A Paris, tous les ans, le 15 août et le 5 mai, jours anniversaires de la naissance et de la mort de l’Empereur, des couronnes étaient religieusement déposées en grand nombre au pied de la colonne Vendôme. Pour accomplir cet acte de piété, les vieux soldats traversaient la capitale dans leurs tenues de jadis.
En province, l'image de Napoléon restait profondement gravée dans l'âme populaire. En 1840, il n'y avait pas une chaumière dans laquelle on ne put trouver un soldat des Pyramides, d'Austerlitz, de Saragosse, de la Moskowa ou de Waterloo. Les plus anciens continuaient de vouer leurs âmes affaiblies à un culte exclusif ; celui du créateur de cette Épopée où chacun d'eux avait joué un rôle. Ils s'auréolaient de cette gloire. Rien n'existait, en leur cerveau, hors cela, et ils radotaient inlassablement leurs souvenirs au milieu du respect des générations d’alors.
Le roi de Juillet escompta les gains qui résulteraient de cette apothéose pour sa dynastie, désormais héritière et protectrice des grands souvenirs nationaux. Il crut en M. Thiers qui l'engageait à prendre, au nom de la France, cette sorte de revanche contre les traités de 1815, et tous comptes faits, toutes chances évaluées, Louis-Philippe décida, le 1er mai 1840, en gracieux don de fête, d'accorder à M. Thiers la sépulture parisienne qu'il réclamait pour l’Empereur Napoléon.
En Angleterre, la nouvelle de la mort du prisonnier d’Hudson Lowe avait produit une impression plus générale et plus profonde. Les fonds publics montèrent rapidement et le baron Pasquier, notre ministre des Affaires étrangères, pouvait, le 12 juillet 1821, écrire à notre ambassadeur auprès du roi George, le comte de Caraman : « Nous voyons par les gazettes anglaises que cet événement a fait en Angleterre plus de sensation qu'en France. » Dès le 7 juillet, à Londres, des placards affichés dans les rues invitaient « tous ceux qui admirent le talent et le courage dans l'adversité » à prendre le deuil à l'occasion de la mort prématurée de Napoléon Bonaparte. Plusieurs Anglais de marque, et, au premier rang, sir Robert Wilson, ainsi que « quelques Français obscurs » résidant à Londres, avaient été les premiers a se conformer à cette invitation. Et le comte de Caraman, dans une longue missive au baron Pasquier, observait que « L’espèce d'intérêt qui s'attache aux destinées extraordinaires avait paru se réveiller à la nouvelle certaine de la mort de Napoléon ».
Hors de la phalange impuissante et misérable des demi-soldes, hors de l'armée dispersée des vieux soldats redevenus paysans et qui, longtemps, ne voudront pas croire à la mort de leur dieu, Napoléon était bien oublié chez nous lorsqu'il disparut définitivement de la scène du monde, et la nouvelle de sa fin qui, le vendredi 6 juillet 1821, était parvenue vers le soir à Paris et s’y était répandue dans la matinée du 7, avait été accueillie avec une indifference à peu près générale. Les témoignages ne manquent pas à ce sujet. «Sa mort naturelle, lit-on dans le journal La Foudre, « organe de la littérature, des spectacles et des arts » (numéro du 20 juillet 1821), n'a plus été qu'une nouvelle comme les autres. On en a parlé pendant deux ou trois jours comme de la pluie et du beau temps. Aujourd'hui, on n'y pense plus. »
(…) la question (du retour des cendres de Napoléon) est reprise à la Chambre, dans la séance du 13 septembre 1831.
« Napoléon, dit La Fayette, a comprimé l'anarchie : il ne faut pas que ses cendres viennent l’accroître aujourd'hui. »
Même résistance des pouvoirs en 1834 et en 1836. Les raisons de sentiment s’affirmaient impuissantes tant qu'elles ne seraient point soutenaes par le calcul politique.
Pour que le gouvernement de Louis-Philippe se décidât à ramener le corps de Napoléon « sur les bords de la Seine, au milieu de ce peuple français qu'il avait tant aimé », il fallut qu une lutte s'engageât entre le sultan de Turquie et son vassal Méhémet-Ali, et aussi que l'agitation « communiste » en France causât à la dynastie de Juillet des inquiétudes immédiates. Afin d'occuper la pensée nationale et de prévenir une insurrection populaire à laquelle on pensait toujours aux Tuileries, on allait promener parmi les foules les cendres reconquises de Napoléon.
Nous accueillons l'idée de la mort avec une résignation organisée. Nous ne nous demandons pas pourquoi la mort est inévitable. Nous savons qu'elle ne peut être évitée, nous admettons qu'elle soit, nous reconnaissons son rôle nécessaire de nettoyeuse et de régulatrice. Elle tient sa place dans notre vie d'affaires et dans notre vie mondaine. Elle nous oblige à des contacts qui n'existeraient pas sans elle. Elle nous impose des attitudes, des transfonnations morales. Elle alimente des industries et inspire à l'art des chefs-d'œuvre qui lui doivent leur immortalité. Donc la mort est dans la vie, d'où on ne peut l'exclure. On lui demande seulement de ne point exagérer la cruauté de ses fantaisies et de s'y comporter avec le plus d'honnêteté possible.
Or, en cette inoubliable nuit d'avril 1911, au Roc-Ferrand, la mort nous est apparue sans masque et sans excuse (sans même ce ricanement de justicière qu'on lui voit dans les danses macabres), mais si froidement perfide, lâche, atroce, qu'un ange, à l'instant de cette révélation, aurait douté du ciel.
(...) cette menue noblesse périgourdine dont une fable populaire disait: "Quand le diable eut distribué les titres qu'il avait dans sa besace, il secoua la poussière du sac sur les châteaux du Périgord".