L’écriture est très proche de ces moments d’attente suspendus où, dans le silence, les différents éclats du voyage viennent comme des morceaux de limaille se regrouper autour d’un noyau aimanté, compact et fixe.
——————-
On pourrait ne voir dans le voyage qu’un matériau littéraire qui fournit personnages, décors et histoires, mais ce serait mésestimer en lui la portée symbolique, mythique, voire mystique. C’est qu’il y a un mythe de la route comme il y a eu un mythe du château, du donjon, du royaume ; elle est le lieu même de l’apprentissage, le chemin – étroit – qui conduit à la révélation, à la vérité (…). Il y a dans tout voyageur un prince en demande de princesse, un frère à la recherche de la Rose de Thuringe, un chevalier en quête du Graal d’ailleurs disposé à prendre toutes les formes que lui fournira l’imagination.
—————————-
La littérature et le voyage peuvent facilement dérouter, mais c’est un risque qu’il faut accepter de prendre dès le départ ou disons plutôt qu’un départ sans ce risque menace serait comme vidé de sa substance et de ses posibilités de renouvellement.
—————————–
Il faut s’étonner toujours de l’endroit où l’on se trouvera le lendemain, du livre qu’on lira, de celui qu’il reste à écrire, avancer dans cette errance littéraire avec confiance, disponible comme les surréalistes lors de leurs promenades parisiennes aux surprises qui se cachent sans doute derrière chaque tournant, chaque carrefour.
Les quelques jours qui précèdent un départ, ralentis dans leur écoulement par le poids de l'attente, m'ont toujours plu au-delà de ce que je peux dire. C'est que je retrouve en eux un peu de la fébrilité qui précède l'arrivée d'un orage sur une ville asséchée et, dans l'épaisseur de la température, l'annonce des aéroports, des trains pour l'Orient, un début de solitude frôlant la sérénité.
Entre les chambres d’hôtel, identiques d’Istanbul à Pékin, et toutes les voix que nous ne comprenions guère, nous finissions pas trouver à Roscoff et Saint-Étienne un caractère d’étrangeté aussi prometteur que Kashgar ou Aden. Nous avions envie de pouvoir réentendre les gens, de pouvoir rattacher les paysages à une histoire plus ou moins connue et l’idée d’un voyage sans exotisme, à l’exotisme défloré, ne nous déplaisait pas. Ce que nous voulions aussi, c’était retrouver la route et ses penchants : cigarettes cérémonieuses posées le long du jour comme des balises, vent chaud, cheveux poussiéreux, villes inconnues, et la chaleur surtout, qui brûle les derniers restes d’orgueil. Alors, quand il a fallu partir, nous n’avons pas hésité longtemps.
Les voyages déposent au fond de la mémoire de ceux qui les ont faits une impression aux couches multiples où les livres lus, comme une couleur puissante, viennent irrémédiablement teinter le souvenir que l'on en gardera.