J`ai toujours été fasciné par les légendes, les folklores, les mythes et notamment la mythologie nordique même si tous les types de mythologies m`intéressent, d`où qu`ils viennent. C`est par ce biais que j`ai appréhendé la littérature fantastique. Cela a été ma porte d`entrée vers ce genre et l`objet de mes premiers dessins.
Je devais avoir 17 ans quand j`ai découvert l`oeuvre de Tolkien. Je travaillais comme jardinier dans un cimetière quand un ami m`a donné le livre Le Seigneur des Anneaux. J`ai immédiatement été fasciné par le livre qui semblait réunir tout ce que j`aimais. En le lisant, j`avais l`impression d`entrer dans un monde nouveau mais que je connaissais déjà, dans lequel j`avais, d`une certaine façon, déjà vécu.
Je pense que c`est l`un des textes les plus importants de Tolkien. C`est une histoire à laquelle il revenait sans cesse, quelles que soient les étapes de sa vie. Pour autant, je ne pense pas que les différentes versions aient été conçues comme des essais ou des brouillons. Il ne cherchait pas son style ou bien la meilleure façon, la façon définitive de raconter cette histoire. Je pense qu`il voulait véritablement explorer toutes ses facettes.
C`est d`ailleurs ce qui est fascinant avec cette édition de Beren et Lúthien : d`un côté on assiste à la naissance d`un mythe ainsi qu`à ses différentes variations, et de l`autre on assiste à l`histoire de sa fabrication avec ses modifications plus ou moins importantes et signifiantes.
La poignante histoire racontée dans Beren et Lúthien est née de son expérience personnelle. Il se trouve en Angleterre en 1917 pendant la première guerre mondiale. En poste dans le Yorkshire et déprimé par la guerre, il est rejoint par sa femme qui, lors d`une promenade dans un jardin, se met à danser. Cette danse va profondément le marquer. [NDLR : Sur la tombe de sa femme, il écrira d`ailleurs le nom de Luthien, rejoint quelques années plus tard par celui de Beren].
J`ai pensé un moment à refléter le caractère personnel de cette histoire en donnant par exemple les traits de Tolkien et de sa femme aux personnages principaux mais je me suis rendu compte que cela n`était pas nécessaire, que cela n`apportait rien aux illustrations. Le lecteur peut se pencher sur l`importance de cette histoire dans la vie de l`auteur s`il le souhaite mais je n`avais pas à “forcer” outre mesure cette association.
Je tenais à ce que les illustrations épousent, pour le lecteur, la lecture du texte. Ce n`est pas toujours possible de faire cela, de véritablement accompagner le récit tout le long du texte mais je trouve toujours frustrantes les éditions dans lesquelles le lecteur se retrouve face à des dessins qui illustrent des passages à venir.
Mon travail est vraiment d`être au service de l`histoire sans interférer avec elle. Il s`agit d`illustrer les passages importants sans ajouter d`autres éléments. Cela peut ainsi se comparer à une musique d`atmosphère : il faut aider le lecteur à saisir l`ambiance et le ton du livre. Cela implique forcément une grande fidélité avec le texte.
A travers mes éditeurs anglais, j`ai posé de nombreuses questions et leur ai donné différentes versions de mes dessins afin d`avoir le plus de retours possible de Christopher Tolkien. L`histoire de Beren et Lúthien est très importante pour lui. Je voulais donc absolument écarter tous les dessins qu`il ne voulait pas et garder ceux qui lui plaisaient. Il y a, en ce sens, une certaine dimension de collaboration. Encore une fois, l`illustrateur est au service de l`histoire et du texte et c`est Christopher Tolkien qui est le garant de cet ouvrage.
Je ne pense pas, par ailleurs, avoir fait appel à d`autres textes que ceux présents dans le livre. Etant donné l`importance des animaux dans ce récit, j`ai cependant beaucoup regardé d`ouvrages animaliers. L`idée était d`emmagasiner le plus d`informations possible pour mes propres illustrations sans les surcharger.
Oui, c`est un immense chien très attachant qui joue un rôle important dans l`histoire puisqu`il aide les deux héros dans leurs aventures. C`est grâce à lui que Lúthien délivre Beren, alors prisonnier de Tevildo. En lisant le texte, je me représentais une sorte de “hellhound”, un chien légendaire issu de différents folklores du nord de l`Europe. C`est d`ailleurs une référence de Tolkien pour ce personnage.
C`est en effet, pour ceux qui ne connaissaient pas l`histoire originale, l`une des grandes surprises de ce livre et qui le rend d`autant plus intéressant. C`est tout l`intérêt de lire une histoire à travers ses différentes versions. Dans les premières, on découvre que Beren est prisonnier d`un chat maléfique nommé Tevildo au service de Melko. Dans les versions ultérieures, le chat est remplacé par la personne -tout aussi maléfique- de Sauron. Mais la présence du chat n`est pas complètement effacée par la suite puisque Tolkien décrit l`Oeil de Sauron comme “entouré de feu, [...] jaune comme celui d`un chat, vigilant et fixe, et la fente noire de la pupille ouvrait sur un puits, fenêtre ne donnant sur rien”. Tevildo, malgré les couches successives apportées par Tolkien à ce récit au cours de sa vie, a donc survécu !
Si j`en ai l`opportunité, je continuerais volontiers à dessiner des scènes issues de son oeuvre dont nous n`avons certainement pas tout découvert. Je n`ai certes pas envie de m`enfermer dans cette oeuvre mais il est indéniable que l`on pourrait y passer une vie entière et y découvrir toujours de nouvelles choses.
J`ai cependant aussi d`autres territoires à explorer. En ce moment je travaille sur un projet autour de quelques uns des poèmes les plus anciens de la langue anglaise. Décidément, mon chemin ne cesse de croiser celui de J.R.R. Tolkien, puisque ce dernier était également un professeur de langue et de littérature anglaises et qu`il a beaucoup étudié ces poèmes.
C`est toujours extraordinaire de voir à quel point l`oeuvre a “conquis” le monde. De l`Angleterre à la Chine, Tolkien est admirablement accueilli. Peut-être que le film ainsi que les paysages de la Nouvelle-Zélande, qui ont un caractère "pur", presque vierge, a joué un rôle dans ce succès universel. Les gens ont pu accueillir l`oeuvre pour ce qu`elle est mais aussi y mettre un peu de leur propre imagination.
Le 12e épisode de la Voix des auteur(e)s est consacré à Alan Lee, illustrateur de l'oeuvre de JRR Tolkien ! Enregistré au Garage de Lille le 3 novembre 2022. Pour découvrir notre autre émission La voix des libraires, c'est par ici : https://smartlink.ausha.co/la-voix-des-libraires © Tous droits réservés / Groupe Furet du Nord - Decitre / 2022.
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