou.
La vie ne se partage pas, on a la sienne, celle des autres est un monde abstrait et inimaginable.
Tous les problèmes des gens qui n'ont pas de problèmes sont terriblement ennuyeux.

Seul on est comme un poisson rouge dans un bocal, on tourne en rond et on voit le monde autour déformé et effrayant à cause du bocal. (P38)
(au sujet du cancérologue) : Des fois je me demande s'il me voit ou s'il n'aperçoit qu'un tas de cellules qui se trémoussent sur la chaise en face de lui. (P.46)
(et encore) Ils savent juste mieux faire semblant (de savoir) et surtout ils préfèrent passer pour des hommes importants plutôt que pour des imbéciles. (P.91)
(la mort) C'est dur de se quitter. On a beau s'y préparer, ne pas être fier de soi, ne pas s'aimer beaucoup, il n'empêche que les séparations font oublier tout ce qui n'était pas bien avant. Et puis il y a aussi ceux qui ont des remords et qui sont bien embêtés de partir avant d'avoir réparé, mais les plus nombreux sont ceux qui ont juste le regret de n'avoir pas profité davantage et repris de tout, en général ceux-là trouvent que ce n'est pas juste de mourir alors que souvent c'est leur vie qui n'était pas juste. (P115)
En fait j'ai compris que dans la vie il vient toujours un jour où l'on est obligé de se dire qu'il est trop tard, qu'on ne peut plus rien changer, qu'il reste peut-être vingt ou trente années à vivre mais qu'elles serviront à rien, parce qu'on pourra juste faire pareil qu'avant. (P 123)
Ma vie c'est ça... comme la fontaine de Trévi à Rome mais sans les projecteurs et sans Anita Ekberg, juste l'obscurité et les pantalons mouillés et l'eau froide qui glace jusqu'à l'os quand on sort. (P126)
Moi ça me semble incroyable car pour être amoureux d'une femme il faut beaucoup de temps et des paroles douces. Ça peut pas se faire à la va-vite. (P 161)
Le bonheur est innocent et imprévoyant. (P 162)
(Sagesse !) Dans la vie on croise des personnes qui nous aident et à qui on ne rend rien parce que ce n'est pas le moment, parce qu'elles repartent trop vite, mais on rendra à une autre qui se présentera et qui ne nous rendra rien parce qu'elle même... Je crois à cette chaine mystérieuse qui, par delà les petits services entre amis, fonctionne avec le hasard dès lors qu'un fond de bonté nous anime... (P182)
(...) Il faut faire le deuil de soi-même avant de partir quand nos amis feront le leur après notre départ. (P182)
Il n'y a ni grandeur ni petitesse dans la vie; elle passe comme un songe qui laisse un vague goût dans la bouche. Comme une caresse minuscule qui vous effleure le bras" (P188)
On a toujours le choix. Et quand on aime il est encore plus facile de choisir.
Le vent tord la garrigue au gré de son souffle, et tout ce monde du ras du sol s'agite comme une foule paniquée, éternellement aux prises avec la tristesse et la froidure. Dans le cimetière officiel du village, entre les silhouettes des hauts cyprès sombres, on entend geindre le vent. Il brise les crucifix mal attachés et roule les graviers blancs qu'on a étendus sur les tombes anonymes des juifs, devant la plaque peinte à la chaux. Sans nom.
Comme les deux pages d’une Bible ouverte, vide de mots, vide de sens, à jamais silencieuse. Les noms ont été gravés plus loin dans un morceau de marbre. Avec le jour de leur mort. Rien sur leur âge, rien sur leur nationalité.
Qui saura jamais si Lina Zivi avait soixante ans, six ans ou six mois ?
Il pense aux chemins qui conduisent au bonheur. Il faut des péripéties, des attentes, des tergiversations, des reculades. Que vaut ce que l'on obtient sans effort, ce que l'on chaparde d'un tour de main ou ce qui nous est offert avant même que nous l'avons rêvé ?
La sympathie, l'amitié, l'amour rendent vulnérables et nous encouragent à céder là où l'on eût pour soi résisté.
La mort est un grand moment d’égalité et de justice. Et cette justice sur terre est la plus belle chose qui puisse être. C’est un immense soulagement qui console de la vie difficile et des envies pour rien, et aussi des hommes avides qui prennent tout pour eux.
Bien sûr, tout n'a pas été dit sur le frigo. Des points non négligeables n'ont pas été abordés, tel le phénomène bien connu des hommes qui ne trouvent jamais rien dans les réfrigérateurs, et l'explication controversée qui prétend que ce sont des chasseurs et que leur regard est exercé depuis la nuit des temps, à se porter au loin pour apercevoir le gibier et non sur l'étagère du réfrigérateur pour dénicher la cuisse de poulet derrière le pot de confiture. Ou encore le cas de l'enfant asphyxié à l'intérieur d'un frigo pour avoir voulu vérifier si la petite lumière s'éteignait vraiment une fois la porte refermée.