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Citations de Alain Robbe-Grillet (88)


C’était une fine cordelette de chanvre, en parfait état, soigneusement roulée en forme de huit, avec quelques spires supplémentaires serrées à l’étranglement. Elle devait avoir une bonne longueur : un mètre au moins, ou même deux. Quelqu’un l’avait sans doute laissé tomber là par mégarde, après l’avoir mise en pelote en vue d’une utilisation future – ou bien d’une collection.
Mathias se baissa pour la ramasser.
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A travers ses discours embrouillés, Boris finit par l'identifier comme un rabatteur de l’Église qui cherchait à acheter sa voix pour les élections prochaines ; comme il s'étonnait de voir ce procédé encore en vigueur, l'autre exprima ouvertement sa satisfaction à ce sujet : en dernière analyse, les chefs avaient estimé que c'était plus sûr. Ainsi, rien n'était changé de l'ancien système, les prix eux-mêmes, disait-il, se trouvaient rétablis au niveau antérieur.
Page 148 (édition J'ai Lu 1985)
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Maintenant, c’est la voix du second chauffeur qui arrive jusqu’à cette partie centrale de la terrasse, venant du côté des hangars ; elle chante un air indigène, aux paroles incompréhensibles, ou même sans paroles.
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Alain Robbe-Grillet
Nous en a-t-on assez parlé, du personnage ? ...
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La rue des Arpenteurs est une longue rue droite, bordée de maisons déjà anciennes, de deux ou trois étages, dont les façades insuffisamment entretenues laissent deviner la modeste condition des locataires qu’elles abritent: ouvriers, petits employés, ou simples marins pêcheurs.

Les boutiques n’y sont pas très reluisantes et les cafés eux-mêmes sont peu nombreux, non que ces gens-là soient particulièrement sobres mais plutôt parce qu’ils préfèrent aller boire ailleurs.
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J'ai trouvé tout de suite une place libre dans un compartiment, à la portière coulissante entrouverte, dont mon irruption imprévue a visiblement troublé l'atmosphère. Je ne dirais pas « le calme », car il devait s'agir plutôt d'une discussion enfiévrée, peut-être violente, à la limite comminatoire de l'empoignade. Il y avait là six hommes, en raides manteaux de ville avec des chapeaux noirs assortis, qui se sont immobilisés d'un seul coup à mon entrée, dans la posture où je venais de les surprendre ; l'un s'était mis debout, les deux bras levés au ciel dans un geste d'imprécation ; un autre, assis, tendait le poing gauche, coude à demi replié ; son voisin pointait vers lui ses deux index, de part et d'autre de la tête, imitant les cornes du diable ou d'un taureau prêt à charger, un quatrième se détournait avec un air de tristesse infinie, tandis que son vis-à-vis penchait le buste en avant pour se prendre le visage à deux mains.
(page 16)
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Combien de lecteurs se rappellent le nom du narrateur dans La Nausée ou dans L'Étranger ? Y a-t-il là des types humains ? Ne serait-ce pas au contraire la pire absurdité que de considérer ces livres comme des études de caractère ? Et Le Voyage au bout de la nuit, décrit-il un personnage ? Croit-on d'ailleurs que c'est par hasard que ces trois romans sont écrits à la première personne ? Beckett change le nom et la forme de son héros dans le cours d'un même récit. Faulkner donne exprès le même nom à deux personnes différentes. Quant au K. du Château, il se contente d'une initiale, il ne possède rien, il n'a pas de famille, pas de visage ; probablement même n'est-il pas du tout arpenteur.
On pourrait multiplier les exemples. En fait, les créateurs de personnages, au sens traditionnel, ne réussissent plus à nous proposer que des fantoches auxquels eux-mêmes ont cessé de croire. Le roman de personnages appartient bel et bien au passé, il caractérise une époque : celle qui marqua l'apogée de l'individu.
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Dans la pénombre de la salle de café le patron dispose les tables et les chaises, les cendriers, les siphons d’eau gazeuse ; il est six heures du matin.
Il n’a pas besoin de voir clair, il ne sait même pas ce qu’il fait. Il dort encore. De très anciennes lois règlent le détail de ses gestes, sauvés pour une fois du flottement des intentions humaines ; chaque seconde marque un pur mouvement : un pas de côté, la chaise à trente centimètres, trois coups de torchon, demi-tour à droite, deux pas en avant, chaque seconde marque, parfaite, égale, sans bavure. Trente et un. Trente-deux. Trente-trois. Trente-quatre. Trente-cinq. Trente-six. Trente-sept. Chaque seconde a sa place exacte.
Bientôt malheureusement le temps ne sera plus le maître. Enveloppés de leur cerne d’erreur et de doute, les événements de cette journée, si minimes qu’ils puissent être, vont dans quelques instants commencer leur besogne, entamer progressivement l’ordonnance idéale, introduire ça et là, sournoisement, une inversion, un décalage, une confusion, une courbure, pour accomplir peu à peu leur oeuvre : un jour, au début de l’hiver, sans plan, sans direction, incompréhensible et monstrueux.
Mais il est encore trop tôt, la porte de la rue vient à peine d’être déverrouillée, l’unique personnage présent en scène n’a pas encore recouvré son existence propre. Il est l’heure où les douze chaises descendent doucement des tables de faux marbres où elles viennent de passer la nuit. Rien de plus. Un bras machinal remet en place le décor.
Quand tout est prêt, la lumière s’allume…
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Boris y travaille dans une vaste usine où je reconnais sans aucune peine, à de nombreux détails, la Maschinenfabrik-Augsburg-Nürnberg (M.A.N.) dans laquelle j’ai moi-même appris et pratiqué, pendant la guerre, le métier d’ouvrier tourneur. (...)

