Alain Vircondelet vous présente son ouvrage "
Albert Camus et la guerre d'Algérie : histoire d'un malentendu" aux éditions Rocher.
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Il regarde son genou. Il voit l’étrangeté violacée, marbrée de roses éteints ou vifs soudain comme aux petites aubes ardennaises. C’était dans ses marches de pèlerin que tout le mal s’était tissé. À force de mauvais traitements, de cette envie qui le harcelait toujours d’avancer , d’aller plus loin. Pas seulement à cause des armes à livrer, pas seulement pour faire fortune, mais pour ce désir secret de repousser l’horizon, de connaître la vraie nature du Voyage.
Très tôt, il se le rappelle, ça avait commencé, cette envie de partir, de tout oublier, d’accéder aux prairies immenses où l’on erre, aux océans profonds comme des abysses, aux vertigineux silences des déserts.
Ce que je voulais, moi, c’est aller jusqu’aux sources de l’or, aux mines de pierres précieuses, au-delà de toutes les montagnes, où jamais il n’a été question de salut et de péché, mais où l’existence est seulement libre de tous préjugés, sans connaissance, près des naissances. Seul sur ce grabat où pas même un drap de lin n’est supportable, je crois encore à l’innocence sauvage. À cette vie déliée, ivre de lumière.
Désormais, c’est la morphine qui fait sa loi, occupe le terrain. Elle s’est bien installée dans son corps qui la réclame sans cesse. Ce qu’il veut, c’est cette ouate qui étouffe tout, opacifie l’esprit, les douleurs, arrondit les élancements de la tumeur.
Ils sont graves et sombres. Le sale travail de l’amputation va commencer. C’est l’histoire du corps qui se morcelle, de l’intégrité de la chair altérée, de la perfection détruite.
Le silence du fils, la fâcherie avec son autre garçon, la mort de sa petite et la maladie d’Isabelle, l’accablaient, mais elle puisait des énergies au plus profond de cette terre ardennaise, sauvage et résistante aux froids, aux gelées, aux neiges. La leçon de l’existence, elle l’avait acquise à regarder pousser les blés, une année perdue, une autre gagnée, les blés tantôt coulants, comme de l’or tantôt broutés par les orages. Mais c’est Dieu qui veut, disait-elle, et cette simple acceptation lui redonnait courage.
Il se tourne avec mille difficultés sur sa couche. Il ne supporte plus la couverture parce qu’elle pèse sur le genou malade, mais le froid de la nuit dans le grand large exige de se couvrir.
Plus besoin d’écrire des rinçures, Rimbaud, tu n’as jamais fait qu’avancer obscurément dans le poème, tu n’as jamais quitté la poésie, toi seul le sais, puisque la poésie est le chant sans les mots d’où advient le silence, par quoi tu peux tout comprendre, tout explorer, tout relier.
Dora rêvait de cette vie entièrement vouée à l'art, dans ce "cocon" où seuls Picasso et elle existeraient , à l'abri des autres, loin de ceux qui propageaient des rumeurs, les épiaient, espéraient déjà la fin de leur liaison. Elle disait un "cocon" mais au fond d'elle-même, elle n'y croyait pas trop. Elle savait qu'il s'agissait plutôt d'une arène, quelque chose qui serait mortel à la fin de la partie.
Giacometti pensait que la peinture pouvait être un moyen infini de connaître l'homme et la nature. C'est pourquoi il s'était remis au sujet, au visage après sa période surréaliste. André Breton ne lui pardonna jamais ce qu'il estimait être une trahison. Giacometti persista.
(...) Giacometti avait quelque chose de religieux, de profondément sacré dans sa démarche. Cela me touchait extrêmement. "Tout le monde sait ce qu'est une tête", lui avait dit Breton, balayant d'un revers de sa main les dessins de Giacometti. Et Alberto avait répondu avec une humilité émouvante : "Moi, non, je ne sais pas !" Et pourtant ses dessins atteignent à des vérités profondes, il a su tirer de ses modèles la grâce des instants, des climats. Il conjuguait à la fois la rigueur sublime des Anciens et l'émotion vive d'un moment. À la fois le passage et l'éternité. Comment un homme comme André Breton pouvait-il être étranger à une telle intensité ?