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Citations de Albert Cohen (1116)




Les autres mettent des semaines et des mois pour arriver à aimer, et à aimer peu, et il leur faut des entretiens et des goûts communs et des cristallisations. Moi, ce fut le temps d’un battement de paupières. Dites moi fou, mais croyez-moi. Un battement de ses paupières, et elle me regarda sans me voir, et ce fut la gloire et le printemps et le soleil et la mer tiède et sa transparence près du rivage et ma jeunesse revenue, et le monde était né, et je sus que personne avant elle, ni Adrienne, ni Aude, ni Isolde, ni les autres de ma splendeur et jeunesse, toutes d’elle annonciatrices et servantes.

…………

Volontaire bannie comme moi, et elle ne savait pas que derrière les rideaux je la regardais. Alors, écoutez, elle s’est approchée de la glace du petit salon, car elle a la manie des glaces comme moi, manie des tristes et des solitaires, et alors, seule et ne se sachant pas vue, elle s’est approchée de la glace et elle a baisé ses lèvres sur la glace. Ô ma sœur folle, aussitôt aimée, aussitôt aimée par ce baiser à elle-même donné. Ô élancée, ô ses longs cils recourbés dans la glace, et mon âme s’est accrochée à ses longs cils recourbés. Un battement de paupières, le temps d’un baiser sur une glace, et c’était elle, elle à jamais. Dites-moi fou mais croyez-moi. Voilà, et lorsqu’elle est retournée dans la grande salle, je ne me suis pas approché d’elle, je ne lui ai pas parlé, je n’ai pas voulu la traiter comme les autres.

……….



Ô elle dont je dis le nom sacré dans mes marches solitaires et mes rondes autour de la maison où elle dort, et je veille sur son sommeil, et elle ne le sait pas, et je dis son nom aux arbres confidents, et je leur dis, fou des longs cils recourbés, que j’aime et j’aime celle que j’aime, et qui m’aimera, car je l’aime comme nul autre ne saura, et pourquoi ne m’aimerait-elle pas, celle qui d’amour peut aimer un crapaud, et elle m’aimera, m’aimera, m’aimera, la non-pareille m’aimera, et chaque soir j’attendr
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Je la connais la douleur et je sais qu'elle n'est ni noble ni enrichissante mais qu'elle te ratatine et réduit comme tête bouillie et rapetissée de guerrier péruvien, et je sais que les poètes qui souffrent tout en cherchant des rimes et qui chantent l'honneur de souffrir, distingués nabots sur leurs échasses, n'ont jamais connu la douleur qui fait de toi un homme qui fut.
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"Aimé, hier soir je lisais un livre et soudain je me suis aperçue que je ne comprenais rien et que je pensais à vous."
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Les génies savent que le génie c'est de la ténacité. Les crétins croient que c'est un don.
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- Perdu, perdi, perda, perdo, murmurait-il en tirant sur sa ficelle, murmurait-il en s'efforçant de rompre sa ficelle. Perdu, perdi, perda, perdo, murmurait-il sans cesse, car il faut essayer de se divertir lamentablement dans le malheur, affreusement se divertir en tirant sur une ficelle, en prononçant des mots idiots, se divertir pour supporter le malheur, pour continuer à vivre.
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Que cette horrible aventure des humains qui arrivent sur cette terre, rient, bougent puis soudain ne bougent plus, ne les rende pas bons, c'est incroyable. Et pourquoi vous répondent-ils si vite mal, d'une voix de cacatoès, si vous êtes doux avec eux, ce qui leur donne à penser que vous êtes sans importance, c'est-à-dire sans danger? Ce qui fait que des tendres doivent faire semblant d'être méchants, pour qu'on leur fiche la paix, ou même, ce qui est tragique, pour qu'on les aime.
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Tu l'aimes et tu veux qu'elle t'aime, et tu ne peux tout de même pas aimer un chien parce qu'il vaut mieux qu'elle ! Eh bien alors séduis, fais ton odieux travail de technique et perds ton âme. Force-toi à l'habileté, à la méchanceté. [...] Tu n'es pas encore enraciné et des méchancetés trop marquées la repousseraient. Il leur reste un peu de bon sens au début. Par conséquent, du tact et de la mesure. Se borner à lui faire sentir que tu es capable d'être cruel. [...] Elle sera indignée, mais son tréfonds aimera. Lamentable de devoir déplaire pour lui plaire. Ou encore un masque subitement impassible, des airs absents, une surdité soudaine. Ne pas répondre par distraction feinte à une question qu'elle te pose la désarçonne mais ne lui déplaît pas. C'est une gifle immatérielle, une ébauche de cruauté, un petit plain-pied sexuel, une indifférence de mâle. De plus, ton inattention augmentera son désir de captiver ton attention, de t'intéresser, de te plaire, la remplira d'un sentiment confus de respect. Elle se dira, non, pas se dira, mais vaguement sentira, que tu es habitué à ne pas écouter toutes ces femmes qui t'assaillent, et tu seras intéressant.
[...] Qui est cruel est sexuellement doué, capable de faire souffrir, mais aussi de donner certaines joies, pense le tréfonds. Un seigneur quelque peu infernal les attire, un sourire dangereux les trouble. [...]