Sur une poutrelle de la toiture, au-dessus de moi, était peint en lettres géantes ce slogan sévère, qui s’adressait aussi aux ouvriers allemands: «Du bist ein Nummer und dieses Nummer ist nul» (Tu es un numéro et ce numéro c’est zéro). C’est peut-être d’abord contre cette loi inacceptable que mon régicide se révolte: le crime politique majeur – tuer le roi – c’est une méthode sûre pour se faire reconnaître comme individu.
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Dehors, les corbeaux, dérangés dans leurs occupations familiales par une brusque querelle de clans, se mettent soudain à croasser tous ensemble avec fureur.
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qui lui permet, par un glissement étrange, de planter de nouvelles banderilles dans le dos de la vérité, au nom de laquelle se fabriquent les massacres: selon la vérité officielle, celle qui sous d’autres cieux envoie mourir au bagne les historiens que leur mauvais génie pousse à se demander comment le cuirassé Aurore a pu tirer sur le Palais d’hiver, puisqu’il n’était pas à Leningrad en ces glorieuses journées d’octobre, alors qu’on nous le montre bel et bien amarré au quai de la Néva face au palais, à sa juste place, et repeint tous les ans à neuf (la vérité, pour ne pas s’écailler, a besoin d’être régulièrement repeinte), selon donc le discours reçu, la France est d’abord apparue – c’était à la Libération – comme une nation de héros dressés contre l’occupant dès l’armistice dans une résistance quasi unanime, position difficilement tenable mais qui a pu survivre plus de dix ans sans déclencher ni rires ni protestations trop vives.

Puis voilà que tout change brusquement: la France n’a été qu’un troupeau de lâches et de traîtres qui a vendu son âme et l’ensemble du peuple juif pour une seule bouchée de pain noir.
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Sans doute est-ce toujours le même poème qui continue. Si parfois les thèmes s'estompent, c'est pour revenir un peu plus tard, affermis, à peu de choses près identiques. Cependant, ces répétitions, ces infimes variantes, ces coupures, ces retours en arrière, peuvent donner lieu à des modifications -bien qu'à peine sensibles- entraînant à la longue fort loin du point de départ (p.101).
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Et puis, qu'on ne vienne pas m'embêter avec les éternelles dénonciations de détails inexacts ou contradictoires. Il s'agit, dans ce rapport, du réel objectif, et non d'une quelconque soi-disant vérité historique.
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Un personnage, qui marche sans
faire aucun bruit sur le tapis d'humus,
est apparu sur la droite, se dirigeant
vers l'eau. Il s'avance jusqu'au bord
et s'arrête. Comme il a le soleil juste
dans les yeux, il doit faire un pas de
côté pour se protéger la vue.
Il aperçoit alors la surface rayée de
la mare. Mais, pour lui, le reflet des
troncs se confond avec leur ombre
_ partiellement du moins, car les ar-
bres qu'il a devant soi ne sont pas
bien rectiligne. Le contre-jour conti-
nue d'ailleurs à l'empêcher de rien
distinguer de net. Et il n'y a sans
doute pas de feuilles de chêne à ses
pieds.
C'était là le but de sa promenade.
Ou bien s'aperçoit-il, à ce moment,
qu'il s'est trompé de route? Après
quelques regards incertains aux alen-
tours, il s'en retourne vers l'est à
travers bois, toujours silencieux, par
le chemin qu'il avait pris pour venir.
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"Comment un roman [...] qui met en scène un homme et s'attache de page en page à chacun de ses pas, ne décrivant que ce qu'il fait, ce qu'il voit et ce qu'il imagine, pourrait-il être accusé de se détourner de l'homme ?" Nouvelle Revue Française, 1958.
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Pourquoi la jeune fille aurait-elle parlé de lui sinon parce qu'elle l'avait aperçu cheminant sur la la lande - "sous" le tournant - où rien ne justifiait son passage ? Le fait qu'il ne l'ait pas vue, lui-même, ne s'expliquait que trop aisément.
Leurs deux sentiers, séparés l'un de l'autre par des ondulations de terrain assez importantes, ne possédaient que de rares point privilégiés depuis lesquels deux observateurs pouvaient se découvrir mutuellement.A un moment donné ils avaient occupé, elle et lui, des positions favorables ; mais elle seule s'était alors tournée dans la direction voulue, si bien que la réciprocité du regard n'avait pas joué.
Il suffisait que juste à cet instant Mathias ait eu les yeux ailleurs - au sol, par exemple levés vers le ciel, ou dans n'importe quelle orientation, hormis la bonne.

