Théâtre
Matthieu GALEY, Guy DUMUR, Gilles SANDIER parlent de :
- "
Turcaret", d'
Alain René LESAGE, mis en scène par Jacques DAVILA (
Festival du Marais).
- "L'Etourdi", de
MOLIERE, mis en scène par Jean Louis THAMIN (TEP).
- "La Maison du père" ("Min Far Hus") de
Eugenio BARBA par la Compagnie
danoise Odin Teatret en hommage à
Fédor Dostoïevski (Théâtre de la Cité...
Un bel esprit n'est pas nécessaire pour faire son chemin.
TURCARET.
la justice est une si belle chose, qu'on ne saurait trop cher l'acheter.
Je n’étais nullement fâché d’avoir renoncé à la médecine ; au contraire, je demandais pardon à Dieu de l’avoir exercée. Je ne laissai pas de compter avec plaisir l’argent que j’avais dans mes poches, bien que ce fût le salaire de mes assassinats.
Vive Dieu ! s’écria-t-il, partons donc en diligence ; car ce docteur est si expéditif, qu’il ne donne pas le temps à ses malades d’appeler des notaires. Cet homme-là m’a bien soufflé des testaments.

FRONTIN : Madame, vous allez bientôt avoir la fille dont je vous ai parlé.
LA BARONNE : Monsieur, voilà le garçon que je veux vous donner.
M. TURCADET : Il paraît un peu innocent.
LA BARONNE : Que vous vous connaissez bien en physionomie !
M. TURCADET : J'ai le coup d'œil infaillible. Approche, mon ami ; dis-moi un peu, as-tu déjà quelques principes ?
FRONTIN : Qu'appelez-vous des principes ?
M. TURCADET : Des principes de commis ; c'est-à-dire, si tu sais comment on peut empêcher les fraudes, ou les favoriser ?
FRONTIN : Pas encore, Monsieur ; mais je sens que j'apprendrai cela fort facilement.
M. TURCADET : Tu sais au moins l'arithmétique ? Tu sais faire comptes à parties simples ?
FRONTIN : Oh oui, Monsieur, je sais même faire des parties doubles. J'écris aussi de deux écritures, tantôt de l'une, tantôt de l'autre.
M. TURCADET : De la ronde, n'est-ce pas ?
FRONTIN : De la ronde, de l'oblique.
M. TURCADET : Comment, de l'oblique ?
FRONTIN : Hé oui, d'une écriture que vous connaissez, là, d'une certaine écriture qui n'est pas légitime.
TURCADET, Acte II, Scène 4.
Je trouvai Aurore en déshabillé. Je la saluai fort respectueusement et de la meilleure grâce qu’il me fut possible. Elle me reçut d’un air riant, me fit asseoir auprès d’elle malgré moi, et dit à son ambassadrice de passer dans une autre chambre. Après ce prélude, qui ne me déplut point, elle m’adressa la parole : Gil Blas, me dit-elle, vous avez dû vous apercevoir que je vous regarde favorablement et vous distingue de tous les autres domestiques de mon père ; et, quand mes regards ne vous auraient point fait juger que j’ai quelque bonne volonté pour vous, la démarche que je fais cette nuit ne vous permettrait pas d’en douter.
Je ne lui donnai pas le temps de m’en dire davantage. Je crus qu’en homme poli je devais épargner à sa pudeur la peine de s’expliquer plus formellement.
LIVRE IV, Chapitre II : Comment Aurore reçut Gil Blas et quel entretien ils eurent ensemble.

LETTRE X
D’un provincial qui est à Paris pour procès, à un de ses parents, à Saint-Lô.
Vous me demandez, cousin, comment je vis à Paris, depuis que j’y poursuis le procès qui me retient. Pour contenter votre curiosité, je vous dirai que j’y passe le temps fort agréablement. J’emploie toute la matinée à faire ma cour à mon procureur et à ses clercs. Ensuite je reviens dîner à mon auberge avec deux vieux plaideurs, Manceaux, dont l’entretien est très instructif pour un jeune normand, qui s’affectionne à la procédure. Après un repas de la dernière frugalité, je vais au café, qui est un lieu fort convenable à tout provincial qui n’a point de connaissance à Paris.
Vous qui n’êtes jamais sorti de l’enceinte de Saint-Lô, vous ne sauriez avoir une idée juste de ces sortes d’endroits. Je vais vous faire une peinture fidèle de deux célèbres cafés que je fréquente, vous pourrez juger par-là des autres.
Dans l’un, vous voyez dans une vaste salle ornée de lustres et de glaces, une vingtaine de graves personnages, qui jouent aux dames ou aux échecs sur des tables de marbres, et qui sont entourés de spectateurs attentifs à les voir jouer.
Les uns et les autres gardent un si profond silence, qu’on entend dans la salle aucun bruit que celui que font les joueurs en remuant leurs pièces. Il me semble qu’on pourrait justement appeler un pareil café, le café d’Harpocrate.
Véritablement c’est un endroit où l’on peut dire qu’on est comme dans une solitude, quoique l’on soit avec soixante personnes.
J’admire le train de la vie humaine. Nous plumons une coquette, la coquette mange un homme d’affaires, l’homme d’affaires en pille d’autres : cela fait un ricochet de fourberies le plus plaisant du monde.
Il ne faut pas mettre dans une cave un ivrogne qui a renoncé au vin.
Tu vas, mon enfant, poursuivit-il, mener ici une vie bien agréable ; car je ne te crois pas assez sot pour te faire une peine d'être avec des voleurs. Eh ! voit-on d'autres gens dans le monde ? Non, mon ami, tous les hommes aiment à s'approprier le bien d'autrui. C'est un sentiment général. La manière seule en est différente. Les conquérants, par exemple, s'emparent des États de leurs voisins. Les personnes de qualité empruntent et ne rendent point. Les banquiers, trésoriers, agents de change, commis, et tous les marchands, tant gros que petits, ne sont pas fort scrupuleux. Pour les gens de justice, je n'en parlerai point. On n'ignore pas ce qu'ils savent faire. Il faut pourtant avouer qu'ils sont plus humains que nous ; car souvent nous ôtons la vie aux innocents, et eux quelquefois la sauvent aux coupables.