Donc, pendant le processus de séduction, prudence et y aller doucement. Par contre, dès qu'elle sera ferrée, tu pourras y aller. Après le premier acte, curieusement dénommé d'amour, il sera même bon, à condition qu'il ait été réussi et approuvé avec enthousiasme par la balbutiante pauvrette, il sera même bon que tu lui annonces qu'elle souffrira avec toi. Encore transpirante, et contre toi collante, elle te répondra alors que peu lui importe, que la souffrance avec toi ce sera encore du bonheur. [...]
Lorsqu'elle est entrée en pleine passion, donc cruautés ouvertes. Mais dose-les. Sois cruel avec maîtrise. Le sel est excellent mais pas trop n'en faut. Par conséquent, alternances de duretés et de douceurs, sans oublier les obligatoires ébats. [...]

Ne renonce jamais aux cruautés qui vivifient la passion, et lui redonnent du lustre. Elle te les reprochera mais elle t'aimera. Si par malheur tu commettais la gaffe de ne plus être méchant, elle ne t'en ferait pas grief, mais elle commencerait à t'aimer moins. Primo, parce que tu perdrais de ton charme. Secundo, parce qu'elle s'embêterait avec toi, tout comme avec un mari. Tandis qu'avec un cher méchant on ne bâille jamais, on le surveille pour voir s'il y a une accalmie, on se fait belle pour trouver grâce, on le regarde avec des yeux implorants, on espère que demain il sera gentil.
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Mon Dieu, une minute avant une gaffe, on pouvait si bien ne pas l'avoir faite !
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Elle aussi sans doute se savonnait en ce moment, pensait-il dans son bain. Enthousiaste de la voir bientôt, il ne pouvait pourtant s'empêcher de ressentir le ridicule de ces deux pauvres humains qui, au même moment et à trois kilomètres l'un de l'autre, se frottaient, se récuraient comme de la vaisselle, chacun pour plaire à l'autre, acteurs se préparant à entrer en scène. Acteurs, oui, ridicules acteurs. Acteur, lui, l'autre soir en son agenouillement devant elle. Actrice, elle, avec ses mains tendues de suzeraine pour le relever, avec son vous êtes mon seigneur, je le proclame, fière sans doute d'être une héroïne shakespearienne. Pauvres amants condamnés aux comédies de noblesse, leur pitoyable besoin d'être distingués. Il secoua la tête pour chasser le démon. Assez, ne me tourmente pas, ne me l'abîme pas, laisse-moi mon amour, laisse-moi l'aimer purement, laisse-moi être heureux.
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Ô vous, frères humains, vous qui pour si peu de temps remuez, immobiles bientôt et à jamais compassés et muets en vos raides décès, ayez pitié de vos frères en la mort, et sans plus prétendre les aimer du dérisoire amour du prochain, amour sans sérieux, amour de paroles, amour dont nous avons longuement goûté au cours des siècles et nous savons ce qu'il vaut, bornez-vous, sérieux enfin, à ne plus haïr vos frères en la mort. Ainsi dit un homme du haut de sa mort prochaine.