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Il fait si noir que personne ne saurait dire si elle a ou non un livre entre les mains.
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La mer! Bien avant de l'avoir vue pour la première fois, la mer,
j'en avais souvent rêvé dans mon enfance. La mer,
c'est une étendue plate et tranquille, peinte d'un bleu uniforme,
sur laquelle on peut courir autant qu'on en a envie, commodément,
sans se mouiller. Contrairement à l'eau des ruisseaux
et des rivières, où il faut se contenter de tremper avec méfiance
le bout des pieds (plus haut, c'est très dangereux), on marche
à la surface de la mer sans y enfoncer ni laisser la moindre trace;
et l'on s'avance ainsi en glissant comme dans les songes,
éprouvant aussi peu de résistance que de fatigue, jusqu'à l'horizon,
qui n'est pas du tout si loin qu'on dit.
Alors on découvre ce qu'il y a de l'autre côté…
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La Jalousie s'adresse à un lecteur curieux capable de comprendre la notion de point de vue en littérature . On ne saura rien de celui qui observe et décrit, ni son nom, ni sa situation. le quatrième de couverture nous dit que c'est un mari qui surveille sa femme, mais ce pourrait être aussi bien un fantôme dont on dresse le couvert. Il ne parle pas, on l'ignore, il ne fait pas de bruit.
Il décrit les choses et les êtres. C'est un regard qui constate la présence mais aussi l'absence.
La topographie de la plantation est si soigneusement décrite qu'on a l'impression d'y avoir demeuré. Il capte des détails pour capturer le réel.
Il observe le jeu de séduction entre A..., la femme du récit, dont la féminité attire le regard, et Franck, le propriétaire d'une plantation voisine, qui vient sans son épouse Christiane, prendre l'apéritif ou dîner. Ils sont servis par le boy. Les soirées se finissent dans l'obscurité complète sur la terrasse.
Il y a une attention extrême à ce que nous voyons tous les jours. Les détails infimes auxquelles nous ne prêtons pas attention. Une volonté de saisir le monde avec des phrases. En le pétrifiant dans des paragraphes, on le possède, on a un pouvoir sur lui. le fait de décrire ou de se souvenir de choses auxquelles les autres ne prêtent pas attention donne un sentiment de maîtrise. Mais on a jamais accès aux pensées de l'autre. On ne peut que deviner, se tromper peut-être.
Les visions, les obsessions se succèdent. Jusqu'à brouiller la chronologie. La scène du scutigère écrasé, le cognac versé, les ouvriers à l'extérieur, les sons des grillons, la femme à sa coiffeuse, la main aux doigts effilés... Comme dans un esprit jaloux qui traque les mêmes souvenirs, les mêmes scènes. Ce que fait le "regard" du récit, tout amoureux obsessionnel a pu rêver de le faire. Saisir la moindre image fugace d'un être aimé et l'épingler avec des mots, comme pour en épuiser le mystère.
On ne va pas mentir, ce n'est pas un livre qui vous emporte mais c'est une expérience de lecture que je ne regrette pas d'avoir fait. Il me reste des images très fortes, la plantation, la maison, l'acuité du regard du narrateur. Une immobilité qui ressemble à celle de notre vie de tous les jours. Nos moments de vide dans une journée, l'ennui sans lequel les moments forts n'auraient pas la même valeur.
Si nous réfléchissons un peu, ce roman qui semble expérimental est au fond plus proche de nos vies que d'autres. Nous vivons chaque jour de manière répétitive, sans trop de péripéties, nous voyons chaque jour les mêmes choses, que ce soit les rituels des gens autour de nous ou cette reproduction au mur, ou la forme des objets usuels, ou cette fissure dans un mur, cette tache sur la route....Alors ce récit qui se passe dans les colonies prend donc une valeur universelle. D'ailleurs, c'est un livre que je conseillerai aux apprentis écrivains qui peuvent s'inspirer des techniques de description ultra précises de Robbe-Grillet.
Lien : HTTP://KILLING-EGO.BLOGSPOT...
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Allongé sur le dos, les bras inertes, je pouvais jouir avec intensité tout en demeurant pour ainsi dire absenté de moi-même. J'étais comme un bébé à moitié endormi que sa mère déshabille, lave longuement jusque dans les moindres recoins, rince, frictionne, saupoudre de talc, qu'elle répartit ensuite avec une duveteuse houppette rose, tout en me parlant avec douceur et autorité, musique rassurante dont je ne cherche même pas à percer le sens qui m'échappe... Tout cela continue, à la réflexion, de me paraître absolument contraire à ce que je crois savoir de ma nature, d'autant plus que cette amante maternelle est beaucoup plus jeune que moi : elle a trente-deux ans et j'en ai quarante-six ! Quel genre de drogue – ou de philtre – contenait donc mon faux coca-cola ?
Page 162
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