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Balourd et pressé, le train tituba, ivre de vouloir, lança soudain un appel de désespoir et se précipita à grands chocs dans le tunnel avec un cri fou de peur aigüe. Une paupière blanche s'abattit aussitôt sur la vitre à demi fermée et des vapeurs entrèrent dans le compartiment tandis que, victimes de l'homme, les pierres et les fers du tunnel hurlaient leur révolte à grands échos contre le noir suintant, martyrs rugissant leurs indignations, à grand vacarme injuriant le gros traitre et butor effaré qui s'affairait, tressautait, trébuchant en sa vitesse. A la fin du tunnel, les rages s'atténuèrent, quelques échos se disputant encore contre le mur enfumé qu'une vapeur blanche soudain calma, et les fureurs cessèrent avec le mur disparu.
Délivré et calmé, hors du noir et de l'enfer, le train rentra dans la douce campagne, gauche et hâtif, reprenant son rythme assidu à travers les verdoiements et l'odeur herbeuse revenue.
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Lorsque j'arrivais, si elle était dehors, à l'autre bout de la prairie, dès qu'elle m'apercevait de loin, cette course folle, cette trajectoire de petit bolide le long de la pente, et c'était de l'amour. Arrivée, elle s'arrêtait net devant moi, adoptait une attitude de dignité, faisait lentement le tour de l'ami, majestueuse, si coquette et impassible, le somptueux panache glorieusement dressé de bonheur. Au deuxième tour, elle se rapprochait, incurvait sa queue contre mes bottes, levait les yeux pour me regarder, puis ouvrait sa petite gueule rose en délicate supplique pour demander sa pâtée.
Le petit repas terminé, elle allait au salon faire sa sieste, s'installait sur le meilleur fauteuil, le plus griffé, et elle s'endormait, une douce patte velue contre ses yeux fermés pour mieux les protéger de la lumière.
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Mort aux juifs, lui crient les murs. Vie aux Chrétiens, leur répond-il. Oui, les aimer, il ne demande pas mieux. Mais ne peuvent-ils pas commencer, eux, pour l'encourager ? De temps à autre, il lance un regard sur les murs, repérant de loin le souhait, et alors il baisse la tête. Mort aux juifs. Partout, dans tous les pays, les mêmes mots. Est-il si haïssable ? En somme, peut-être, ils le disent tellement. Mais alors, venez, agissez, tuez-moi, murmure-t-il. Un papillon collé sur un tuyau de chute pluviale. Mieux vaut ne pas lire. Pour résister à la tentation, il change de trottoir. Mais peu après, il traverse, revient pour vérifier. Oui, c'est bien ça, mais il y a seulement à bas les Juifs, c'est tout de même mieux, c'est un progrès.
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Albert Cohen
En vérité je vous le dis, [...], ne pas haïr importe plus que l'illusoire amour du prochain

Dans ''Ô vous, frères humains''
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Le sommeil a les avantages de la mort sans son petit inconvénient.
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Le soir suivant, parce qu'il s'était laissé aller à dire à voix haute qu'elle était méchante envers lui, elle l'en avait puni en criant qu'il était un monstre et un tyran qui la torturait, puis en arrachant le papier de la tapisserie, puis en descendant s'enfermer à clef dans la cuisine où elle avait campé jusqu'à quatre heures du matin cependant qu'il tremblait à l'idée qu'elle allait peut-être se suicider au gaz.
Et ce n'était pas tout, elle avait d'autres armes que le malheureux connaissait bien, les représailles des lendemains de scènes : entre autres, les migraines, les grèves de réclusion dans sa chambre, les paupières enflées portant témoignage des pleurs dans la solitude, les malaises divers, les tenaces mutismes, le manque agressif d'appétit, la fatigue, les oublis, les regards mornes, tout le terrible attirail d'une faible femme invincible.
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Amour de ma mère. Jamais plus je n'aurai auprès de moi un être parfaitement bon. Mais pourquoi les hommes sont-ils méchants ? Que je suis étonné sur cette terre. Pourquoi sont-ils si vite haineux, hargneux ? Pourquoi adorent-ils se venger, dire vite du mal de vous, eux qui vont bientôt mourir les pauvres ? Que cette horrible aventure des humains qui arrivent sur cette terre, rient, bougent, puis soudain ne bougent plus, ne les rende pas bons, c'est incroyable. Et pourquoi vous répondent-ils si vite mal, d'une voix de cacatoès, si vous êtes doux avec eux, ce qui leur donne à penser que vous êtes sans importance c'est à dire sans danger ? Ce qui fait que des tendres doivent faire semblant d'être méchants pour qu'on leur fiche la paix, ou même, ce qui est tragique, pour qu'on les aime. Et si on allait se coucher et affreusement dormir ? Chien endormi n'a pas de puces. Oui, allons dormir, le sommeil a les avantages de la mort sans son petit inconvénient. Allons nous installer dans l'agréable cercueil. Comme j'aimerais pouvoir ôter, tel l'édenté son dentier qu'il met dans un verre d'eau près du lit, ôter mon cerveau de sa boîte, ôter mon coeur trop battant, ce pauvre bougre qui fait trop bien son devoir, ôter mon cerveau et mon coeur et les baigner, ces deux pauvres milliardaires, dans des solutions rafraîchissantes, tandis que je dormirais comme un petit enfant que je ne serai jamais plus. Qu'il y a peu d'humains et que soudain le monde est désert
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Bientôt, elle serait revenue avec les disques, leurs pitoyables disques. Que faire pour la préserver ? Descendre, supplier la Forbes d'inviter l'innocente une fois ? Une seule fois, madame, pour qu'elle ne se doute pas qu'elle est rejetée à cause de moi. Après, nous partirons, nous irons dans un autre hôtel, vous ne nous verrez plus. Elle est tout ce que j'ai maintenant, je veux qu'elle continue à m'aimer. Ayez pitié, madame, elle n'est pas juive, elle n'est pas habituée. Au nom du Christ, madame.
Folie, folie. Il aurait beau les supplier, ces deux, elles resteraient ce qu'elles étaient, sûres de leurs vérités, fortes d'être le nombre et la règle, caparaçonnées de social, sans cœur et sans gaffes et sans angoisses. Toutes les veines, et même de se croire bonnes.
Y aller tout de même ? Les regarder, leur sourire avec des larmes, leur dire que leur temps de vie était court et qu'elles ne devaient pas le consacrer à la haine ? Folie, folie. Le Christ lui-même n'était pas parvenu à les changer. Assez, assez. Bientôt, elle serait de retour. Que faire pour lui cacher qu'il était un paria, un vaincu ? Que faire pour la garder en amour ? C'était tout ce qui leur restait, leur amour, leur pauvre amour.
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…estra ce café, y a rien qui vous remet du venin à l'ouvrage autant comme une bonne tasse de café, le docteur de Paris il m'a dit que je devais plus en boire, vingt d'intention paraît que j'ai sur le bras avec l'appareil qu'ils mettent, mais moi je m'en fous, et d'abord les docteurs ils ont des airs de connaissance mais ils savent pas grand-chose, sauf que vous envoyer leur facture, pour ça ils sont forts…
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Descendu de cheval, il allait le long des noisetiers et des églantiers, suivi des deux chevaux que le valet d'écurie tenait par les rênes, allait dans les craquements du silence, torse nu sous le soleil de midi, allait et souriait, étrange et princier, sûr d'une victoire. A deux reprises, hier et avant-hier, il avait été lâche et il n'avait pas osé. Aujourd'hui, en ce premier jour de mai, il oserait et elle l'aimerait.
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